Parti au Canada pour quelques mois d’études, ce Camerounais a vite pris la tangente. Il est aujourd’hui conseiller politique pour la mission des Nations unies en RDC.
ll a encore neigé sur New York cet hiver, mais André-Michel Essoungou ne s’en formalise plus. Pourtant, la première fois qu’il a quitté son Cameroun natal, en 1999, le grand froid canadien a été un choc, « bien plus que la découverte du monde occidental, car à Douala, où [il a] grandi, il ne fait jamais moins de 20 °C ». À l’époque, il pensait ne partir en goguette que pour quelques mois, mais « la chance » l’a amené à vivre sur trois continents. Heureux qui comme André-Michel a fait un beau voyage… et qui, à la différence du poète Joachim Du Bellay, semble n’éprouver aucune nostalgie. Son port d’attache est désormais New York bien plus que Douala.
Du journalisme à la Monusco
Pourtant, quand ce fils de médecin obtient à 23 ans une bourse de la Francophonie pour étudier au Nouveau-Brunswick, au Canada, il a surtout en tête de prendre un grand bol d’air frais. Journaliste en herbe et surtout d’opposition au régime, il a alors besoin de fuir « l’asphyxie intellectuelle et l’absence de perspectives ». La chance donc, sans doute davantage de travail qu’il ne veut bien le dire, mais aussi la curiosité et le grand amour vont lui dessiner un destin auquel il n’osait rêver. Aujourd’hui, à 41 ans, il est conseiller politique pour la Monusco, la mission des Nations unies en RD Congo, et bien malin celui qui peut prédire ce qu’il fera ensuite.
André-Michel Essoungou a besoin de se laisser porter, d’improviser… Beaucoup lui ont « ouvert des portes sans qu’[il s’en] rende compte ». Il est ainsi tour à tour correspondant sportif à Montréal, puis journaliste généraliste à New York, en Tanzanie, en Ouganda, en Suisse, le plus souvent pour RFI, qui lui a aussi confié l’antenne à Paris. Il enquête ensuite pour la Banque mondiale dans la région des Grands Lacs, écrit un livre sur le Tribunal pénal international pour le Rwanda, et revient enfin à New York en 2009. Cette fois, il y enfile le costume de fonctionnaire onusien – il a d’ailleurs fallu qu’on lui signale gentiment qu’ici on devait en porter un, de costume…
Depuis, il a enchaîné les postes dans la communication, par exemple comme porte-parole du bureau des opérations du maintien de la paix. Et il a obtenu une promotion, il y a tout juste un an, en rejoignant la « tour de contrôle » assurant le lien entre la mission de la Monusco sur le terrain et les têtes pensantes au siège. Le dossier n’est pas non plus des plus réjouissants, et la tâche est finalement assez similaire. « Sauf que ça se passe dans l’ombre. Et même si on n’est pas beaucoup plus libre, on a bien plus d’impact. »
Et le Cameroun alors ?
Pour expliquer les rebonds dans son CV, il persiste à invoquer la « chance ». Mais c’est quand même lui qui a choisi de s’exiler (alors que ses cinq sœurs aînées sont toujours restées au Cameroun). Lui qui a osé lâcher ses études et sa bourse pour aller couvrir le traumatisme à New York juste après le 11 septembre 2001. Lui qui a décidé de renoncer à un stage prometteur à Paris pour suivre à Arusha, dans le nord de la Tanzanie, celle qui allait devenir sa femme, une Canadienne d’origine haïtienne dotée d’un fort tempérament. Lui qui, fatigué du journalisme, a postulé à l’ONU alors qu’il était tout juste père d’une petite fille.
Et le Cameroun alors ? Ne ressent-il pas, comme le poète, la mélancolie de sa terre natale ? Il répond d’abord qu’il n’y « serai[t] pas d’une grande utilité », puis ajoute plus tard, au détour d’une phrase, qu’il n’y est en fait pas retourné jusqu’en 2011. Cette parenthèse de douze années loin de sa famille, c’est bien le seul sujet sur lequel André-Michel Essoungou se montre peu loquace, évacuant les questions d’un « je n’ai pas vu le temps passer ». Un certain tiraillement doit tout de même l’habiter, puisqu’il avoue qu’un jour, au cœur de l’hiver, il a pris un aller simple pour Douala… « C’était très fort émotionnellement. Tout avait changé, et rien n’avait changé. »
Aujourd’hui, la relation à son pays est toujours ambiguë. « Quand je retourne au Cameroun, je ressens beaucoup de bonheur mais aussi beaucoup de colère face au gâchis, alors que les gens sont brillants, pleins de créativité et d’énergie », dit-il. Et d’illustrer son propos en évoquant les tourments qui ont succédé aux exploits des Lions indomptables, l’équipe nationale de football, l’une de ses grandes passions.
Heureux en exil
Lui, au contraire, semble avoir trouvé son équilibre, mais ailleurs. Le rôle de sa femme, qui lui a un temps assuré une sécurité financière, revient régulièrement. « En fait, c’est elle l’héroïne… Moi, j’avais des rêves, mais avec elle tout est devenu faisable. » Il parle avec passion de son quartier de Brooklyn, où il a acheté un brownstone – dans lequel a vécu un temps le mythique pianiste de jazz Thelonious Monk –, l’une de ces maisons typiques de New York. Il ne sait pas quelle sera la prochaine montagne qu’il gravira mais ne doute pas qu’il atteindra le sommet. « Ça, c’est très camerounais », revendique-t-il.
Le sonnet du XVIe siècle dit que le voyage apporte « plein d’usage et raison », mais Du Bellay ne pense qu’à retrouver la douceur de sa région natale. André-Michel Essoungou, lui, semble heureux en exil. Il consent du bout des lèvres qu’on « vit malgré tout avec ce sentiment qu’on doit repartir », puis éclate de rire. « Mais ce serait malvenu de me plaindre ! »
Avec jeuneafrique