Depuis 2008, Yoadan Tilahun a pris la tête et a redressé l’économie de l’industrie de l’événementiel éthiopienne. Entretien.
À 41 ans, elle est aujourd’hui à la tête l’industrie de l’événementiel éthiopienne et travaille avec de grands groupes tels que Coca-Cola, Google, IBM ou encore la Bill & Melinda Gates Foundation.
Était-ce compliqué en tant que femme africaine d’intégrer la Banque Mondiale ?
À cette époque-là, je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire malgré ma maitrise en administration des affaires (MBA). Comme j’ai enchaîné les diplômes, je n’avais pas beaucoup d’expérience dans le monde du travail pour savoir exactement vers quel secteur m’orienter.
De manière générale, intégrer la Banque Mondiale n’est facile pour personne. Quand j’en suis partie, j’avais un bon poste avec un contrat à long terme mais je n’ai jamais été une employée permanente.
« Je suis retombée amoureuse de l’Éthiopie »
Pourquoi quitter le monde de la banque pour vous lancer dans le secteur de l’événementiel ?
J’avais un bon poste à la Banque Mondiale mais il ne me rendait pas totalement heureuse. Avec quelques amis nous avons réfléchi à ce que nous pourrions faire en dehors de nos heures de travail.
Nous aimions organiser des soirées et nous avions remarqué que les événements africains auxquels nous participions manquaient souvent d’organisation. De fait, nous avons décidé de nous lancer dans l’événementiel. C’est ainsi que Flawless Events est née alors que j’étais toujours à Washington.
Au début,nous avons officié à mi-temps car j’étais toujours en poste à la Banque Mondiale. Nous organisions des mariages, des soirées caritatives ainsi que d’autres événements mondains pour la communauté africaine. Puis je me suis rendue compte que j’adorais organiser ce genre de choses.
Mon mari m’a beaucoup soutenue en m’encourageant à quitter mon poste à la Banque Mondiale pour m’occuper de Flawless Events à plein temps. J’avais très peur car le marché américain est vaste. Et de nombreuses entreprises de services de ce genre existent. Je ne pensais pas pouvoir réussir dans ce milieu.
En 2008, vous installez Flawless Events à Addis-Abeba en Éthiopie…
Nous avons toujours voulu retourner en Éthiopie et en 2007, après 15 ans d’absence, j’y suis retournée pour les vacances. Je suis retombée amoureuse du pays. C’était comme si je ne l’avais jamais quitté depuis mon enfance.
À cette époque, il n’y avait pas beaucoup d’entreprises spécialisées dans l’événementiel en Éthiopie. J’ai pris le risque et j’y ai installé Flawless Events en 2008.
Quand nous avons lancé Flawless Events là-bas, mon plus grand souhait était de faire au moins un événement par mois. Aujourd’hui, presque 10 ans plus tard, nous en sommes à 5 ou 6 par mois. Ce n’est pas encore assez (rires) !
« La différence se trouve dans le dévouement et la qualité de service que l’on propose »
Pourquoi quitter Washington alors que votre entreprise fonctionnait correctement ?
Aller en Éthiopie… c’était une décision émotionnelle. Je viens d’Éthiopie, j’y ai grandi et j’en avais de merveilleux souvenirs. Je voulais également y élever mes enfants. Nous en avons déduit que si nous voulions bouger, il fallait le faire alors que les enfants étaient encore petits.
Vous savez, quand vous êtes en Éthiopie, les opportunités vous semblent plus importantes. Le marché était libre et petit. C’était presque plus simple d’y devenir une leadeuse.
Vous avez redressé l’industrie de l’événementiel en Éthiopie, qu’est-ce qui a encouragé un tel succès ?
En 2008, il n’y avait qu’une seule autre entreprise éthiopienne qui s’était sérieusement lancée dans le domaine. L’Éthiopie est un si grand pays avec de grandes opportunités et un marché très fertile. De nombreuses grosses entreprises internationales commençaient à y venir pour organiser des événements.
Mon premier événement, je l’ai organisé avec succès pour une entreprise spécialisée dans le médical. Ensuite, le bouche-à-oreille ainsi que les recommandations de plusieurs personnes ont fait leur part du travail.
Mais je pense que la différence c’est que j’aime organiser des événements ! J’en rêve la nuit ! C’est très épuisant, mais plus je suis fatiguée plus j’ai d’énergie pour continuer. Je pense que lorsque l’on fait quelque chose que l’on aime et que l’on se pousse toujours à essayer de faire mieux, les autres le remarquent. Elle est là la différence : dans le dévouement et dans la qualité de service que l’on propose. On ne le fait pas que pour l’argent, on veut s’assurer que l’événement se déroule comme il se doit. Nous ne sommes jamais satisfaits si le client ne l’est pas.
« Les Éthiopiens sont toujours surpris lorsqu’ils rencontrent une cheffe d’entreprise »
Qu’est-ce que cela fait de travailler avec de grandes entreprises internationales ?
Chaque fois qu’une entreprise nous contacte et qu’elle accepte ensuite le devis pour travailler avec nous, je pense toujours que c’est une blague. Je me dis : « sérieusement ? Cette grande entreprise va faire confiance à ma petite entreprise pour ce grand événement ? »
On préfère y aller petit à petit car si l’on prend une vision d’ensemble, cela peut faire peur. On établit des plannings pour bien s’organiser, un pas à la fois. C’est tellement gratifiant lorsque quelqu’un vous fait confiance pour l’un de ses événements.
Votre entreprise est composée de sept femmes et d’un seul homme, le chauffeur, pourquoi ?
J’ai quelques fois engagé des hommes pour travailler avec nous. Malgré leur professionnalisme, j’ai trouvé qu’ils n’avaient pas la même patience et attention pour les détails. Avec les femmes c’est presque naturel.
L’énergie qui règne dans notre bureau est également très différente lorsqu’il y a un homme. C’est presque comme une sororité, nous mangeons ensemble, nous rions ensemble… Une de nos managers a eu un bébé et c’était presque automatique pour nous de comprendre qu’il lui fallait peut-être plus de temps pour s’en occuper. On se comprend entre nous.
Vos employées sont-elles toutes africaines ?
La loi sur l’emploi en Éthiopie est très stricte donc il n’y a que des femmes éthiopiennes.
« Le fait que je sois une femme n’a jamais eu d’importance »
Quels sont les challenges auxquels vous avez dû faire face en tant qu’entrepreneuse éthiopienne ?
Nous devons travailler en collaboration avec des bureaux gouvernementaux ainsi que des officiels dans la mesure où lors de gros événements, le gouvernement se doit d’être impliqué d’une façon ou d’une autre.
Les officiels sont toujours surpris lorsqu’ils me rencontrent, surtout après m’avoir eu au téléphone à cause de ma voix aux tonalités masculines. Mon assurance, qu’ils attribuent à mon éducation et à mon expérience de vie occidentale, les étonne aussi. Mais j’ai toujours été comme cela. Je me battrai toujours pour mes clients.
L’Éthiopie est un pays de culture patriarcale où l’homme domine et où la femme doit, officieusement, rester à la maison pour s’occuper des enfants. Les gens sont donc toujours surpris lorsqu’ils rencontrent une cheffe d’entreprise.
Quel est le meilleur conseil que vous ayez reçu plus jeune et qui vous sert encore aujourd’hui ?
J’ai grandi avec deux frères, tous mes cousins sont des garçons, et la majorité de mes voisins sont des hommes. C’est dire si j’ai grandi avec eux. Je me suis battue avec des hommes. J’ai toujours pensé que je pouvais faire ce que je voulais. Le fait que je sois une fille n’a jamais eu d’importance. S’il a quelque chose que vous voulez faire, faites-le ! Le genre n’a rien à voir là-dedans.
« Soyez les meilleures dans ce que vous faites ! Aujourd’hui, on peut se former à moindre coût grâce à Internet »
Quel conseil pourriez-vous donner aux jeunes femmes qui souhaitent se lancer dans l’entrepreneuriat ?
Il ne faut pas se dénigrer parce que l’on est une femme. Il faut persévérer malgré la peur. La plupart du temps nous sommes nos propres barrières. Si l’on se trompe, ce n’est pas la fin du monde. Il est important d’aller à la rencontre de personnes qui ont déjà lancé une entreprise, et de trouver ses mentors. Il faut parler ! Parler de ses difficultés n’est pas une faiblesse, au contraire.
Quand on se lance dans quelque chose, il faut s’en donner les moyens. En s’instruisant, pour être la meilleure dans ce que l’on fait ! Pour celles qui ne peuvent pas s’offrir de grandes études, ce n’est pas grave, aujourd’hui on trouve tout sur Internet. On peut se former à moindre coût.
Quelle est la prochaine étape pour Flawless Events ?
Je pense que la prochaine étape est de faire davantage d’événements et surtout, de les faire ailleurs qu’en Éthiopie, et ainsi étendre la boîte.
Et pour vous ? Quel est votre prochain challenge personnel ?
J’aimerais être plus impliquée socialement et montrer l’exemple à mes trois fils. Faire davantage de choses pour la communauté et pour la jeunesse, aussi bien socialement que pour l’éducation.
AVEC intothechic.