À 2.500 mètres sous la surface de la Terre, il existe des cellules qui vivent depuis 23 millions d’années. C’est ce qu’ont découvert des scientifiques en forant dans les profondeurs de l’océan Pacifique.
Il n’y a pas que sur les comètes que l’on trouve des “briques de vie”. Le 25 juillet, un rapport scientifique publié dans Science Magazine rendait compte d’une autre découverte saisissante. À 2,5 kilomètres sous la surface terrestre, des micro-organismes vivent depuis des millions d’années. C’est au large du Japon que les précieux organismes ont été recueillis. Mais comment les scientifiques sont-ils parvenus à accéder à de telles profondeurs ?
Explorer les profondeurs de la Terre, simple fantasme ?
Longtemps, la quête fascinante des profondeurs n’a été qu’un rêve fou, destiné à vivre dans les romans de Jules Verne ou sur les écrans de cinéma. Il faut dire que d’emblée, l’exploration souterraine ressemblait à une mission impossible : pression, gravité, chaleur, réactions chimiques inconnues… Autant d’obstacles auxquels se heurtent les techniques même les plus poussées.
Mais avec le développement de l’industrie pétrolière au début du XXème siècle, les techniques de forage pour extraire le pétrole se perfectionnent et profitent à la recherche scientifique fondamentale. Dans les années 1950, les chercheurs commencent à mettre en place des opérations de forage. Objectif principal : extraire des roches datant de plusieurs millions d’années, pour mieux connaître la genèse de notre planète.
30 kilomètres en-dessous de la croûte terrestre
Le rêve ultime, pour les scientifiques de l’époque, est alors d’atteindre le Moho, la limite inférieure de la croûte continentale, située… à environ 30 kilomètres en-dessous des continents. La quête des profondeurs est lancée : en URSS, le forage le plus profond atteint ainsi plus de 12 kilomètres ! Mais le projet se heurte à des limites techniques. “Dans un forage continental, les roches s’effondrent sur elles-mêmes”, explique Georges Ceuleneer, directeur de recherche au CNRS, qui a participé à plusieurs expéditions de forage scientifique à bord du navire de forage JOIDES Resolution. Autre contrainte : plus la pression et la température augmentent, plus le risque de casser la foreuse est important, or à 12 000 mètres sous la surface, les températures avoisinent déjà les… 120 degrés.
Qu’à cela ne tienne. Si ce n’est pas par la terre, c’est par les mers que les scientifiques atteindront le Moho. Dans les océans, la frontière entre les deux couches terrestres ne se situe qu’à 6 kilomètres, un objectif plus réaliste. Il ne reste donc plus, pour les scientifiques, qu’à forer dans le sous-sol à partir d’un bateau. C’est ainsi qu’en 1961, les scientifiques embarquent sur le Cuss1. La première mission de forage en eaux profondes débute.
L’épopée technique du forage en eaux profondes
Mais les sous-sols de notre Terre ne se laissent pas approcher aussi facilement. Les débuts du forage en mer sont, littéralement, houleux. Le bateau ne tient pas en place, la foreuse dévie, et il est impossible de creuser droit. Les ingénieurs mettent alors en place un système de positionnement dynamique, qui permet au bateau de conserver sa position au-dessus de l’endroit à forer.
Comme pour les forages sur le continent, la moindre pression verticale sur la foreuse, et c’est tout le dispositif qui casse. Un échec que les scientifiques paient très cher : “Une seule journée d’expédition avec le JOIDES Resolution coûte 150.000 euros”, indique Georges Ceuleneer. Des coûts trois fois plus élevés pour son grand frère, le navire de forage japonais Chikyu (Terre, en français). Chaque année, environ 100 millions d’euros sont investis dans le programme international destiné à l’étude de la géologie sous-marine (IODP), qui réunit des chercheurs de 40 pays.
Afin d’éviter au maximum les mauvaises surprises, des expertises détaillées sont menées avant les expéditions : “On étudie les risques de pollution pour ne pas libérer, en forant, des substances polluantes qui pourraient être présentes dans les sols. On vérifie même que le forage n’intervient pas pendant la migration des baleines, pour ne pas perturber leur reproduction”, détaille le chercheur.
Malgré un contrôle approfondi des sols, les scientifiques ne sont pas à l’abri d’imprévus qui peuvent les mettre en danger et faire échouer une expédition entière. Principal danger : les éruptions d’hydrates de gaz, des molécules instables qui peuvent libérer de grandes quantités de méthane, provoquant des glissements de terrains ou une obstruction du tuyau de forage. “Certains niveaux de roche sont parfois plus durs que ce que nos simulations indiquaient. Dans ces cas-là, impossible de forer à l’intérieur”, poursuit le chercheur.
Des enjeux majeurs pour comprendre l’apparition de la vie sur Terre
Au fond, qu’est-ce qui peut bien motiver 40 nations à déployer autant de moyens technologiques et financiers dans une seule expédition ? La réponse se résume probablement en un mot : l’espoir. “En ce moment, nous découvrons dans les profondeurs de nouvelles espèces de micro-organismes”, explique Georges Ceuleneer. Des organismes enfermés à plus de 2000 mètres de la surface, qui n’ont pas vu la lumière du soleil depuis des millions d’années… et qui vivent pourtant toujours. “Certains de ces organismes ont réussi à survivre en faisant la synthèse du souffre. En étudiant leurs caractéristiques, les chercheurs espèrent en savoir plus sur la façon dont la vie a pu apparaître, et peut se maintenir ailleurs que dans les conditions de la surface terrestre… y compris, pourquoi pas, ailleurs que sur la Terre.
Prévoir les séismes à l’avance
L’étude des micro-organismes est loin d’être le seul intérêt de ces missions. “En atteignant les couches inférieures de la croûte terrestre, les chercheurs espèrent étudier les failles sismogéniques [l’endroit où se produisent les frictions entre les plaques tectoniques], ce qui permettrait de prévoir avec précision les séismes et les tsunamis qui ont lieu à la surface du globe”, explique le chercheur.
À bord des navires de forage, ce sont toutes les spécialités de la recherche scientifique qui collaborent, de l’océanographe au biologiste, en passant par … le chimiste. “À cette profondeur, les interactions entre le vivant et la roche se font dans des conditions très différentes de celles de la surface terrestre. L’étude de molécules et de réactions chimiques dont on ne soupçonnait jusque-là pas l’existence pourrait ouvrir un pan entier de la recherche pharmaceutique.
Avec RTL