Pour Sucden, il était évident qu’un jour ou l’autre, le groupe reviendrait au cacao. En étant présent dans les origines et pour faire de l’argent, explique Derek Chambers, manager du Cocoa Trading à Sucres et Denrées (Sucden), àCommodAfrica.
Derek Chambers a rejoint Sucres et Denrées en juillet 2011 où il dirige le négoce du cacao. Il a toujours travaillé dans cette filière, notamment chez J.H. Rayner et chez Philipp Brothers.
Sucden a connu de grands changements ces deux dernières années, la société se repositionnant sur le café et le cacao. A votre avis, pourquoi et quels sont vos objectifs dans le cacao ?
Si on remonte à 2011, lorsque M. Varsano m’a demandé de rejoindre le groupe et de créer une division cacao, il était bien entendu qu’une entreprise de la taille de Sucden ne se contenterait pas d’être un petit joueur sur le marché. L’objectif de base était de devenir un des 3 ou 4 grands négociants de cacao afin de rentabiliser le temps que cela prend pour constituer une nouvelle activité, pour développer les lignes de crédit nécessaires, etc. La fonction ne m’aurait pas intéressé si nous devions rester un acteur marginal.
A partir de là, nous avons commencé à construire notre activité sur le cacao physique car, à la base, c’est de là d’où je viens. Et l’endroit évident pour démarrer une activité sur le physique était et demeure en Côte d’Ivoire. Donc nous nous sommes dépêchés et sommes devenus exportateur en Côte d’Ivoire dès la campagne 2011/12. Nous avons exporté environ 25 000 tonnes (t) durant cette campagne. Nous avons développé notre affaire en Côte d’Ivoire et en 2015/16, nous devrions exporter sous notre nom, Sucden Côte d’Ivoire (Sucden CI), près de 100 000 t de cacao.
Parallèlement, nous avons construit au cours des 2 à 3 dernières années des activités au Nigeria et au Cameroun : nous devrions exporter au moins 30 000 t de ces deux origines au cours de la campagne à venir.
“Je n’aime pas le Ghana”
Et le Ghana ?
Je n’aime pas le Ghana car nous ne sommes pas impliqués dans les opérations intérieures au Ghana. Notre modèle d’affaires dans le cacao repose sur le fait que nous voulons faire de l’argent. Je ne vois pas où on peut faire de l’argent dans le négoce du cacao au Ghana. Nous ne sommes pas présent sur le terrain au Ghana et il y a deux entreprises qui sont bien implantées. Nous ne voyons pas où marger dans le trading du cacao ghanéen et donc nous ne sommes pas disposés à faire les efforts pour nous organiser sur le terrain au Ghana.
Si nous parvenons à trouver le moyen, alors, oui, nous serions beaucoup plus intéressés par le Ghana et peut-être avons-nous des projets en ce sens. Mais rien que je puisse annoncer.
Est-ce une sorte de défiance à l’égard du Cocobod et des difficultés qu’il a connu ces dernières années?
De façon générale, ce n’est pas vraiment ça. C’est plutôt le fait que vous devez prendre un risque en achetant 15 mois à l’avance, vous devez arbitrer sur le marché, vous devez ensuite trouver un acheteur à un prix égal et/ou plus élevé que ce que vous avez payé. Or, ce n’est pas évident étant donné la concurrence qui existe entre les opérateurs de cacao qui achètent, le cas échéant, sur la base d’un “coût+” avec leurs clients certifiés.
Mais le fonctionnement ivoirien est aujourd’hui très similaire au ghanéen…
Oui, mais les prix sont plus raisonnables et les volumes sont plus importants. Nous nous focalisons sur une activité que nous pouvons faire plutôt qu’une activité que nous ne pouvonspas faire.
Développez-vous cette activité cacao chez Sucden car, à long terme, vous estimez que le cacao sera plus intéressant, plus rentable, que d’autres matières premières?
Vous devez vous souvenir que Sucden a une histoire dans le cacao. Sucden est sortie du cacao car la société rencontrait des difficultés financières et non car elle voulait sortir du cacao. M. Varsano a toujours vu le cacao comme étant une activité à laquelle il voudrait revenir. Sucden a une activité sucre qui marche parfaitement bien, dans le complexe agro-industriel en Russie et dans Sucden Financial à Londres. Elle aurait pu parfaitement bien faire son chemin sans qu’il n’y ait de business cacao. Mais M. Varsano a toujours pensé que le cacao s’inscrivait dans l’histoire de Sucre & Denrées et qu’il pourrait avoir un rôle intéressant à y jouer. Il en est de même du café, bien entendu.
“Nous pouvons jouer un rôle en Indonésie”
Sucden veut-il être impliqué dans le cacao partout à travers le monde ?
Non. Nous avons construit notre business dans les origines, en Afrique de l’Ouest, comme je vous l’ai décrit. En mars l’année dernière, nous avons repris une société dénommée Coffee America avec sa filiale Genco (General Cocoa Company), ce qui nous a donné un bien meilleur accès aux consommateurs américains, aux marchés des produits du cacao et, bien sur, à travers leurs contacts en Amérique centrale et du Sud, à des fournisseurs dans la République dominicaine, au Pérou, en Equateur, en Colombie, etc. Nous n’avons pas d’opérations à l’export dans aucun de ces pays mais nous avons des contacts étroits avec certains exportateurs dans un certain nombre d’entre eux.
A la fin de l’année dernière, nous avons ouvert notre bureau Sucden Malaysia essentiellement pour deux raisons. D’une part, car la Malaisie, avec l’Indonésie, sont une grande zone de broyages de fèves et que les volumes provenant d’Indonésie sont insuffisants pour approvisionner les usines en Malaisie. Par conséquent, nous avons regardé du côté de la Malaisie pour nous aider à y vendre du cacao d’Afrique et d’Amérique latine. D’autre part, nous avons voulu nous organiser sur le terrain en Indonésie davantage comme un trader local car l’ensemble du cacao indonésien n’est pas exporté pour l’instant. Nous croyons que nous pouvons jouer un rôle là-bas, notamment car nous sommes clients de plusieurs usines en Indonésie qui fabriquent des produits cacao.
“L’approche filière ne marche pas”
Selon vous, pourquoi des pays comme la Côte d’Ivoire n’établissent pas des entreprises comme Sucden afin de tirer le maximum de l’ensemble de la chaîne du cacao ?
Des sociétés comme Africa Sourcing a le potentiel pour faire cela pour elle-même. Mais, à la base, le trading du cacao n’est pas la panacée pour faire des bénéfices. L’industrie du chocolat tape sur le transformateur de cacao, le transformateur de cacao tape sur le trader et, en réalité, si nous sommes en concurrence dans les pays les plus importants, il n’y a pas de bénéfice garanti dans le trading du cacao. L’approche filière ne marche pas. Vous ne pouvez pas acheter 100 000 t de cacao et être certain d’avoir un acheteur et réalisé un bon bénéfice. Vous devez être un trader, un bon trader, afin de gérer les couvertures, les hedges, correctement. La Côte d’Ivoire n’a pas une grande expérience des contrats internationaux qui, j’estime, est de la valeur retirée et non de la valeur ajoutée.
La Côte d’Ivoire pourrait créer son entreprise et embaucher quelqu’un comme vous, de très expérimenté…
Pour quoi faire? Ils vendent très efficacement leur cacao à travers le système de la messagerie, ils en obtiennent un bon prix : si vous regardez les différentiels minimums auxquels ils vendent leur cacao, c’est invariablement plus élevé que ce qu’on peut faire sur le marché du détail à tout moment donné. Ils ne font pas de cadeau car il y a la concurrence des transformateurs locaux qui, à l’évidence, ont besoin du “déblocage” pour faire tourner leurs usines locales, des entreprises qui sont impliquées dans la certification où elles peuvent travailler sur la base des “coûts+” avec leurs clients. Donc peu importe le prix qu’ils payent. Vous avez d’autres personnes qui sont en concurrence aux enchères locales, des traders locaux qui spéculent au travers du processus des enchères.
Donc, il n’y a rien de mal au prix moyen ou aux différentiels moyens que la Côte d’Ivoire fait. C’est sans doute l’endroit le plus cher pour acheter du cacao C&F. Nous le faisons tous car nous avons notre business là-bas et nous craignions tous que si nous le faisons pas, nos concurrents nous avaleront.
” Il n’y a pas de valeur ajoutée en créant
quelque chose comme du trading”
Par conséquent, il n’y a pas de valeur ajoutée en créant quelque chose comme du trading. Si la Côte d’Ivoire évolue dans une direction où elle accorderait davantage d’allègements fiscaux aux locaux, créant, de la sorte, une distorsion dans le marché, alors les gros acteurs quitteront tout simplement la place et nous prendrons notre argent avec nous. Et ce sera beaucoup plus difficile pour eux de financer localement l’exportation de leur cacao avec des gens qui sont financièrement faibles.
Ils peuvent vendre leur cacao. De mon point de vue, ils n’ont pas besoin de donner des subventions, ni aux industries de transformation, ni aux traders locaux pour exporter leur cacao. Donc je pense que c’est de la valeur retirée et non de la valeur ajoutée.
Quel objectif avez-vous en terme de part du marché mondial du cacao à négocier ?
Notre objectif premier est de faire de l’argent. Nous commercialiserons un million de tonnes si nous pouvons faire de l’argent, nous ne commercialiserons rien si nous ne pouvons pas. Nous n’avons pas d’objectif en tant que tel. Nous avons tendance à reconnaitre que si vous avez une part de marché excédant 12 à 15%, vous devenez une sorte de cible pour vos concurrents. Par conséquent, il est peu probable que nous essayions d’excéder 12% à 15% des exportations de quelque origine soit-elle. Donc, dans ce sens, nous avons des limites mais cela ne nous arrête pas de faire du trading CAF ou FOB pour d’autres. Mais le sourcing direct à ses limites. De toute façon, la Côte d’Ivoire a établi des limites de 110 000 t sur la campagne principale.
Je crois qu’il existe une limite naturelle. Vous ne voulez pas devenir un acteur dominant car, souvent, ce n’est pas eux qui font de l’argent. Ce sont les plus petits. Nous suivons davantage un modèle reposant sur des avoirs légers, nous n’avons pas d’investissements majeurs dans la production, le stockage et nous préférons cela.
” Je crois que le contrat CME est mort”
Que pensez-vous des nouveaux contrats CME sur le marché à terme de Londres?
Je crois que le contrat CME est mort. Je crois que le contrat ICE en euro est mort. Le contrat CME ne peut pas exister comme un instrument de couverture viable car il est structuré de telle façon qu’il ne peut pas en être autrement que d’être négocié à une décote substantielle par rapport au marché ICE. Personne ne va acheter du cacao de Côte d’Ivoire avec une prime de £ 30 la tonne sur ICE et l’arbitrer sur CME qui est en décote de £ 70 et, par conséquent, s’enfermer dans un différentiel de prime à £ 100 car ils ne pourront pas, en définitive, vendre leur cacao. Il n’y a pas la liquidité et, tout simplement, les gens ne le feront pas.
Ce n’est pas tant le fait que les contrats soient libellés en euros, c’est le fait que la structure du contrat implique que le cacao qui est à £ 100 de décote par rapport au marché ICE, cote à parité avec le contrat CME.
Quelle est votre analyse de cette dernière campagne cacao et de la nouvelle qui démarrer en octobre?
La campagne dernière était bonne sauf à la fin lorsque le niveau d’acides gras libres a atteint de très hauts niveaux et qu’il y a eu des difficultés à honorer certains contrats internationaux. Mais, de façon générale, cela a été une bonne saison pour nous. En fait, nous n’avons pas beaucoup acheté de cacao localement car les prix étaient trop élevés.
La campagne à venir dépend beaucoup de la météo d’ici le mois d’octobre, démarrage de la saison prochaine. Si le temps est plus sec que la normale, il peut alors y avoir des incidences sur la qualité et la quantité de cacao ce qui aura des incidences sur le terrain en Côte d’Ivoire. Il y aura alors plus de concurrence sur le cacao de meilleure qualité.
Nous espérons que le CCC ne survende pas la récolte comme le Ghana avait survendu celle de 2014/15.
” Cela prend plus de temps pour que
les prix élevés atteignent le planteur”
Pensez-vous que le cacao est actuellement surcoté?
Je ne sais pas ce qu’est le juste prix du cacao. Tout ce que je sais c’est que les prix du cacao ont été très faibles pendant de nombreuses, nombreuses années. Si vous revenez à 1982, une vidéo sur You Tube montre le président Houphouët-Boigny se plaignant qu’il ne pouvait pas obtenir FCFA 1 000 pour son cacao. Aujourd’hui, le fermier n’a toujours pas FCFA 1000 pour son cacao. Et, entre temps, il y a eu une dévaluation de 100% du franc CFA. Donc le planteur en Côte d’Ivoire n’a pas la vie facile : le prix était bas et le demeure. Les planteurs ne bénéficient pas encore des prix sur le marché car le CCC a vendu par anticipation à des prix plus faibles. Je ne les blâme pas pour avoir fait ça: c’est ce qu’ils doivent faire.
Donc cela prend plus de temps pour que les prix élevés atteignent le planteur en Côte d’Ivoire. Les gens aimeraient dire que les planteurs sont heureux mais je suis certain qu’ils seraient plus heureux s’ils avaient plus d’argent.
Avec CommodAfrica