Alors que ses bénéfices ont chuté de 94 % en trois ans, le groupe ivoirien se rapproche encore davantage de Wilmar, numéro un mondial de l’huile de palme, afin de doper ses activités oléagineuses.
Faire reposer ses activités sur plusieurs produits agricoles afin de stabiliser revenus et marges : voilà l’orientation stratégique prise par Sifca il y a une dizaine d’années. Mais aujourd’hui, le géant agro-industriel ivoirien se retrouve dans l’impasse. Depuis début 2011, le prix du caoutchouc a été divisé par trois et celui de l’huile de palme par deux, entraînant un recul de 13,1 % des revenus en trois ans et surtout un effondrement des profits, passés de 101 milliards de F CFA (près de 154 millions d’euros) en 2011 – un record – à 6 milliards en 2014. Alors que les cours de ces deux matières premières agricoles ne semblent pas partis pour retrouver leurs niveaux d’antan, les dirigeants de Sifca ont décidé d’accélérer leur politique de maîtrise des coûts. En jouant évidemment sur les frais généraux, mais pas seulement.
Dans l’hévéa, le groupe entend abaisser le coût de production de 1,10 à 1 euro et poursuit sa collaboration avec Michelin afin de développer un caoutchouc de meilleure qualité. L’objectif d’ici à dix ans : faire passer la production de 160 000 tonnes par an à 400 000 tonnes grâce aux investissements en cours.
Côté oléagineux, un comité exécutif spécial vient d’être mis en place, dans lequel les quatre actionnaires sont représentés : Pierre Billon, président du groupe, Alassane Doumbia, vice-président et premier actionnaire individuel, ainsi que les dirigeants de deux géants singapouriens du secteur, Ranveer Chauhan, patron d’Olam pour l’huile de palme et le caoutchouc en Afrique, et Kodey Rao, dirigeant de Wilmar Africa. Tout en conservant son poste chez le numéro un mondial de l’huile de palme, ce dernier sera coordonnateur du comité et à ce titre véritable patron du pôle oléagineux de Sifca.
Le sujet faisait débat depuis deux ans environ. « Il est dommage que les actionnaires majoritaires aient donné les clés du pôle oléagineux [environ la moitié des revenus] à Wilmar qui, même s’il est actionnaire minoritaire de Sifca, reste aussi un potentiel concurrent », explique un proche du groupe, reflétant l’inquiétude de certains employés. Une vision des choses rejetée en bloc par la direction. « Cette organisation n’est absolument pas un désengagement en faveur de Wilmar, rétorque Bertrand Vignes, directeur général. Nous avons avant tout choisi une personne compétente. » Ancien dirigeant de Bidco (« l’Unilever est-africain », basé au Kenya), Kodey Rao a développé la coentreprise créée en Ouganda avec Wilmar avant de rejoindre le groupe singapourien et de gérer les opérations acquises à partir de 2011 au Ghana.
Les profits ont reculé, passant de 8,2 milliards de F CFA en 2010 à 4,6 milliards en moyenne sur les quatre dernières années.
Pour justifier sa nomination, la direction rappelle le rôle important joué par ses partenaires. Outre Michelin – dont Bertrand Vignes est un ex-dirigeant -, Wilmar épaule Sifca depuis son entrée au tour de table en 2008. Il a notamment détaché des employés afin d’aider les filiales Sania (pour la construction de la raffinerie d’Abidjan) et Palmci.
Urgence
Mais si Sifca décide aujourd’hui de confier le pilotage de son pôle oléagineux à l’un des actionnaires, c’est parce qu’il y a urgence. Malgré une forte augmentation des revenus générés par Sifca dans les huiles, de 134 milliards de F CFA en 2010 à 230 milliards en 2013, les profits ont reculé, passant de 8,2 milliards en 2010 à 4,6 milliards en moyenne sur les quatre dernières années. Pis : après un bond en 2009 – qui a suivi l’arrivée des géants singapouriens Olam et Wilmar -, le rendement des plantations de la principale filiale du groupe dans l’huile de palme, Palmci, a baissé. Il est ainsi passé de 16,4 tonnes à l’hectare à 15,5 tonnes en 2014… « Les coûts de production sont de 500 dollars [455 euros] dans nos plantations industrielles et de 600 dollars dans nos plantations villageoises, constate Alassane Doumbia. Selon nos évaluations, nous pouvons descendre à 400 et à 450 dollars. Ce serait 25 millions de dollars de bénéfices supplémentaires. » L’objectif est d’y parvenir d’ici un à deux ans.
La mise en place de la solution SAP (un des leaders mondiaux des logiciels de gestion) devrait aussi permettre de rationaliser et d’optimiser les processus de production, de fabrication et de transport. La solution vient d’être déployée à Palmci et le sera bientôt à Sania.
Maryland Oil Palm Plantation, société libérienne qui gère les plantations du groupe dans le pays et qui rentre en production, devrait être intégrée prochainement dans Palmci, là aussi pour optimiser le fonctionnement. Sania, contrôlée à 50,5 % par le tandem Wilmar-Olam et à 49,5 % par Sifca, et Wilmar Africa, société ghanéenne contrôlée à 50,5 % par Wilmar et à 49,5 % par Sifca, travailleront main dans la main. Ces sociétés possèdent les deux plus importantes raffineries d’huile de palme du continent, avec une capacité cumulée de 2 000 à 2 500 tonnes d’huile par jour. Avec le même patron, il deviendra possible d’arriver à saturation dans les deux usines…
Alors qu’une grande partie de l’huile de palme consommée en Afrique de l’Ouest reste importée, le groupe se veut offensif malgré la chute de ses profits. Des rencontres ont eu lieu récemment avec les dirigeants du français Avril, dont la tentative en février de racheter l’activité trituration de Suneor a été bloquée par l’État sénégalais. Au menu des discussions : le dépôt auprès d’Advens, actuel actionnaire de l’huilier sénégalais, d’une offre commune sur l’ensemble de la société. Synonyme pour Sifca – si elle se concrétise – de capacités de raffinage supplémentaires…
Avec Jeune Afrique