Si les sondages constituent aujourd’hui l’emblème de Sigma Conseil, les études marketing en sont le cœur de métier historique. Son patron, Hassen Zargouni analyse pour JA le positionnement et les atouts de Celtia
Jeune Afrique : La position de Celtia sur le marché de la bière constitue-t-elle une singularité tunisienne ?
Hassen Zargouni : Sa résistance à l’offensive lancée par Heineken depuis 2008-2009 est un phénomène remarquable, mais qui s’explique. Heineken correspond au goût mondial moyen, c’est le mètre étalon de la bière. Les trois pays du Maghreb et le Liban possèdent néanmoins des spécificités fortes.
Ce sont des pays où la présence de la bière est ancienne et où il existe des marques nationales bien implantées, fabriquées par des brasseries parfois vieilles de plus d’un siècle : Flag au Maroc, Tango en Algérie, Almaza au Liban et Celtia en Tunisie. La consommation y est soutenue à cause de la proximité avec l’Europe et en raison des caractéristiques intrinsèques du produit, désaltérant du fait de sa teneur en sels minéraux et qui répond à un besoin, notamment en période estivale.
Les Tunisiens prennent leur apéritif à la bière et peuvent commencer à manger avec, avant de prendre éventuellement du vin. Les palais ont été élevés à la Celtia. Dans nos panels, les consommateurs goûtant pour la première fois une Heineken ont tendance à la trouver trop légère. C’est particulièrement vrai chez les fumeurs, qui ont une prédilection pour la Celtia. À l’inverse, et sans vouloir tomber dans le cliché, la Heineken plaît davantage aux palais féminins en raison de la neutralité de son goût.
À combien estime-t‑on la population adulte consommant de l’alcool ?
Entre 20 % et 25 % des adultes, dont une moitié d’assidus. Seulement 5 % à 10 % des femmes boivent. Les femmes ne peuvent pas ou ne veulent pas aller dans les bars, sauf dans les établissements huppés de la banlieue nord de Tunis, et elles n’achètent pas d’alcool dans les supermarchés. Cette observation doit nous amener à nuancer le chiffre de 25 % de pénétration dans la population adulte.
En réalité, la pénétration de l’alcool est de 35 % à 40 % dans la population masculine adulte. Ceux qui boivent régulièrement peuvent boire sans retenue, et parfois sans plaisir. En un sens, « ils se vengent pour les autres »…
Est-il juste de penser que la Celtia s’est transformée, après la révolution, en emblème d’un « style de vie tunisien menacé » et qu’elle jouit, pour cette raison, d’un regain de popularité auprès de ses clients ?
Non, au risque de décevoir. Elle bénéficie d’un regain de faveur parce que la concurrence a eu des vertus bénéfiques. Celtia a longtemps été dans une situation quasi monopolistique. Elle est aujourd’hui soucieuse de qualité et de visibilité. La Société de fabrication des boissons de Tunisie (SFBT) a investi, a modernisé son outil, et le produit s’est amélioré.
L’entreprise a su aussi miser sur sa force de distribution impressionnante et sur un rapport qualité-prix très étudié. Enfin, Celtia a réussi un grand écart exceptionnel en termes marketing. Elle attire autant les consommateurs des milieux populaires que ceux des milieux aisés. À cet égard, son titre de boisson nationale n’est pas usurpé !