Pionnier du gardiennage en Afrique de l’Ouest, Abderrahmane Ndiaye, PDG de Sagam International, diversifie ses activités dans l’assemblage de bus et la distribution de produits pétroliers.
C’est l’un des patrons les plus puissants du Sénégal, mais il fuit obstinément la lumière. « Je n’affectionne pas les feux de la rampe, je suis comme ça, c’est ma nature », s’excuse presque Abderrahmane Ndiaye, PDG de Sagam International, au bout du fil, lorsque Jeune Afrique le sollicite pour un entretien.
Le 15 février, son groupe a annoncé le rachat simultané de deux entreprises : Senbus Industries, une unité industrielle d’assemblage de véhicules créée en 2001, et Elton Oil Company, société de distribution de produits pétroliers fondée en 2000. Deux sociétés qui appartenaient jusque-là à la banque d’affaires Impaxis, basée à Dakar.
Avec ces acquisitions, bouclées en janvier et dont les détails n’ont pas été communiqués, voilà donc le patron du groupe présenté comme le leader de la sécurité privée au Sénégal et en Afrique de l’Ouest engagé dans un nouveau tournant sur sa trajectoire d’homme d’affaires, en tentant le pari de l’industrie.
Avant le 29 septembre 2016, peu de Sénégalais pouvaient mettre un nom et un visage sur le propriétaire de Sagam International, qui célébrait ce jour-là les 30 ans du groupe. À l’occasion de cet anniversaire, il s’était résolu à faire face aux caméras à la sortie de son audience avec le président Macky Sall. Il avait, sur un ton blagueur, sollicité l’indulgence d’une assemblée composée du chef de l’État, des membres de son gouvernement, de personnalités politiques, de la société civile, du monde des affaires et de tous horizons, parce qu’il n’était « pas accoutumé à ce genre d’exercice ».
Diversification constante
Troisième employeur du Sénégal avec plus de 3 600 travailleurs, soit une masse salariale annuelle de 7,5 milliards de F CFA (11,4 millions d’euros) au 31 décembre 2015, devant le groupe agroalimentaire Patisen (3 500 salariés), le Sénégalo-Mauritanien a aujourd’hui la haute main sur la sécurité privée, le convoyage de fonds, la sécurité électronique, la vidéosurveillance…
Jeune entrepreneur que j’étais, je voyais là l’opportunité de créer de la richesse, des emplois et d’obtenir la reconnaissance de la société, sans toutefois mesurer la difficulté et toute la responsabilité que cela incombe
Lancé dans une stratégie de diversification de son offre pour ce secteur en constante évolution, Sagam International envisage d’élargir sa palette à la confection de documents sécurisés, la mécanisation fiduciaire, la sécurité incendie, l’audit de sécurité, le transport express de plis et de colis, etc.
Pionnier dans cette activité au Sénégal, Abderrahmane Ndiaye a fondé Sagam, le 5 décembre 1985, pour, relate-t-il, répondre aux besoins en matière de sécurité d’un client, l’ambassade des États-Unis à Dakar. « Jeune entrepreneur que j’étais, je voyais là l’opportunité de créer de la richesse, des emplois et d’obtenir la reconnaissance de la société, sans toutefois mesurer la difficulté et toute la responsabilité que cela incombe », a-t-il déclaré dans son discours du 29 septembre 2016.
Conscription
Plus d’un quart de siècle plus tard, Sagam a développé une véritable expertise dans le domaine, avec des agents recrutés à l’issue de leur conscription dans l’armée sénégalaise, et est désormais responsable de la sécurité de nombre de grandes chancelleries, de ministères, de banques ou de sièges d’institutions internationales, à Dakar mais aussi à l’intérieur du pays.
Les filiales ont aujourd’hui essaimé dans plusieurs pays de la sous-région : Mali, Burkina, Bénin, Mauritanie… Dans la patrie de ses parents, il préside en outre la Générale de banque de Mauritanie pour l’investissement et le commerce (GBM), un établissement créé en 1995 à Nouakchott par l’un de ses grands amis, Mohamed Ould Bouamatou.
Mais c’est en Côte d’Ivoire que le groupe – qui ne communique pas ses données financières – est le plus présent depuis son expansion régionale. Il y a fait plusieurs acquisitions : le convoyeur de fonds Brinks West Africa (actuellement Codival), Coditrans (transport de plis et de colis) et Ateliers Interbancaires Services (AIS, impression de chéquiers).
Quelqu’un de rigoureux, exigeant autant avec lui-même qu’avec ses collaborateurs, tycoon redoutable, mais honnête
Le patron de presse Baba Tandian, comme lui soninké d’origine mauritanienne, décrit Abderrahmane Ndiaye comme quelqu’un de « rigoureux, exigeant autant avec lui-même qu’avec ses collaborateurs, tycoon redoutable, mais honnête ». Convaincu que la qualité des ressources humaines est essentielle pour faire la différence dans ce métier, Ndiaye a institué au sein du groupe une politique sociale novatrice, en créant une coopérative de denrées alimentaires, d’habitat, une institution d’assurance-maladie interne…
Un secteur toujours informel
Les enjeux sont importants dans un marché de la sécurité dont la croissance annuelle, de l’ordre de 13 %, ne manque pas d’aiguiser bien des appétits. Raison pour laquelle, sans doute, le patron a interpellé le président Macky Sall sur la nécessité d’un cadrage réglementaire plus rigoureux pour « une activité toujours considérée, malgré son rôle de plus en plus important dans la société, comme un secteur informel ».
Pour ce faire, celui qui fut président de la défunte compagnie nationale Sénégal Airlines préconise la création d’un organisme placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur ayant pour mission la révision des conditions d’agrément des entreprises de gardiennage, de sécurité privée et de transfert de fonds.
Poulailler
S’il côtoie aujourd’hui de grands décideurs politiques au Sénégal et dans la sous-région ouest-africaine, Abdou Ndiaye, comme l’appellent ses intimes, est pourtant parti de rien. Au début des années 1960, ce Soninké – ethnie à l’âme voyageuse principalement répartie le long de la vallée du fleuve Sénégal entre le Sénégal, le Mali et la Mauritanie – part en France, le rite de passage de sa communauté. Il y travaille quelques années, puis revient au pays et met ses économies dans un poulailler. C’est la première affaire qu’il monte avant de se lancer dans la sécurité. Au début des années 1980, il crée Sogapress, dans la capitale mauritanienne, puis décide de poursuivre l’aventure à Dakar. On connaît la suite.
Avec jeuneafrique