Au Kenya, la corruption échappe désormais à tout contrôle, avertit le militant anti-corruption et lanceur d’alerte John Githongo dans une interview à l’AFP, dénonçant “l’administration la plus rapace” qu’ait jamais connue le pays.
Mardi, lors de sa visite au Kenya, le président américain Barack Obama n’avait pas hésité à fustiger le « cancer de la corruption » qui gangrène le pays.
Par ailleurs, il y a quelques jours, un rapport officiel jetait une lumière crue sur l’ampleur du problème: selon le vérificateur général du Kenya, Edward Ouko, à peine 1% des dépenses du gouvernement répondent aux règles comptables.
« La corruption au Kenya s’est intensifiée et étendue » depuis l’arrivée au pouvoir du président Uhuru Kenyatta en 2013, juge l’activiste, évoquant toute la série de scandales révélés par les médias sur des affaires de marchés publics ou de foncier, l’arnaque numéro un au menu kényan de la corruption.
Dans l’Indice de perception de la corruption 2014 de l’ONG Transparency International, le Kenya est classé 145e sur 174 pays. En 2013, il pointait à la 136e place. L’organisation de lutte contre la corruption alerte également sur « la vitesse à laquelle l’espace démocratique se réduit », avec des médias et une société civile sous pression.
Le gouvernement a beau affirmer qu’il lutte contre la corruption et le président Kenyatta s’être souvent exprimé contre ce fléau économique – y compris durant la visite d’Obama -, John Githongo dénonce des « paroles en l’air ».
« Il y a un fossé énorme entre ce qu’il dit et ce qu’il fait », affirme-t-il, accusant Uhuru Kenyatta et son vice-président, William Ruto, de créer « l’atmosphère » propice à une corruption de grande échelle pour « les fonctionnaires, les hommes politiques et les entrepreneurs ».
Dans un discours aux Kényans dimanche dernier, Barack Obama avait déclaré que « la corruption était tolérée parce que les choses avaient tout le temps été ainsi ».
Poursuites ‘cache-misère’
Même si les Kényans sont depuis longtemps familiers des pots-de-vins aux policiers et aux fonctionnaires, M. Githongo assure que le niveau de la corruption « surpasse tout ce que nous avons connu dans l’histoire kényane ». En vingt ans de militantisme, il dit n’avoir rien vu de comparable.
En 2002, M. Githongo avait été nommé au poste de « tsar anti-corruption » par le président d’alors, Mwai Kibaki, mais trois ans plus tard, il avait dû quitter le pays pour échapper à la mort après avoir découvert une arnaque de 700 millions d’euros dans un marché public truqué, celui d’Anglo Leasing dans le secteur de la sécurité.
Quant au gouvernement précédent, celui de Daniel arap Moi, qui a dirigé le pays durant 24 ans jusqu’en 2002, il avait été éclaboussé par le scandale retentissant de Goldenberg portant sur de fausses exportations d’or où 900 millions d’euros avaient été détournés.
Actuellement, des soupçons de pots-de-vin se portent sur le projet de construction, par les Chinois, de la ligne de chemin de fer Mombasa-Nairobi, essentielle au développement économique du Kenya. Soupçonnant des malversations, une commission parlementaire a exigé l’annulation de ce marché d’un montant de 12,4 milliards d’euros.
« Que seul 1,2% des dépenses du gouvernement aient été correctement comptabilisées est tristement révélateur de la mauvaise gestion des ressources publiques. Soit le système tout entier est défaillant, soit des élites corrompues s’en sont emparées », décrypte M. Githongo.
Jeudi, le ministre des Finances Henry Rotich a balayé les 361 pages du rapport du vérificateur général par un communiqué de trois pages disant que son ministère « avait depuis établi qu’aucune ressource n’avait été perdue ».
Quant aux poursuites – tardives – engagées dans le dossier Anglo Leasing, M. Githongo n’y voit qu’un « cache-misère » permettant au Kenya de prétendre combattre la corruption.
Le militant n’a pas plus été impressionné par la suspension de quelques ministres en mars, dépeignant le système bien rôdé consistant à quitter ses fonctions, aller faire un tour au tribunal et éviter les poursuites comme « une laverie visant à blanchir leurs réputations et leur permettre de revenir au service de l’Etat ».
« Cette administration n’aura pas un Goldenberg ou un Anglo Leasing, prédit le militant, mais nous en aurons plusieurs en même temps dans différents secteurs. »
Avec Jeune Afrique