Partout dans le monde, le numéro un mondial de la communication extérieure mise sur les appels d’offres. Mais, sur le continent, le marché est encore trop peu structuré.
À Abidjan, l’arrivée annoncée du groupe JCDecaux, numéro un mondial de la publicité extérieure (affichage, mobilier urbain, transports), suscite de grandes inquiétudes parmi les régies locales. Ces derniers mois, Jean-Sébastien Decaux, le fils cadet du fondateur, ainsi que Kamil Senhaji, directeur du développement en Afrique, ont intensifié leur lobbying auprès des élus de la capitale économique ivoirienne.
À tel point que Mahama Coulibaly, patron de Mediaways et président de la Chambre des afficheurs de Côte d’Ivoire (Cafci), craint que les autorités ne cèdent aux appels du groupe français en organisant un appel d’offres qui vienne interrompre le processus de réorganisation du secteur, en cours depuis 2013. « Environ 1 500 panneaux qui ne respectaient pas la réglementation ont été retirés, 1 500 autres doivent encore l’être pour répondre aux engagements pris avec le ministère de la Communication, explique-t-il. Il restera 3 000 panneaux sur Abidjan pour une quinzaine de régies, contre une quarantaine auparavant. Cette refonte implique d’importants investissements. À Mediaways, nous allons mobiliser environ 600 millions de F CFA [915 000 euros] – plus d’une année de chiffre d’affaires – pour renouveler nos panneaux 4×3, alors que leur nombre va passer de 200 à 80. On ne peut pas imaginer que JCDecaux décroche, grâce à sa puissance financière, des concessions qui excluent les PME locales. S’il veut s’implanter, il n’a qu’à attendre la fin de la réorganisation et acheter un des acteurs du marché. Avec le soutien des autorités, tout peut être fini en six mois. »
En Asie et au Moyen-Orient, nous avons déjà atteint une taille critique. L’Afrique, avec ses bonnes perspectives de croissance et son fort taux d’urbanisation, est la suite logique
Du côté de JCDecaux, on refuse de répondre sur le cas ivoirien spécifiquement, se contentant de rappeler quelques vérités générales. « On vit d’appels d’offres dans le monde entier, ce n’est pas le débat et, par ailleurs, nous ne gérons nulle part l’ensemble des supports. Pas plus à Paris qu’à Barcelone », se défend Jean-Sébastien Decaux. Directeur général pour l’Europe du Sud, il pilote également depuis 2013 la stratégie offensive du groupe sur un continent dont il était jusqu’alors relativement absent. « En Asie et au Moyen-Orient, nous avons déjà atteint une taille critique. L’Afrique, avec ses bonnes perspectives de croissance et son fort taux d’urbanisation, est la suite logique », affirme-t-il.
Sur un marché jusqu’alors très atomisé, où les principaux acteurs mondiaux et concurrents de JCDecaux (CBS Outdoor ou Clear Channel) sont absents, le groupe familial français n’a pas d’autre choix pour gagner la première place que de réaliser une acquisition majeure. Et c’est chose faite depuis le 18 juin et l’acquisition du sud-africain Continental Outdoor Media. JCDecaux a pris le contrôle de 70 % de son capital, les 30 % restants ayant été cédés au fonds communautaire local Royal Bafokeng Holdings.
La société sud-africaine réalise un chiffre d’affaires d’un peu moins de 50 millions d’euros – un montant très modeste comparé aux 2,8 milliards d’euros de revenus enregistrés par le groupe français en 2014 -, mais offre à JCDecaux une présence dans quatorze pays et un réseau de 35 000 panneaux d’affichage.
Continental Outdoor Media devient naturellement la tête de pont du développement de JCDecaux au sud de la Méditerranée. « Les membres de son équipe de management restent en place, et les sept collaborateurs de JCDecaux installés à Johannesburg pour gérer la concession de 110 panneaux obtenue en 2011 vont prochainement la rejoindre », explique Jean-Sébastien Decaux.
Quelques pays, avec lesquels le groupe français entretient des relations privilégiées, devraient néanmoins rester pilotés par la petite équipe dirigée à Paris par Kamil Senhaji. Ce sera le cas de l’Algérie – où l’entreprise s’est implantée en 2007 en obtenant le contrat de l’aéroport d’Alger et a prospéré -, du Cameroun – où elle gère depuis 2011 le mobilier urbain de Yaoundé -, de la Côte d’Ivoire et de quelques autres marchés francophones.
on ne gagne souvent de l’argent qu’au bout de sept ans
Si JCDecaux a fait le choix d’une croissance externe pour accélérer son développement, c’est parce que l’environnement concurrentiel ne lui avait pas jusqu’à présent permis de croître aussi rapidement qu’il l’espérait. Encore peu structuré, centré sur l’affichage, le secteur de la publicité extérieure en Afrique ne permet pas au groupe d’appliquer son modèle. Dans certaines capitales du continent, une quarantaine de régies publicitaires spécialisées dans la publicité extérieure bataillent parfois sur le marché de l’affichage 4×3, quand, en Europe, il est confié pour quinze ou vingt ans à une seule société.
« Il doit y avoir dans chaque ville une démarcation claire entre les différentes attributions. C’est le modèle que nous défendons auprès des municipalités et des annonceurs. C’est essentiel si l’on souhaite que notre offre de publicité permette de financer des services publics et des innovations. Installer des abribus et les entretenir coûte cher, on ne gagne souvent de l’argent qu’au bout de sept ans », justifie Jean-Sébastien Decaux. Dénonçant une organisation anarchique et inefficace, il met en garde contre les effets pervers du système actuel. « Des municipalités insatisfaites, c’est dangereux. L’an dernier, Libreville a fait raser quasiment tous les panneaux publicitaires », prévient-il.
C’est d’ailleurs cette approche, où afficheurs et collectivités travaillent main dans la main, qui fait peur à des acteurs locaux de petite taille qui craignent d’être évincés par la puissance de JCDecaux.
Tout en menant ce travail de sensibilisation auprès des partenaires publics, le groupe français n’écarte pas la possibilité d’une nouvelle opération de croissance externe. Le sud-africain Alliance Media (25 000 panneaux dans 23 pays) ferait alors figure de cible potentielle. JCDecaux admet également réfléchir à des collaborations plus importantes avec le groupe Bolloré, propriétaire de Havas et investisseur important en Afrique, avec lequel le groupe de communication extérieure a créé en 2011 une coentreprise active uniquement au Cameroun. Pour l’instant…
Avec Jeune Afrique