Rive desséchée du Nil blanc à Khartoum, Soudan. Photo: Banque mondiale/Ame Hoel
Le changement climatique s’accompagnera d’effets sans précédent. On assistera par exemple à une baisse des rendements agricoles, des saisons de végétation brèves et les modifications du régime des précipitations rendront l’accès à l’eau difficile. La population en Afrique devrait atteindre deux milliards dans moins de 37 ans et, dans 86 ans, trois naissances sur quatre se produiront sur le continent.
La baisse des rendements agricoles et l’accroissement démographique exerceront une pression supplémentaire sur un système de production alimentaire déjà fragile. Dans un tel contexte, les experts signalent que, si la situation actuelle perdure, l’Afrique ne pourra subvenir qu’à 13% de ses besoins alimentaires d’ici à 2050. Cela fera également peser une nouvelle menace sur les quelque 65% de travailleurs africains dont la subsistance dépend de l’agriculture, y compris sur les enfants et les personnes âgées – premières victimes de l’insécurité alimentaire.
À l’heure actuelle, quelques 240 millions d’Africains souffrent déjà de la faim. D’ici 2050, il suffira d’une augmentation de 1,2 à 1,9 degré Celsius environ pour accroître d’entre 25 et 95% le nombre d’Africains sous-alimentés (+ 25% en Afrique centrale, + 50% en Afrique de l’Est, + 85% en Afrique australe et + 95% en Afrique de l’Ouest). La situation sera catastrophique pour les enfants, dont la réussite scolaire dépend d’une alimentation appropriée. La Commission économique pour l’Afrique (CEA) estime que le retard de croissance infantile provoqué chez les enfants par la malnutrition pourrait priver les pays africains de 2 à 16% de leur produit intérieur brut.
Une agriculture africaine sous pression climatique
Des changements climatiques tels que la hausse des températures et la réduction des réserves en eau, ainsi que la perte de biodiversité et la dégradation des écosystèmes, ont un impact sur l’agriculture. Selon la célèbre revue scientifique internationale Science, l’Afrique australe et l’Asie du Sud seront les deux régions du monde dont les productions agricoles seront les plus affectées par le changement climatique d’ici à 2030. À titre d’exemple, les variétés de blé se développent bien à des températures comprises entre 15 et 20 ºC, mais la température moyenne annuelle en Afrique subsaharienne dépasse aujourd’hui cette plage pendant la saison de végétation. Si ces tendances climatiques se poursuivent, la production de blé pourrait donc enregistrer une baisse de 10 à 20% d’ici à 2030 comparé aux rendements des années 1998-2002.
L’insécurité alimentaire pourrait également être source d’instabilité sociale, comme cela a déjà été le cas par le passé. Entre 2007 et 2008, plusieurs pays avaient connu des émeutes en réaction à une flambée des prix des produits alimentaires de première nécessité. En 2010, des centaines de manifestants étaient descendus dans les rues au Mozambique pour protester contre une hausse de 25% du prix du blé, provoquée par une pénurie mondiale, en partie imputable aux feux de forêts ayant ravagé les cultures en Russie, suite à une période de températures extrêmes. L’augmentation du prix du pain avait provoqué des violences, des pillages, des incendies, et même des morts.
Le rapport Africa’s Adaptation Gap (L’écart de l’adaptation en Afrique) du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), signale qu’un réchauffement d’environ deux degrés Celsius entraînerait une réduction de 10% du rendement agricole total en Afrique subsaharienne d’ici 2050; un réchauffement supérieur (plus probable) pourrait porter ce chiffre à 15 ou 20%.
Les mauvaises nouvelles ne s’arrêtent pas là pour l’agriculture africaine : d’ici le milieu du siècle, la production de blé pourrait enregistrer une baisse de 17%, 5% pour le maïs, 15% pour le sorgho, et 10% pour le mil. Si le réchauffement dépassait les trois degrés Celsius, toutes les régions actuellement productrices de maïs, de mil et de sorgho deviendraient inadaptées à ce type de cultures. La question est donc de savoir si le système agricole africain est prêt à relever le défi.
Protéger les ressources hydriques
Des précédents montrent qu’il est possible d’accroître la production agricole dans un contexte de changement climatique. Les analystes considèrent donc que les pays africains devront intégrer ces connaissances à leur planification, et qu’il leur faudra protéger et consolider leurs ressources hydriques, cruciales pour la sécurité alimentaire.
Dans les années à venir, l’eau nécessaire à l’agriculture se fera de plus en plus rare. Selon le PNUE, 95% de la culture africaine est pluviale. Pour la Banque mondiale, la disponibilité totale des eaux «bleues et vertes» (issues des précipitations et des rivières) diminuera très probablement de plus de 10% dans toute l’Afrique d’ici à 2020. Le changement climatique menace aussi la biodiversité et les écosystèmes, qui constituent le pilier de l’agriculture. Ces pertes affecteront la qualité des sols et de la végétation dont dépend le bétail pour son alimentation. Toujours selon la Banque mondiale, la réduction potentielle de la biodiversité, des cultures et des ressources en eau devrait obliger l’Afrique à réexaminer son système alimentaire actuel, obligeant le continent à travailler avec la nature et non contre elle.
De nouvelles approches plus efficaces
La capacité de la révolution agricole industrielle à résoudre tout ou une partie des problèmes climatiques en Afrique reste sujette à débat. Les experts soutiennent que l’agriculture industrielle est actuellement responsable du tiers de toutes les émissions de gaz à effet de serre, principale cause du changement climatique. Ils considèrent également que les ressources et les infrastructures nécessaires à l’exploitation d’un système agricole industriel ne sont pas à la portée des petits exploitants africains.
De nouvelles machines seraient synonymes de réduction de la main-d’œuvre, ce qui pourrait entraîner une hausse du taux de chômage et une baisse des salaires pour les nombreux Africains vivant de l’agriculture. Les pratiques actuelles seront insuffisantes pour satisfaire la future demande alimentaire, l’Afrique se doit donc d’adopter de nouvelles approches plus efficaces.
En juillet 2013, les dirigeants africains ont pris l’ambitieux engagement d’éradiquer la faim d’ici 2025. Ils comptent encourager les exploitants à abandonner progressivement l’agriculture de rendement, les systèmes agricoles fragiles et les cultures exigeant de grandes quantités d’engrais et de pesticides, au profit de pratiques durables et résilientes au changement climatique. L’épuisement des nutriments représente, à lui seul, une perte de capital naturel comprise entre un et trois milliards de dollars par an, selon les résultats publiés par le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD).
Une adaptation fondée sur les écosystèmes
Pour que l’Afrique puisse libérer son potentiel, les décideurs politiques du secteur agricole et de l’environnement doivent joindre leurs forces à celles de la société civile et des organisations non gouvernementales afin d’évaluer les options permettant aux agriculteurs, et à l’environnement, de s’adapter au changement climatique. L’une des options à l’étude est l’adaptation fondée sur les écosystèmes, dont l’objectif est d’atténuer les effets du changement climatique en utilisant des systèmes naturels, comme par exemple des variétés résistantes à la sécheresse, des méthodes de stockage d’eau plus efficaces et des systèmes de rotation culturale variés, indique le PNUE.
En Zambie, 61% des agriculteurs ayant appliqué ces méthodes fondée sur les écosystèmes, telles que des pratiques de préservation des ressources naturelles ou d’agriculture biologique durable, ont rapporté des excédents de production. Dans certains cas, les rendements ont enregistré une croissance allant jusqu’à 60%, tandis que les ventes d’excédents sont passées de 25,9 à 69%. Au Burkina Faso, les agriculteurs utilisent des méthodes traditionnelles pour restaurer les sols : en creusant des micro-bassins (connus localement sous le nom de zaï) dans une terre dévitalisée, puis en les remplissant de matières organiques, certains fermiers burkinabés sont capables de revitaliser les sols et d’améliorer le stockage des eaux souterraines afin d’accroître leur productivité. Ces exploitants ont ainsi récupéré 200 000 à 300 000 hectares de terres dégradées et produit 80 000 à 120 000 tonnes de céréales supplémentaires, selon les estimations.
D’autres options consistent à protéger les bassins versants et à améliorer leur capacité à retenir l’eau et à la transporter là où elle est la plus nécessaire; mettre en œuvre des programmes de lutte intégrée contre les nuisibles pour protéger les cultures de manière rentable et naturelle; pratiquer l’agroforesterie, la culture intercalaire et la rotation culturale pour diversifier les apports en nutriments et accroître les rendements de manière durable et naturelle; entretenir les forêts et utiliser les aliments forestiers; utiliser des engrais naturels tels que le fumier; et recourir à des pollinisateurs naturels tels que les abeilles qui, selon une récente étude, pourraient permettre d’accroître de 5% le rendement des arbres fruitiers. Toutes ces alternatives sont rentables : le projet entrepris en Zambie ne coûte que 207 dollars par personne, et des projets similaires développés en Ouganda et au Mozambique reviennent respectivement à 14 et 120 dollars par personne.
Une lueur d’espoir
Les prévisions les plus pessimistes concernant les effets du changement climatique suggèrent que l’Afrique pourrait perdre 47% de ses revenus agricoles d’ici à l’an 2100, tandis que les plus optimistes prédisent une perte de 6% seulement. Ce second scénario part du principe que des pratiques et des infrastructures d’adaptation au changement climatique sont déjà en place. Néanmoins, l’écart entre ces deux estimations est suffisamment important pour justifier des investissements dans des stratégies d’adaptation qui permettront à l’Afrique de mettre à profit ses vastes ressources naturelles. Pour parvenir à consolider son agriculture et à enrayer la faim, les analystes considèrent que le continent devra composer avec son environnement naturel afin de le rendre plus productif et résilient au changement climatique.
À travers le continent, de nombreuses communautés ont déjà commencé à développer une résilience en stimulant les écosystèmes existants et les ressources naturelles disponibles. C’est en mettant en œuvre ces bonnes pratiques et en gérant les effets inévitables du changement climatique de manière appropriée que le continent pourra subvenir à ses besoins alimentaires. L’Afrique n’est pas inéluctablement vouée à l’indigence.
Richard Munang est le Coordonnateur régional pour les changements climatiques du Bureau régional pour l’Afrique du PNUE. Pour le suivre sur Twitter : @MTingem.
Jesica Andrews est spécialiste de l’adaptation des écosystèmes au Bureau régional pour l’Afrique du PNUE.
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