La visite des officiels du Fonds monétaire international (FMI) devant permettre de débloquer de nouvelles tranches de prêt se fait attendre. Or le pays a besoin de ces ressources pour faire face à ses échéances.
Viendra ? Viendra pas ? C’est la question qui taraude les milieux économiques et financiers tunisiens après qu’une visite dite de revue du Fonds monétaire international (FMI), prévue fin mars, a été reportée fin avril. Pour la Tunisie, cette mission d’audit du bailleur de fonds international est cruciale. Elle doit permettre, ou non, le déblocage de près de 700 millions de dollars (près de 650 millions d’euros) correspondant aux deuxième et troisième tranches du prêt de 2,9 milliards de dollars sur quatre ans consenti par le FMI et dont seuls 320 millions de dollars ont été décaissés en 2016.
Ces sommes sont vitales pour l’État tunisien, dont les caisses sont vides au point que des élus de Nidaa Tounes, parti au pouvoir, annoncent des difficultés à venir pour régler les salaires de la fonction publique du mois de mai et le risque d’une mise en défaut de paiement.
13 milliards d’euros promis lors de Tunisia 2020
La position du FMI détermine également celles des autres bailleurs de fonds tels que la Banque mondiale (BM) ou la Banque africaine de développement (BAD) avec à la clé la libération, en plus des crédits du FMI, de 1,06 milliard de dollars destinés à la relance économique et au développement du pays.
Pourtant, le succès de la conférence économique Tunisia 2020 en novembre 2016 laissait présager une sortie de crise. Le pays avait reçu de très nombreux soutiens, dont ceux de la Banque européenne d’investissement (BEI), du Fonds arabe pour le développement économique et social (Fades), et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd). Au total, 13 milliards d’euros de promesses d’investissement avaient été récoltées. La manifestation avait renforcé en outre la visibilité internationale à la Tunisie. Pendant la conférence, Christine Lagarde, la directrice du FMI, avait affirmé son appui au processus de transition économique.
Des réformes attendues par le FMI et non tenues
Reste que, près de quatre mois plus tard, le pays est bien loin d’avoir récolté cette manne. Le gouvernement n’a pas été rigoureux dans le suivi les engagements qu’il avait pris devant le FMI en matière de réforme du système bancaire, de fiscalité, du système de compensation des hydrocarbures et des produits de première nécessité. Et, alors qu’une réduction de la masse salariale de la fonction publique avait été promise, celle-ci est passée de 8,8 milliards de dinars (3,5 milliards d’euros) par an en 2012 à près de 13 milliards de dinars aujourd’hui.
Le gouvernement avait aussi prévu une taxe exceptionnelle de 7,5 % prélevée sur les bénéfices des entreprises, mais celle-ci ne sera effective qu’en 2018, tout comme d’autres recettes fiscales. Ce report, qui se chiffre à près de 1 milliard de dinars, va creuser davantage le déficit des finances publiques à hauteur de 6 % du PIB fin 2016. Faute de nouvelles entrées en 2017, la Tunisie, dont la dette atteint désormais 60 % du PIB, ne tiendra pas sans les bailleurs de fonds internationaux.
Satisfaire à la fois les syndicats et les institutions
« Le FMI ne dispose pas de cadre pour évaluer des pays en transition radicale comme la Tunisie ou l’Égypte. Il a le même niveau d’exigence qu’avec des pays plus stables qui n’ont pas changé de régime. Mais, si le FMI sursoit à sa visite, c’est aussi pour ne pas mettre la Tunisie dans de plus grandes difficultés en émettant un diagnostic en sa défaveur« , estime Hakim Ben Hammouda, ancien ministre de l’Économie et des Finances, selon lequel il faudrait que l’institution de Bretton Woods accorde des délais plus longs, notamment pour la réforme du système bancaire.
« Nous tendons le bâton pour nous faire battre« , juge quant à lui l’économiste Ezzedine Saidane. « Sous la pression des syndicats, le Premier ministre est revenu sur la décision de ne pas augmenter les salaires des fonctionnaires : il leur a accordé une baisse d’impôt, ce qui revient au même. Cette manœuvre indispose le FMI et remet en question la crédibilité du pays, sans avoir pour autant totalement satisfait les syndicats« , regrette-t‑il.
Situation politique inadéquate aux réformes
Selon Ezzedine Saidane, il n’y a pourtant pas de solution alternative à l’aide du FMI, car toute tentative de lever des fonds sur les marchés financiers pourrait ne pas trouver de souscripteurs, même à un taux élevé. Or, selon l’agence de notation Fitch Ratings, qui a abaissé la note de la Tunisie de BB- à B+ en février, le pays a besoin d’emprunter sur les marchés l’équivalent de 7 % de son PIB pour faire face aux échéances et aux besoins de son budget.
Pour Radhi Meddeb, économiste et patron de Comete Engineering, « avec les tiraillements politiques actuels, les conditions ne sont pas réunies pour réformer quoi que ce soit. Or le FMI demande comment et dans quels délais nous respecterons les accords passés, et il veut des réponses claires« .
Malgré tout, des sources proches du FMI à Tunis se veulent rassurantes : elles assurent que, si la prochaine revue ne compte pas distribuer de satisfecit au gouvernement en avril, elle permettra néanmoins le déblocage de la deuxième tranche du prêt. Elles sont plus sceptiques quant au décaissement de la troisième tranche. La Tunisie pourrait donc jouir d’une petite bouffée d’oxygène, mais pour combien de temps encore ?
CHEDLY AYARI, UN GOUVERNEUR À LA MANŒUVRE
Aux côtés de Lamia Zribi, ministre des Finances, et de Fadhel Abdelkefi, ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération Internationale, c’est Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie (BCT), qui est en première ligne dans les négociations avec le FMI. Son rôle a été renforcé par le nouveau statut de la Banque centrale, adopté en avril 2016, qui lui attribue le rôle de conseiller économique et financier du gouvernement.
Anticiper l’inflation des prix
Sous sa houlette, la BCT a pris l’engagement de mener une politique monétaire prudente, notamment en anticipant les tendances inflationnistes. Mais les discussions achoppent en particulier sur le taux de change réel du dinar par rapport au dollar : l’institution de Bretton Woods considère que la monnaie tunisienne est surévaluée de 6 % à 13 %, ce qui nuit selon elle à la compétitivité du pays.
Avec Jeuneafrique