Même si globalement, les capacités scientifiques, technologiques et innovatrices de l’Afrique s’améliorent, les pays du continent ne font pas assez pour booster leurs capacités. C’est en substance le propos de l’African Capacity Report 2017, publié par The African Capacity Building Foundation, une organisation continentale fondée par les gouvernements africains et les partenaires de développement.
Le document classifie les pays africains selon un indice appelé African Capacity Index (l’indice de la capacité africaine, ndlr), calculé selon une évaluation qualitative et quantitative d’éléments comprenant l’environnement politique, la mise en œuvre des politiques encourageant l’innovation et la recherche scientifique, les performances de développement au niveau national et les résultats en matière de développement de capacités.
Sur le podium de l’innovation et de la recherche, l’on retrouve le Maroc, la Tanzanie et le Rwanda. Le royaume chérifien a obtenu un score de 71,6, la Tanzanie, de 68,8 et le Rwanda, de 68,2.
De façon globale, les résultats de l’indice sont généralement « satisfaisants ». Neuf pays se situent dans la tranche supérieure du classement, 33 dans la tranche moyenne et deux dans la tranche inférieure, mais aucun pays ne figure dans la tranche la plus basse.
Autrement dit, tous les pays d’une façon ou d’une autre disposent du « minimum syndical » pour développer leurs capacités de recherches et d’innovation. Bien entendu, beaucoup reste à faire. L’analyse des résultats de l’indice montre que d’une année à l’autre, la majeure partie des pays ont pu améliorer l’état de leurs capacités scientifiques technologiques et innovatrices.
Durant la dernière décennie, la plupart des pays africains se sont enfin rendu compte du rôle potentiel des sciences et des technologies dans l’enseignement supérieur. Cette prise de conscience se manifeste surtout par l’augmentation des taux d’inscription dans les universités et de construction des institutions universitaires : le Kenya en comptait 67 parmi les meilleures en Afrique en 2014. En Ethiopie, le nombre d’universités publiques est passé de 7 en 2007 à 34 en 2012. Le Rwanda par contre, a fusionné toutes les universités, en vue de concentrer les ressources et améliorer la collaboration entre les chercheurs. Cependant, le problème qui se pose est que l’accent a été essentiellement mis sur les compétences techniques non fondamentales, telles que les sciences humaines et les sciences sociales plutôt que sur la recherche fondamentale.
Cette tendance provient principalement du fait que les coûts de la formation en science et en ingénierie sont substantiellement élevés. Une réalité qui laisse des étudiants talentueux, mais pauvres, en marge de ces filières. La plupart des pays africains ont mis en place des politiques de partage des coûts dans l’enseignement supérieur. C’est le cas de la Namibie et du Zimbabwe. Le Ghana, la Tanzanie et la Zambie ont mis en place un système double qui accepte les étudiants à titre payant et les boursiers. En Namibie et en Afrique du Sud, tous les étudiants de l’enseignement supérieur s’acquittent de frais de scolarité et des facilités de prêt sont accordées aux étudiants issus de milieux défavorisés. De même, des programmes de prêt ont été adoptés dans d’autres pays comme la Tanzanie, le Lesotho, le Ghana et le Kenya pour répondre aux besoins financiers des étudiants qui sont dans le besoin.
L’ambition est là, pas les moyens
Sur le papier, la plupart des pays du continent dispose d’un environnement politique propice à l’innovation. Presque tous les pays disposent d’un programme gouvernemental pour la recherche et du développement. Ces plans intègrent les secteurs privés et publics, les universités, les incubateurs de startups… Seulement, ils ne donnent pas de résultats tangibles.
Autre frein à l’élaboration des politiques nationales de sciences, technologie et d’innovation efficaces, l’absence d’une évaluation complète des besoins des secteurs public et privé, y compris ceux des établissements d’enseignement supérieur. Dans beaucoup de pays, des « lacunes disciplinaires » impactent la qualité des recherches, comme la capacité des organismes à répondre aux demandes du marché.
La fuite des cerveaux n’est également pas sans impact. Le départ de profils pointus nuit massivement à la qualité et la pertinence pratique des recherches. Pour les retenir, il ne suffit pas d’améliorer leurs salaires, mais leur permettre les moyens de leurs ambitions… autrement dit : investir !
Des fonds pour la recherche, mais loin d’être assez
D’un point de vue régional, en Afrique de l’Est et Centrale, les dépenses de R&D sont encouragées par le secteur public et le secteur privé. Le Kenya est parmi les pays africains avec les dépenses de R&D les plus élevées avec 0,79 % du produit intérieur brut (PIB) en 2010. Ce pourcentage devrait augmenter avec la création du Fonds national pour la recherche, qui devrait recevoir 2% du PIB par an. L’Afrique australe présente une grande disparité en matière de dépenses de R&D, les niveaux se situant entre 0,01 % au Lesotho et 1,06 % au Malawi. En Afrique du Sud, la diminution des financements privés pour la R&D a été énorme depuis la crise financière mondiale, malgré l’augmentation des dépenses publiques dans le domaine de la recherche, ce qui explique en partie la diminution du rapport dépenses relativement au PIB qui se situe entre 0,89 % en 2008 et 0,73 % en 2012.
En Afrique du Nord, les dépenses sont généralement plus élevées qu’en Afrique subsaharienne, même si elle n’a pas encore atteint le seuil de 1 % : 0,79 % au Maroc en 2015, 0,68 % en Égypte en 2013 et 0,86 % en 2014 en Libye. En Tunisie, les dépenses en recherches ont subi une diminution de 0,71 % en 2009 à 0,68 % en 2012. Mais ce n’est pas parce que l’Afrique du Nord dépense plus qu’elle fait mieux. Comme dans le reste du continent, le manque de capacités en ressources humaines et matérielles porte préjudice à des mesures pourtant ambitieuses.
Pour que l’Afrique devienne compétitive à l’échelle mondiale et pour qu’elle puisse combler le déficit de développement avec le reste du monde, les doivent investir plus. Aujourd’hui, la moyenne du volume investi dans la recherche ne dépasse pas les 0,5% du PIB. Le chiffre est, évidemment, loin d’être suffisant pour que l’Afrique réalise son « éveil » scientifique et technologique. L’organisation appelle les pays à honorer leur engagement d’investir 1% du PIB dans la R&D. Pour les pays les plus ambitieux, il faudra porter ce volume à environ 3% du PIB. Les pays africains doivent mettre en place des systèmes de financement durables pour les sciences et la R&D. Des systèmes qui disposent d’un financement compétitif et adapté pour réorienter l’écosystème de la recherche pour qu’il s’intéresse aux technologies et aux innovations durables conçues et détenues par les entreprises émergentes et les startups. L’urgence est aussi d’impliquer le secteur privé dans l’innovation. Aujourd’hui, dans la plupart des pays africains, la majeure partie de l’investissement intérieur dans la R&D provient du gouvernement.
L’Afrique doit soutenir l’Afrique…
La collaboration panafricaine doit être également être mise en avant. Selon l’organisation, des organismes régionaux comme la Communauté d’Afrique de l’Est, la CEDEAO et la Communauté de développement d’Afrique australe devraient élaborer et mettre en œuvre des stratégies pour établir des systèmes régionaux de sciences technologie et innovation. L’idée est de se concentrer sur l’établissement d’infrastructures communes et régionales de R&D et l’harmonisation des normes techniques et réglementaire de la recherche en Afrique mais aussi l’encouragement des partenariats public-privé au-delà des frontières nationales et la facilitation de l’adoption de cadres régionaux de protection des droits de propriété intellectuelle. L’organisation va d’ailleurs encore plus loin en encourageant le développement d’universités régionales.