Coorganisée par le Groupe Jeune Afrique, la Banque africaine de développement et rainbow unlimited, la 5e édition du Africa CEO Forum a réuni avec succès plus de 1 200 décideurs économiques les 20 et 21 mars, à Genève.
«Réinventer le business model de l’Afrique ? » Le milliardaire anglo-soudanais Mo Ibrahim s’étonne. « L’Afrique n’est pas une entreprise ! C’est un ensemble de 54 pays. Diriger un pays est évidemment bien différent que de gérer une entreprise », martèle celui qui a fait fortune en revendant en 2005 son groupe de téléphonie mobile Celtel pour près de 3,5 milliards de dollars. À ses côtés, un autre milliardaire, l’Égyptien Naguib Sawiris, acquiesce de la tête.
Le débat de cette 5e édition du Africa CEO Forum venait à peine d’être ouvert que le président de la fondation du même nom, incorrigible impertinent, était à la hauteur de sa réputation, critiquant l’intitulé même de ce qui est devenu le plus grand rendez-vous du secteur privé africain. « On ne peut pas parler de business model pour l’Afrique. La seule question qui se pose pour relancer le dynamisme économique du continent est celle de la bonne gouvernance », insiste Mo Ibrahim, soutenu par une assemblée conquise par son sens de la rhétorique.
1200 participants
Pourtant, ce lundi matin, à l’Intercontinental de Genève, où est revenu le Africa CEO Forum après Abidjan, en 2016, les 1 200 participants (patrons de groupes africains et internationaux, chefs d’État, ministres, consultants, journalistes…) sont tous d’accord : il est devenu impératif pour le continent de mettre en œuvre des politiques lui permettant de mieux affronter des chocs tels que la chute des prix des matières premières. Car depuis la dégringolade, en 2014, des cours du pétrole et de ceux des principaux minerais qu’elle exporte, l’Afrique a vu s’arrêter net le dynamisme affiché ces dernières années par ses économies.
Certes, une dizaine de pays résistent bien à la tempête, mais de manière générale le taux de croissance moyen du PIB de l’ensemble du continent est descendu à des niveaux que l’on n’avait plus enregistrés depuis au moins deux décennies (un peu plus de 2 % en 2016, contre une moyenne de 5,3 % entre 2010 et 2014). Le Nigeria et l’Afrique du Sud, les principales locomotives, qui représentent à eux deux plus du tiers du produit intérieur brut continental, sont en panne.
Comment relancer la machine économique et la maintenir durablement à plein régime dans un monde tourmenté par la montée du nationalisme ou du protectionnisme ? Telle était donc la question de fond soumise pendant deux jours aux décideurs économiques africains et internationaux à l’hôtel Intercontinental de Genève.
Il faut trouver un moyen pour que le secteur de l’agriculture soit aussi attrayant pour les investisseurs que la téléphonie mobile, car 70 % de nos emplois en dépendent
Une multitude de propositions ont bien évidemment émergé. Parmi elles, la nécessité d’accélérer la productivité du continent en s’appuyant sur les technologies de l’information et de la communication, et d’accroître la production énergétique et l’accès des populations à l’électricité.
Mais, de toutes, le développement et la promotion de l’agriculture sont apparus comme l’une des principales priorités. « Il faut trouver un moyen pour que ce secteur soit aussi attrayant pour les investisseurs que la téléphonie mobile, car 70 % de nos emplois en dépendent », a ainsi soutenu Mo Ibrahim.
Insécurité alimentaire
Younes Zrikem, spécialiste de l’agroalimentaire au Boston Consulting Group de Casablanca, confirme : « Il faut dire la vérité. Pendant plusieurs décennies, il y a eu un désintérêt complet pour ce secteur en Afrique. Il a fallu la très grave crise alimentaire de la fin des années 2000 pour qu’il y ait une prise de conscience. »
Mais, d’après l’expert, la situation est depuis en train de s’inverser. D’ailleurs, alors qu’il ouvrait le panel consacré à l’agroalimentaire, il a souligné que la production mais aussi les rendements ont augmenté ces dix dernières années. Tandis que les consommateurs africains ont montré de l’appétit pour les produits locaux, qui concurrencent les marques internationales sur des segments de plus en plus variés, à l’image des produits laitiers (marque Jaouda, de la coopérative agricole Copag) ou encore des boissons (Chi, au Nigeria – récemment racheté par Coca-Cola –, avec ses marques Chivita et Hollandia).
Un grand défi
Mais, pour mettre fin à l’insécurité alimentaire qui touche un Africain sur cinq (240 millions de personnes), il faut aller plus loin : accès au crédit, sécurisation des cadastres, amélioration des rendements, mais aussi irrigation et mécanisation des parcelles. « Tout, les engrais, les semences, les machines, devrait être taxé à 0 % » à l’import, a ainsi plaidé Jean-Marie Ackah, qui dirige la Confédération générale des entreprises de Côte d’Ivoire (CGECI) et préside le groupe avicole ivoirien Sipra. Et de rappeler qu’il n’y a pas de fatalité : « Les pays d’Asie ne produisaient pas du tout de volaille il y a trente ans. Ils sont aujourd’hui les premiers producteurs au monde. Pourquoi ne ferait-on pas pareil en Afrique ? »
Après la chute
Par ailleurs, s’il fallait une preuve que les industries extractives conservent, malgré le coup de chien subi depuis 2014, un fort pouvoir d’attraction sur les gouvernants et les investisseurs, le panel consacré à ce secteur aurait convaincu l’observateur le plus sceptique.
Expert en sous-sol africain, Pascal Agboyibor, avocat associé au cabinet Orrick, a dressé un tableau pas franchement réjouissant du continent après la chute vertigineuse des prix des matières premières : recul de la croissance moyenne, abandon de projets miniers ou de recherche d’hydrocarbures, austérité budgétaire, etc.
Heureusement, le creux de la vague semble, selon lui, passé : les prix du baril de brut ou de la tonne de minerai de fer sont repartis laborieusement à la hausse ; on a trouvé du gaz au large du Sénégal et on s’apprête à exploiter un gisement pétrolier dans le lac Albert ; la Chine rachète à tour de bras les concessions des Rio Tinto ou Vale. Il restait à tirer les leçons de la crise.
Le panel a surtout mis en lumière la formidable confiance de ses membres. Pour le Premier ministre guinéen, Mamady Youla, il faut accélérer la réalisation des projets qui ont trop longtemps pâti d’aléas techniques, financiers et politiques.
Pour Francis Gatare, directeur général de Rwanda Mines, Petroleum and Gas Board et membre du gouvernement rwandais, il importe de préparer l’insertion des entreprises africaines dans la chaîne de valeur énergétique et minière en améliorant la formation des hommes et la transparence.
La crise n’a pas empêché Basil El-Baz, PDG de l’égyptien Carbon Holdings, de trouver les fonds qui lui ont permis depuis vingt-deux ans de développer ses activités dans la pétrochimie. Et s’il peste contre les taux de change chaotiques, Austin Avuru, directeur général du pétrolier indépendant nigérian Seplat, croit dur comme fer que son entreprise a un avenir à la mesure des énormes besoins énergétiques africains.
Il restait à Kodeidja Diallo, directrice des opérations avec le secteur privé de la Banque africaine de développement (BAD), à conforter cet optimisme en assurant que son institution accompagnera par ses financements et ses conseils le regain espéré, de façon que ni les populations ni l’environnement ne soient les laissés-pour-compte des puits, des forages et des usines de raffinage ou d’enrichissement.
En une heure, il était impossible d’obtenir des réponses à toutes les questions. Comment éviter de transformer les richesses de la terre africaine en sources de malédiction ? Comment éviter la concurrence fiscale stérile entre pays africains, qui les met à la merci des majors multinationales ? Comment bâtir des codes miniers, pétroliers et d’investissements qui rassurent les investisseurs sans léser le pays hôte ? Comment garantir la transparence des comptes ? Comment obtenir les transferts de technologie qui permettront à l’Afrique de remonter dans la chaîne de valeur et de transformer – enfin ! – les produits bruts de ses sous-sols ? À suivre, donc.
Avec jeuneafrique