Ils en ont quand même un peu parlé. On n’avait même rarement vu autant de candidats à l’élection présidentielle française citer, même brièvement, les enjeux de l’énergie et du climat que lors de ce premier débat télévisé qui les a opposés hier soir, lundi 20 mars.
Mais pour Jean-Marc Jancovici, expert du climat et fondateur du think tank The Shift Project dédié à la transition énergétique, il est “un peu futile de se préoccuper de nos retraites ou de savoir si l’école primaire sera capable de correctement remplir sa fonction” si l’on ne parvient pas à s’occuper en même temps des conditions de stabilité et de l’espérance de vie sur Terre.
Rappelant quelques chiffres et ordres de grandeur pour mieux alerter sur l’urgence, il a prôné, lors d’une conférence de presse ce mardi 21 mars, la fin des mesures “anecdotiques” face au défi climatique et une “révolution douce”.
Une stratégie bas-carbone adoptée par l’Europe avant 2020
C’est ce qui sous-tend le “Manifeste pour décarboner l’Europe” lancé par The Shift Project, avec pour objectif de faire monter le sujet dans le débat public d’ici à l’élection, voire d’inciter les présidentiables à s’engager “à plaider avec détermination au sein du Conseil européen pour que celui-ci adopte avant 2020 une stratégie et un plan d’action à la mesure de l’accord de Paris, capables de permettre à l’Union européenne de parvenir à un niveau d’émissions nettes de gaz à effet de serre aussi proche que possible de zéro en 2050, afin de sauvegarder l’Europe face aux défis du changement climatique, de la préservation des ressources naturelles et de l’indépendance énergétique, et lui permettre d’être pionnière et leader d’une économie durable”.
Pour ce faire, le think tank mise sur la pression que la société civile peut exercer sur les politiques, « une méthode qui a prouvé son efficacité en Europe par le passé, notamment sur l’euro », rappelle Matthieu Auzanneau, son directeur.
Réconcilier l’économie et la politique au chevet du climat
Près de 1.900 signataires ont d’ores et déjà endossé le manifeste, dont quelque 80 patrons de grandes entreprises mais aussi d’ETI et de PME, ainsi que des représentants d’organisations professionnelles et du monde académique français.
Ainsi, les climatologies Jean Jouzel (CEA) et Hervé Le Treut, les économistes Philippe Aghion ou Gaël Giraud (Agence française de développement), côtoient Xavier Huillard (Vinci), Jean-Bernard Lévy (EDF), Martin Bouygues, Jean-Dominique Senard (Michelin), Guillaume Pépy (SNCF), Martin Bouygues, Augustin de Romanet (Aéroports de Paris) ou Gauthier Louette, PDG de SPIE. Les secteur financier n’est pas en reste, avec des personnalités telles que François Pérol (BPCE), Nicolas Dufourcq (Bpifrance), Jean-Pierre Mustier (UniCredit), Frédéric Lavenir (CNP Assurances) ou encore le banquier Philippe Oddo et l’ancien directeur général de la Banque mondiale Bertrand Badré.
« Kyoto, c’étaient les politiques sans l’économie, et depuis la COP21, on a l’impression d’avoir l’économie sans la politique ; l’objectif c’est de réconcilier les deux », détaille Matthieu Auzanneau.
« Nous, signataires du présent manifeste pour décarboner l’Europe, appelons les Etats européens à lancer dès maintenant les politiques capables d’aboutir en 2050 à des émissions de gaz à effet de serre aussi proches que possible de zéro ! »
Une déclaration en ligne avec l’Accord de Paris largement soutenu par le monde économique. Pour parvenir à rester en dessous d’une hausse de la température moyenne de 2°C au niveau mondial, les émissions nettes doivent être nulles « quelque part entre 2050 et la fin du siècle », rappelle en effet Jean-Marc Jancovici. Pourtant, toutes les grandes entreprises françaises ne l’ont pas signé. On note ainsi l’absence d’Engie ou de La Poste parmi les noms traditionnellement très vocaux sur le sujet de la transition énergétique.
Un investissement équivalent à 3% du PIB européen
Un appel qui ne se confond pas avec les neuf mesures détaillées par le think tank pour y parvenir. Sans surprise, celles-ci visent les principaux émetteurs européens de gaz à effet de serre. Dans l’énergie, fermer toutes les centrales à charbon du Vieux continent ; dans les transports, diviser par deux la voiture individuelle dans les zones urbaines et péri-urbaines, généraliser la voiture à 2 litres aux 100 kilomètres et tripler le réseau de trains à grand vitesse entre villes européennes. Dans le bâtiment (36% des émissions), rénover tout le parc antérieur à 1990 et les bâtiments publics non résidentiels ; dans l’industrie, notamment les secteurs les plus énergivores (sidérurgie, chimie, ciment), passer à l’éco-conception et à l’économie circulaire pour inventer l’industrie lourde bas-carbone. L’agriculture (30% des émissions) et les forêts (qui absorbent 10% des émissions européennes) ne sont pas oubliées.
L’investissement correspondant à ces mesures est chiffré par le think tank entre 250 et 500 milliards d’euros par an, soit un peu moins de 3 % du PIB de l’Union européenne.
Le rôle de l’Europe face au président américain climato-sceptique
Malheureusement, le think tank reconnaît ne pas avoir connaissance d’initiative similaire dans d’autres Etat membres, avec lesquelles il pourrait se coordonner
Espérons néanmoins que ce l’efficacité de ce Manifeste se révélera plus efficace que la lettre ouverte adressée à Donald Trump par 360 entreprises, essentiellement américaines, en marge de la COP 22. Elles lui demandaient de respecter l’accord de Paris, mais aussi de “soutenir les investissements en faveur d’une économie bas-carbone aux Etats-Unis et à l’étranger, afin de donner plus de clarté aux décideurs financiers et de renforcer la confiance des investisseurs dans le monde”. A en juger par les annonces du président américain depuis son investiture, jusqu’à la nomination d’un climate-sceptique à la tête de l’Agence de protection de l’environnement dont il vient de sabrer 30% du budget, il ne semble y avoir été très sensible. Raison de plus pour les Européens d’occuper ce terrain et de ne pas laisser le champ libre à la Chine qui brûle de prendre le leadership sur le climat.