Lorsque le ciel s’assombrit à Oicha, à 30 kilomètres au nord de la ville de Beni, l’angoisse saisit Mwayuma*. Car, depuis deux ans, au cœur de ce territoire du Grand-Nord congolais, connue sous le nom de « triangle de la mort », entre Mbau, Kamango et Eringeti, l’arrivée de la pluie annonce souvent celle des ba tshinjayi, « les égorgeurs » en swahili.
En octobre, la jeune paysanne de 31 ans a échappé in extremis aux machettes de ces tueurs. Ses parents n’ont pas eu la même chance. Ils ont été massacrés dans leur champ. C’est après cet épisode que Mwayuma et ses frères ont fui leur village de Mayi Moya. « Il n’y a plus personne là-bas. Ça sent la mort partout ! » explique-t-elle.
« La situation peut dégénérer à tout moment », prévient le capitaine Mak Hazukay, porte-parole de l’opération « Sokola 1 », lancée début 2014 par les FARDC pour traquer les rebelles ougandais des Forces démocratiques alliées (ADF), qui sévissent ici depuis vingt ans et sont accusés d’être les principaux responsables de ces tueries. Malgré la présence des Casques bleus dans les champs de maïs, entre 6 heures et 18 h 30, pour protéger les paysans, la Monusco déconseille de traverser ce territoire.
Pour survivre dans la forêt et mener cette entreprise criminelle, il faut avoir le soutien d’autochtones
Des tueries ont même été perpétrées en octobre 2016 non loin de la résidence du président Joseph Kabila, à Butanuka, dans la ville de Beni. Les combattants des ADF sont-ils les seuls responsables ? « Impossible que ce ne soit que l’œuvre des ADF : ces derniers ne s’attaquaient jamais aux femmes enceintes, contrairement à ce qui se passe aujourd’hui », estime Patrick Kambale Musubao, l’un des responsables de la société civile du secteur Beni-Mbau.
Soupçons croisés
L’idée que des Congolais puissent soutenir l’œuvre macabre des ADF et d’autres groupes armés étrangers commence à faire son chemin. « Pour survivre dans la forêt et mener cette entreprise criminelle, il faut avoir le soutien d’autochtones », affirme le capitaine Hazukay. Antipas Mbusa Nyamwisi, le frère cadet d’Enoch Nyamwisi (considéré jadis comme le « père de la démocratie » locale), est soupçonné de sous-traiter ses anciens miliciens aux ADF.
Depuis son exil en Afrique du Sud, l’intéressé dément et rejette la responsabilité sur Joseph Kabila, dont un fidèle, le général Akili Muhindo, dit Mundos, est accusé dans différents rapports onusiens d’être lié aux rebelles ougandais. Conséquences de ces soupçons croisés : en 2014, la statue d’Enoch Nyamwisi, placée sur le principal rond-point de Beni, a été amputée de ses membres, tandis que le buste du chef de l’État, un peu plus loin dans le centre-ville, était déboulonné.
* Le nom a été modifié à la demande de notre interlocutrice pour des raisons de sécurité.
Avec jeuneafrique