Quasi absentes des projets d’infrastructures du pays il y a quelques années, les entreprises hexagonales reviennent à la faveur du plan d’émergence national. Une tendance de fond ?
En perte de vitesse sous la présidence d’Abdoulaye Wade (2000-2012) face aux groupes américains, chinois, indiens, marocains ou à ceux du Golfe, les entreprises françaises semblent opérer un retour en force aujourd’hui, surtout dans les grands projets d’infrastructures du Plan Sénégal émergent (PSE).
Dernier exemple en date : le français Veolia, accompagné de ses filiales OTV (systèmes de traitement d’eau) et Sade (réseaux d’eau), a remporté devant le dubaïote Metito un marché de 7,6 millions d’euros pour la construction d’une station de déferrisation d’une capacité de 40 000 m3/j visant à alimenter Dakar en eau potable.
Quelques mois plus tôt, fin 2016, c’est un autre consortium français, constitué d’Engie, de Thales et d’Alstom, qui avait été désigné pour conduire et piloter la construction (en compagnie d’autres groupements) du Train express régional (TER) devant relier la capitale au nouvel aéroport international Blaise-Diagne (AIBD), à Diass. Montant du contrat : 225 millions d’euros.
Recherches de gisements de pétrole
L’exploitation et la maintenance du premier train omnibus du pays seront également assurées par des spécialistes français du transport public, la Société nationale des chemins de fer (SNCF) et la Régie autonome des transports parisiens (RATP), en partenariat avec le ministère sénégalais des Transports terrestres en vertu d’un accord scellé lors de la visite de Macky Sall à Paris en décembre. C’était le premier déplacement officiel d’un président sénégalais en France depuis Abdou Diouf (1992).
Jusqu’ici absent des activités de recherche d’hydrocarbures dans l’offshore sénégalais (contrairement aux groupes américains, britanniques, australiens, etc.) ayant abouti à d’importantes découvertes ces dernières années, l’énergéticien Total a lui aussi décroché son permis d’exploitation de gisements de pétrole offshore en marge de la même visite.
Partenariats public-privés avec la France
À y regarder de près, ce retour remarqué des groupes français remonte à l’arrivée aux affaires du président sénégalais, lorsque Bolloré et Necotrans ont respectivement pris le contrôle des terminaux roulier et vraquier du port de Dakar. D’ailleurs, certains acteurs du secteur et la société civile ont fortement contesté la concession accordée à Necotrans, dénonçant « un certain favoritisme dans l’octroi du contrat ».
L’effacement des multinationales françaises a coïncidé avec la montée en puissance de la Chine
« L’actuel régime est notoirement favorable aux intérêts français », a glissé une source politique à JA. Ce dont se défend Abdou Ndéné Sall, secrétaire d’État au réseau ferroviaire, bien au fait des grands projets d’infrastructures du PSE : « Nombre d’entreprises françaises du CAC 40 sont présentes au Sénégal parce qu’elles sont attirées par le dynamisme de son économie et par sa stabilité politique », explique-t-il.
Et Abdou Ndéné Sall de rappeler qu’à son arrivée aux affaires, Macky Sall avait bien dit qu’il était ouvert à tous ceux qui voudraient l’accompagner à travers des partenariats public-privé dans la transformation structurelle du Sénégal.
La stratégie de diversification des partenaires, aux oubliettes ?
Mais l’opinion aime à rappeler, un brin nostalgique, que c’est le prédécesseur de Macky Sall qui, le premier, a amorcé une vigoureuse politique de diversification des partenaires du Sénégal en se tournant notamment vers la Chine, les pays arabes et, plus généralement, vers les nouvelles puissances émergentes.
Parmi les actes les plus emblématiques de cette réorientation, le fait de confier la construction puis la gestion du nouveau terminal à conteneurs du port de Dakar à l’opérateur émirati Dubai Ports World (DPW) en lieu et place du français Bolloré, pourtant présent dans la ville depuis 1926. De même, l’implantation d’une cimenterie du nigérian Dangote au Sénégal avait été présentée comme une volonté de l’ancien président de créer de la concurrence à Sococim, filiale du français Vicat. Le choix du géant saoudien du BTP Saudi Binladin (SBG) pour construire l’AIBD est aussi typique de cette stratégie.
L’autoroute à péage Dakar-AIBD, exploitée par Senac SA, filiale d’Eiffage Sénégal, maître d’œuvre d’une partie de l’infrastructure, et l’exploitation de la mine géante de zircon, à Diogo, par Grande Côte Opération, détenue en partie par le français Eramet, sur la façade Atlantique nord du pays, constituent des exceptions en matière de gros investissements hexagonaux ces dernières années.
L’illusion du monopole chinois
L’effacement des multinationales françaises a coïncidé avec la montée en puissance de la Chine. Les énormes besoins sénégalais en infrastructures routières et de communication requièrent d’importants financements. Les entreprises chinoises ou turques, s’appuyant le plus souvent sur Eximbank, se sont positionnées avec succès sur ces marchés. Les marocaines reçoivent quant à elles le soutien des filiales des banques du royaume pour exécuter leurs contrats. Résultat, elles sont fortement présentes dans les grands projets immobiliers du pays.
La vision de Christophe Bigot, l’ambassadeur de France au Sénégal, tranche avec ce tableau. « Soixante-quinze pour cent des investissements étrangers réalisés dans le pays sont le fait de sociétés françaises qui apportent leurs capitaux, leurs expertises, leurs technologies, indiquait-il en décembre. Il est vrai que, le plus souvent, leurs dirigeants et leurs employés sont sénégalais et qu’elles paient leurs impôts dans le pays. »
Les multinationales seraient-elles l’arbre qui cache la forêt des autres investissements français ? Julien Giraud, conseiller export à l’ambassade de France à Dakar, n’est pas loin de le penser. « Les grands groupes ne sont que la partie visible de l’iceberg, assure-t-il. Une multitude de PME et d’entreprises de taille intermédiaire se sont déjà installées ou sont en train de le faire. »
Multinationales, partie immergée de l’iceberg
En effet, nombre de PME issues de groupes français investissent dans des secteurs à fort potentiel – avec l’émergence progressive d’une classe moyenne – comme les services financiers innovants, les technologies de l’information et de la communication (TIC), la distribution ou l’agro-industrie. Ainsi April, spécialisé dans le courtage d’assurances et basé à Lyon, en France, a ouvert en novembre à Dakar une filiale afin de gagner des parts sur un marché des particuliers en pleine croissance.
Atos fait travailler plus de deux cents ingénieurs dans la production de solutions numériques et s’est déjà mis sur les rangs pour tenir les premiers rôles dans le futur parc numérique et technologique de Diamniadio. Quant à Sénégal Atac Supermarchés, filiale d’Auchan créée en 2014, elle se déploie dans la distribution alimentaire à Dakar et vise la zone touristique de Mbour, à 80 km au sud de la capitale.
L’agro-industrie est l’autre filière qui attire les PME françaises. Ainsi en est-il des Grands Domaines du Sénégal (GDS), appartenant à la Compagnie fruitière, et de la Compagnie agricole de Saint-Louis (CASL), respectivement actives dans l’horticulture et la riziculture dans la vallée du fleuve Sénégal.
FRANCE : INVESTISSEUR NUMÉRO UN
Avec un volume d’investissements directs étrangers de 1,7 milliard d’euros, la France reste numéro un au Sénégal, selon les chiffres du site de la diplomatie française.
Les entreprises hexagonales implantées dans le pays représentent un quart du PIB et des recettes fiscales du pays. Elles emploient plus de 15 000 personnes dans quasiment tous les secteurs d’activité comme les télécoms, l’informatique, les mines, la finance, la logistique portuaire, le tourisme, la distribution, l’agroalimentaire, etc.
Paris, premier fournisseur
Sur le plan commercial, le Sénégal est le troisième client de la France en Afrique de l’Ouest, après le Nigeria et la Côte d’Ivoire. Paris reste son premier fournisseur et a bénéficié en 2015 d’un excédent commercial de 681 milliards d’euros (soit une progression de 34 milliards d’euros par rapport à 2014). Pendant la même période, le volume des échanges entre les deux partenaires s’élevait à 853 milliards d’euros.
Avec Jeune Afrique