Très détaillé, le rapport de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale française sur la Côte d’Ivoire, dont la version finale a été publiée vendredi 17 février, dresse un état des lieux nuancé de l’évolution du pays, six ans après la fin de la crise post-électorale.
Une sécurité retrouvée mais encore fragile
Fondant notamment leur analyse sur des renseignements de la direction du renseignement militaire (DRM), les parlementaires français écrivent que la situation sécuritaire s’est globalement améliorée dans le pays, qui semble en voie de normalisation. Reste cependant quelques « zones de fragilité » comme la frontière avec le Liberia que des mercenaires « continueraient aujourd’hui à traverser pour conduire des attaques armées », ou le nord-est de la Côte d’Ivoire où « persiste un vieux conflit entre agriculteurs lobi et pasteurs transhumants de l’ethnie peule ».
Par ailleurs, si le processus de DDR (Démobilisation, désarmement, réinsertion) a « permis d’obtenir des résultats concrets […] plusieurs réserves peuvent être formulées », notamment le fait que « le processus d’identification initiale des hommes à démobiliser a été confié aux commandants de zone qui auraient gonflé leurs effectifs ».
Le principal écueil sécuritaire noté est sans surprise l’état de l’armée ivoirienne après les récentes mutineries. Ces événements « sont venus rappeler la grande fragilité de l’édifice sécuritaire et l’urgence de le consolider pour garantir la stabilité du pays. »
« Le manque de professionnalisme et de loyauté des soldats […] qui tiendraient à l’influence persistante des anciens com’zones dans le dispositif sécuritaire ivoirien […] apparaît problématique », poursuivent les députés pour qui les « indemnisations décidées ont constitué un signal de faiblesse de la part du gouvernement et risquent de mettre en péril l’équilibre financier de la loi de programmation militaire ».
Et de poursuivre : « Les militaires français confirment que cette armée n’est toujours pas dans des standards corrects. Les mutineries de janvier 2017 ont montré que le problème n’était pas simplement celui des compétences, mais qu’il était structurel, et requérait une prise en main rapide, sous peine de menacer la stabilité du pays. »
RDR-PDCI : stabilité et « fêlures »
Pour les députés, « le rétablissement de la sécurité sur le territoire ivoirien n’aurait pas été envisageable sans une stabilisation politique et institutionnelle ». « Conduite sous la direction du président Alassane Ouattara, cette stabilisation repose sur l’alliance des deux grandes forces politiques qui sont le Rassemblement des républicains (RDR) et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) ». Leur rapport précise tout de même que cette alliance a été « fragilisée » lors des élections législatives qui prend acte que le groupe parlementaire RHDP ne verra finalement pas le jour.
La stratégie des nombreux indépendants élus − même si une bonne moitié à regagner son parti d’origine − « pourrait avoir un effet sur son avenir », estime également le texte qui précise que « pour l’heure, le pouvoir repose essentiellement entre les mains des présidents Bédié et Ouattara et de leurs proches. Or, cette situation génère des frustrations croissantes au sein du camp majoritaire ».
De plus, cette alliance agit comme un « rouleau compresseur hégémonique ». Les députés déplorent la quasi absence de l’opposition notamment à l’Assemblée nationale, « un facteur de fragilisation du pouvoir », selon eux.
Des scrutins à parfaire
S’ils sont jugés « dans l’ensemble pacifiques et crédibles », les scrutins de la présidentielle de 2015, le référendum et les législatives de 2016 ont été caractérisés par la « faible participation globale des Ivoiriens ». »Cela s’explique par une abstention assez élevée mais aussi par une liste électorale jugée encore incomplète au regard du dynamisme démographique ivoirien », analysent les députés.
Et de poursuivre : « L’abstention importante résulte en partie d’un désintérêt global des Ivoiriens à l’égard de la vie politique. Son niveau particulièrement élevé dans les régions qui soutenaient traditionnellement Laurent Gbagbo suggère néanmoins que la consigne de boycott donnée par une partie des militants de l’opposition trouve un certain écho. »
La réconciliation inachevée
Comme beaucoup d’observateurs, les députés français jugent que « la réconciliation est loin d’être achevée. Les Ivoiriens sont encore divisés, ne serait-ce que sur le regard que chacun porte sur la crise post-électorale et sur la manière dont la justice − nationale et internationale − traite les responsables de cette crise. L’ombre de l’ancien président Laurent Gbagbo plane au-dessus du pays. »
Ils se font l’écho des critiques qui ont entouré le référendum constitutionnel − « une occasion manquée de rassembler les Ivoiriens pour tourner la page de la crise ivoirienne » − même s’ils disent pouvoir « concevoir que les dirigeants n’aient pas voulu prendre le risque de rouvrir la boîte de Pandore des questions de nationalité et d’éligibilité ».
Mais « les lignes de fractures qui traversent la société ivoirienne dépassent le clivage Gbagbo/Ouattara hérité de la crise », nuancent-ils en prenant pour exemple la question du non-retour d’environ 40 000 réfugiés en exil et du nombre importants d’Ivoiriens (12 400 en 2016) « qui ont tenté l’aventure d’une traversée à haut risque pour rejoindre l’Europe occidentale ». Des flux de migration illégale qui se sont fortement accrus au cours des dernières années, ce qui s’explique notamment par la mise en place d’une filière d’immigration clandestine à Daloa (Centre-Ouest), filière désormais démantelée.
La question foncière demeure une véritable pomme de discorde pour les Ivoiriens.
Aussi, « la question foncière pas été traitée depuis et demeure une véritable pomme de discorde pour les Ivoiriens et une entrave au développement du pays ».
Une croissance fragile
Pour les députés français, la Côte d’Ivoire dispose « d’un potentiel économique considérable mais très partiellement exploité ». Son redressement depuis 2011 est « impressionnant », sa gestion économique « de qualité ». « Depuis 2012, les autorités ivoiriennes encouragent les investissements, dynamisent l’image du pays, opèrent des réformes pour améliorer le climat des affaires », écrivent-ils.
Si « la renaissance ivoirienne suscite de nombreux espoirs », les « défis qui attendent la Côte d’Ivoire sont immenses » selon les parlementaires. « Le pays n’a pas encore réussi à faire que ses taux de croissance flatteurs profitent à l’ensemble des Ivoiriens », estiment-ils. Leur rapport évoque pêle-mêle une série d’indicateurs sociaux alarmants : pauvreté encore massive, accès non garanti aux infrastructures de base, niveau de corruption encore important, éducation défaillante, données sanitaires préoccupantes, carences des politiques de redistribution.
« Pour relever le défi de l’émergence et réduire la pauvreté à 20% de la population à horizon 2020, la Côte d’Ivoire doit impérativement approfondir sa croissance économique. Elle doit parvenir à monter dans les chaînes de valeur et diversifier son économie afin de créer des emplois de qualité et réduire sa dépendance aux chocs extérieurs. »
« L’amplitude des inégalités (de revenus, territoriales, de genre) et la dureté des conditions de vie – à rebours des discours sur le « miracle économique ivoirien » – suscite un malaise social grandissant », ont-ils noté. La conscience aiguisée de ces inégalités nourrit la profonde insatisfaction des Ivoiriens quant à l’évolution de leurs conditions de vie. Elle se traduit d’après eux par un « climat social de plus en plus lourd dans le pays ».