Tous les pays du monde sont tenus de changer définitivement le système de diffusion télévisuelle et passer au digital. Or, en Afrique, c’est encore loin d’être gagné. La plupart des pays n’ont pas les moyens pour réaliser cet objectif…
Une transition complète de la diffusion radiotélévisée de l’analogique vers le digital n’est pas pour demain. Il est même possible que cela prenne des années dans certains pays. Ce qui veut dire que le délai que s’est fixée la communauté mondiale sur l’extinction de la diffusion analogique ne sera pas respecté en Afrique. Seuls quelques pays qui se comptent sur les deux mains ont achevé ladite transition. Il s’agit, entre autre, du Maroc, de l’île Maurice, du Malawi, du Mozambique, du Rwanda, de la Tanzanie et de la Tunisie. D’autres pays ont parcouru du chemin dans cette transformation et devraient l’achever fin 2019, au plus tard. C’est le cas, entre autres, de l’Afrique du Sud et du le Nigéria. Par contre, la quasi-majorité des pays du continent est loin de pouvoir respecter les délais. Raison principale évoquée par les experts : le manque de moyens.
Pourquoi changer de système ?
Le développement de la production l’audiovisuelle est fortement lié au gain en puissance de calcul des microprocesseurs. « C’est à partir du début des années 90 que la technologie numérique a conquis quelques îlots dans les plateformes techniques (studios) de la radio et de la télévision. Les exigences qualitatives, techniques et artistiques, imposaient des moyens de production de télévision avec des capacités de traitement de l’image et de son très importantes que seuls des microprocesseurs performants permettaient », explique Mohammed Hammouda, directeur Infrastructures techniques et veille technologique à la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) au Maroc. Pour l’expert, cette étape a marqué le début de la numérisation des moyens de la production (Caméras, Studios, Régies, etc). Les moyens terrestres de diffusion (émetteurs TV) et de réception (récepteurs TV), quant à eux, sont restés analogiques. Selon Hammouda, cela revient à cinq principales raisons : les standards ou les normes du numérique (de compression et de diffusion) n’étaient pas encore tout à fait au point. Ils ne l’ont été que cinq à huit ans plus tard environ ; l’industrie des équipements de diffusion terrestre attendait la stabilisation des standards techniques ; l’arrivée de la diffusion télévisuelle par satellite financièrement plus avantageuse que le déploiement de réseaux de diffusion terrestres ; l’importance du parc de téléviseurs analogiques équipant les foyers ; le manque d’une vision claire à sujet de la part des opérateurs audiovisuels.
Ce n’est qu’une fois ces conditions remplies, que l’accord de Genève a été signé en 2006 par les pays de la Région 1 de l’Union internationale des télécommunications (les pays d’Europe, d’Afrique, du Moyen Orient et du Golfe). Cet Accord a fixé le 17 juin 2015 comme date pour l’extinction de la diffusion analogique terrestre dans la bande de fréquences UHF, et le 17 juin 2020 comme date pour l’extinction de la diffusion télévisuelle analogique dans la bande VHF.
Pourquoi est-ce si difficile ?
La transition vers la TNT n’est pas une affaire évidente à faire. Il s’agit d’une opération d’envergure nationale qui doit être menée de concert avec tous les acteurs nationaux : gouvernement, parlement, régulateurs, opérateurs éditeurs de services TV et diffuseurs, opérateurs radio, presse et public. Dans la pratique, il n’est pas uniquement question de changement d’équipements techniques pour achever ce processus. En effet, plusieurs facteurs d’ordre juridique, organisationnel et financier entrent en jeu. Par exemple, il faudra que les pays se dotent du cadre juridique convenable pour encadrer les aspects organisationnels et réglementaires, pour déterminer qui fait quoi et selon quelle technique (normes). Il faudra aussi prévoir des campagnes de communication pour faire la promotion de la nouvelle technologie afin de garantir l’adhésion du public. Mais malgré leur complexité, ces chantiers restent relativement facilement réalisables pour les pays africains. C’est le coût, évidemment, qui reste élevé pour certains pays. Il faudra, pour l’Etat, financer le réseau TNT devant remplacer le réseau analogique, de la campagne de communication sur les modalités de l’arrêt de l’analogique et du basculement à la TNT, ainsi que sur les avantages de cette opération au public. Dans certains pays où le pouvoir achat est bas, les gouvernements étaient également sommés de programmer des aides aux foyers à faible revenu pour l’achat de décodeurs TNT. Les opérateurs doivent supporter le coût du déploiement des réseaux TNT et à l’extinction des stations du réseau analogique en respect avec le calendrier établi par les pouvoirs publics. Les citoyens sont aussi obligés de mettre la main à la poche pour acheter les décodeurs TNT ou de nouveaux téléviseurs. Le marché est déjà saturé par les produits chinois à des prix abordables.
Etat des lieux…
« En Afrique, certains pays ont rapidement compris l’importance de cette transition et ont rapidement débloqué les fonds pour le réaliser. Mais pour une bonne partie des gouvernements, avoir la volonté n’est pas forcément synonyme avec détention des moyens », analyse Grégoire Ndjaka, directeur générale de l’Union Africaine de Radiodiffusion. « Certains pays en Afrique manquent même de moyens pour faire face au Paludisme. Ils manquent de centre de santé, de médicaments… ce sont là leurs priorités », justifie-t-il. Pour lui, la polémique sur les droits de diffusion télévisuelle de la Coupe d’Afrique des nations de football en dit long sur la situation. Le fait que plusieurs pays n’ont pas eu l’argent nécessaire pour acquérir ces droits, alors que le sport a presque une dimension sacrée sur le continent, démontre l’étroitesse du champ d’action des gouvernements. « 5 millions d’africains du sud du Sahara n’ont pas accès à la télévision. Je pense que la priorité est d’abord d’équiper ces gens ».
La priorité est ailleurs…
Mais si les délais sont presque consommés pour achever la transition, pour Ndjaka, cette dernière n’est pas véritablement « la » priorité. « La préoccupation actuelle pour le domaine de l’audiovisuel n’est pas la numérisation, mais le contenu. Toutes les chaînes sans exception sont confrontées à cette question. La télévision africaine est inondée par la culture des autres. A quel moment allons-nous faire la promotion de notre culture ? »s’interroge-t-il. Cela dit, il faut nuancer. Il n’est pas question, pour le DG de l’organisation panafricaine, que l’Afrique se replie sur elle-même. « Il faut renforcer le contenu africain et faire en sorte de mutualiser nos efforts pour ce faire », ajoute Ndjaka. C’est justement l’objet de l’événement qu’organise l’Union du 20 au 22 févier et qui accueillera des experts venus des quatre coins du continent.
Avec LaTribuneAfrique