Le nouveau président du Ghana, deuxième économie d’Afrique de l’Ouest, et son équipe promettent de stimuler les affaires et d’augmenter le niveau de vie des populations. Parviendront-ils à tenir leurs promesses, dans un climat économique difficile ?
Drapé dans un tissu Kente de Bonwire, kaléidoscopique telle une toge romaine sous le soleil ardent, Nana Akufo-Addo est étincelant. Ce samedi 7 janvier, devant une foule de 200 000 personnes réunies Black Star Square, à Accra, le tout nouveau président ghanéen prête serment. Après avoir remercié son prédécesseur, John Dramani Mahama, pour l’élégance avec laquelle il a reconnu sa défaite, il va droit au but et évoque la situation difficile du pays, pourtant producteur de cacao (numéro deux mondial), d’or et de pétrole :
« Le 6 mars, dans quelques semaines, le Ghana célébrera les 60 ans de son indépendance […]. Les pères de notre nation seraient déçus s’ils voyaient aujourd’hui le niveau de développement que nous avons atteint. Notre trajectoire a été marquée par quelques hauts et, malheureusement, par beaucoup de bas […]. »
Un discours lucide
La veille, à son domicile situé au cœur de la capitale ghanéenne, Nana Akufo-Addo confiait à Jeune Afrique que son gouvernement était très conscient de la difficulté de la mission qui l’attendait. « On m’a dit que la situation financière était encore plus grave que nous ne le craignions. Je sais que les attentes de la population sont immenses, mais jamais nous ne décevrons […]. Nous nous sommes engagés à améliorer le sort de la majorité des gens », soutenait-il. Et de rappeler que l’échec des gouvernements successifs à moderniser l’économie du pays et à créer des industries viables avait alimenté une crise socio-économique et des niveaux dangereusement élevés de chômage chez les jeunes.
Ce discours, c’est celui qu’il a tenu durant toute sa campagne électorale. Vétéran de la scène politique ghanéenne, Nana Akufo-Addo, deux fois candidat malheureux à l’élection présidentielle, en 2008 et en 2012, avant d’être élu en décembre 2016, va devoir passer de la parole aux actes. Alors que le pays est confronté à d’énormes pressions budgétaires, il lui faudra par exemple, comme il l’a promis, trouver le moyen de réduire les impôts, de construire une usine dans chacun des 216 districts que compte le pays, d’affecter 1 million de dollars aux dépenses de développement dans chacune des 275 circonscriptions parlementaires et de construire un barrage dans chaque village pour promouvoir l’irrigation et l’agriculture.
Attentes de résultats
« Ce sont des idées qui ont du sens, même si elles semblent ridiculement ambitieuses », estime un banquier d’investissement ghanéen établi à New York qui a pris l’avion pour assister à l’investiture. Les Ghanéens exigeront très vite des résultats. D’après Kwami Ahiabenu II, dont la société, Penplusbytes, a piloté une unité de surveillance des réseaux sociaux pendant les élections, l’état de grâce pour la nouvelle équipe gouvernementale ne durera pas plus de six mois. Les électeurs ont montré lors des derniers scrutins qu’ils ne sont pas passifs, aveuglément fidèles aux partis. Et qu’ils peuvent l’exprimer dans les urnes comme ils l’ont fait avec le Congrès démocratique national (NDC) de John Dramani Mahama, dont le régime était jugé corrompu. Autant dire que le gouvernement d’Akufo-Addo doit agir rapidement.
Le nouveau président n’a donc pas attendu d’entrer en fonction pour former son gouvernement. Son équipe de transition, dirigée par Yaw Osafo-Marfo, ancien ministre des Finances sous John Kufuor, avait désigné la grande majorité des ministres avant l’investiture. Avec 36 membres, c’est le plus grand gouvernement du Ghana à ce jour. Alors que le pays est accusé d’avoir ces dernières années vécu au-dessus de ses moyens, les adversaires du nouveau président n’ont pas manqué de parler de débauche. « C’est faux », rétorque Gabby Otchere-Darko, conseiller principal de la campagne électorale du Nouveau Parti patriotique (NPP), désormais au pouvoir. « Davantage de ministres ne signifie pas forcément un gouvernement plus coûteux. S’ils sont efficaces, ils peuvent arrêter le gaspillage des fonds publics. Un ministre a par exemple le pouvoir d’accomplir plus qu’un chef de département », défend-il.
Concrétisation
Six de ces ministres fraîchement nommés sont donc directement rattachés à la présidence parce qu’ils sont à la tête de portefeuilles importants. Le ministère de la Surveillance et de l’Évaluation, dirigé par Anthony Akoto Osei, ancien économiste du FMI, qui était ministre adjoint des Finances dans le dernier gouvernement du NPP, est par exemple un élément crucial de cette équipe restreinte. Parmi ses tâches, il devra suivre la concrétisation des promesses de campagne. « Il vérifiera si les ministères livrent les projets dans les délais et dans le budget prévus », explique Otchere-Darko.
Cette équipe dirigera aussi les ministères qui seront chargés du développement des chemins de fer et des centres urbains ainsi que de l’amélioration de l’environnement des affaires. Elle devrait aussi passer au crible le fonctionnement des entreprises parapubliques pour mettre fin au clientélisme politique et nommer à leur tête des directeurs qui soient de bons gestionnaires avec des connaissances techniques. Le vice-président, Mahamudu Bawumia, et le ministre des Finances, Ken Ofori-Atta, seront particulièrement impliqués dans le redressement de ces sociétés, dont les dettes atteignent, pour certaines, plusieurs milliards de dollars. Tous les deux ont à l’esprit une restructuration radicale du secteur public qui implique la cession d’actifs.
Régler le problème de la dette
Lors d’un forum financier tenu le 4 janvier, Mahamudu Bawumia a esquissé les contours de la crise : « Nous sommes confrontés à une situation budgétaire assez désastreuse liée à la baisse de la croissance, à l’augmentation des impôts et à une conjoncture défavorable. » Le vice-président considère que la stratégie du gouvernement sortant, qui a été soutenue par le FMI, était assez étrange : « Vous ne pouvez pas prétendre vouloir l’assainissement budgétaire tout en augmentant significativement votre dette », a-t-il expliqué. Seth Terkper, ex-ministre des Finances de John Dramani Mahama, avait déjà admis que le Ghana a manqué de 1 point de pourcentage son objectif de ramener le déficit budgétaire à 5,3 % du PIB, dans le cadre du programme du FMI.
Selon les chiffres officiels, les intérêts de la dette et les salaires devraient absorber respectivement 22 % et 30 % des recettes de l’État cette année, et les subventions 34 %. Il en resterait ainsi moins de 15 % pour l’investissement. La réduction et la restructuration de la dette du pays – qui est à plus de 70 % du PIB – apparaissent donc comme la priorité immédiate des nouvelles autorités. Alors que le gouvernement veut créer des emplois grâce à de grands travaux d’infrastructures et à des incitations pour les entreprises productives, Ken Ofori-Atta déclarait lors du forum du début de janvier que « le problème le plus pernicieux est la dette intérieure. Quelque 40 % de notre dette sont détenus localement et représentent environ 80 % du service de la dette […].
Nous devons examiner la gestion de nos engagements et trouver des solutions imaginatives pour le service de cette dette ». Parmi les idées avancées, on évoque des rachats de dettes, le rééchelonnement des échéances, l’émission de billets à ordre et d’obligations en monnaie locale. « Notre objectif, avait-il expliqué, est de réduire notre ratio de la dette au PIB de 71 % à 50 % au cours des quatre prochaines années. »
Optimistes
Si la réduction de la dette est une priorité, une hausse des revenus, notamment ceux issus du secteur du pétrole et du gaz, serait plus que bienvenue. Razia Khan, spécialiste Afrique à la Standard Chartered Bank, et David Cowan, de Citigroup, même s’ils prévoient que pour le pays la reprise sera modeste cette année, sont optimistes. La première estime que la croissance du PIB pourrait presque doubler, à 6,8 % ; le second, plus prudent, évoque le chiffre de 5,7 %. Une croissance qui pourrait être portée par le démarrage de deux nouveaux champs pétrolifères, TEN et Sankofa.
Un expert des finances publiques propose par ailleurs que le gouvernement réexamine toutes ses dépenses, ligne par ligne, pour identifier celles qui sont superflues. Ce qui, fait-il valoir, devrait lui permettre d’économiser environ un cinquième de ses décaissements annuels. D’autres appellent le gouvernement à renégocier certains des contrats les plus chers hérités du précédent gouvernement, tels que les projets d’électricité Ameri et Karpower et l’accord de Sankofa sur le pétrole et le gaz avec ENI et Vitol.
En outre, une mission du FMI est attendue prochainement pour discuter des décaissements et des objectifs financiers restants dans le cadre de son accord de 980 millions de dollars avec le pays. Ken Ofori-Atta est susceptible de négocier plus de flexibilité afin de permettre à son équipe de réorganiser les finances de l’État. Son premier budget devant être présenté en février – il devrait répondre à certaines promesses électorales du NPP et faire des réductions d’impôt sélectives –, autant dire que le ministre des Finances et son équipe s’apprêtent à vivre des semaines intenses.
Jusqu’alors, le vice-président, Mahamudu Bawumia, et lui-même ont expliqué comment le gouvernement peut promouvoir, mais pas directement, le financement de nouvelles industries en supprimant les lourdeurs administratives et en aidant les entreprises à trouver des fonds privés. « Nous sommes 111e dans le rapport “Doing Business” 2016 de la Banque mondiale […]. Nous pouvons faire beaucoup mieux que cela », a déclaré Ofori-Atta lors du sommet. « Nous allons faire du Ghana l’économie la plus favorable aux affaires en Afrique. »
Avec Jeune Afrique