La Haute autorité de l’audiovisuel et de la Communication (HAAC) du Togo a retiré leurs fréquences d’émission à deux médias privés appartenant au groupe Sud Media de Pascal Bodjona, pour n’avoir pas rempli les “formalités préalables d’autorisation”… alors qu’ils émettent depuis 10 ans. Explications.
La HAAC a notifié le 6 février le retrait de leurs fréquences d’émission à la chaîne de télévision LCF (La chaîne du futur) et à la radio City FM, deux médias créés en 2007 et qui appartiennent au groupe Sud Media, contrôlé par l’ancien ministre de l’Administration territoriale, Pascal Bodjona, qui avait été remis en liberté il y a un an jour pour jour après avoir passé dix-huit mois en prison dans une affaire d’escroquerie.
Selon la décision de l’instance de régulation, les médias concernés n’auraient pas d’existence légale. L’affaire traînait dans l’air depuis quelques mois, lorsque la HAAC, renouvelée en juin 2016, a demandé à plusieurs médias de régulariser leurs situations « au regard de la loi ». Dans le lot figuraient la télévision LCF et la radio City FM qui « au démarrage de leurs activités », n’auraient obtenu « aucune autorisation régulière d’installation et d’exploitation auprès de la Haute autorité ».
Une accusation que réfutent les responsables du groupe Sud Media qui affirment avoir accompli les démarches nécessaires pour disposer de fréquences auprès de l’Autorité de réglementation des secteurs des postes et télécommunications (ART&P). Mais en conférence de presse le 2 février, le président de la HAAC a estimé qu’un dépôt de dossier auprès de l’ART&P ne dispensait pas de l’accomplissement des mêmes formalités au niveau de son administration, qui est une « institution indépendante et souveraine », a-t-il rappelé.
Pour se conformer à la décision de la HAAC, la direction du groupe Sud Media a interrompu ses programmes, « pour explorer les voies de recours offertes par la loi ».
Vives protestations
LCF, première télévision togolaise à émettre sur satellite (même si aujourd’hui, elle n’y est plus) dispose d’une importante audience à Lomé. Ses responsables estiment avoir accompli l’ensemble des formalités légales dès 2007, et plus tard en 2012 et en 2015. « Nous émettons depuis neuf ans et nous bénéficions de l’aide de l’État à la presse. Nous ne comprenons pas comment la HAAC pourrait se permettre aujourd’hui de remettre en cause l’existence légale de nos médias », a réagi Luc Abaki, directeur général du groupe Sud média.
La décision est d’ailleurs contestée au sein même de l’institution de régulation
La décision est d’ailleurs contestée au sein même de l’institution de régulation. Le président du comité Presse écrite, Zeus Aziadouvo, a saisi la Cour suprême pour intervenir dans cette affaire où la HAAC ne serait pas dans « son rôle de garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse ». « Nous n’avons pris aucune décision en plénière concernant la fermeture de LCF et de City FM », a ainsi écrit ce membre de la HAAC au président de la Cour suprême. Non sans ajouter que selon lui les dossiers des deux organes avaient été étudiés et étaient techniquement au point.
L’Observatoire togolais des médias (OTM), le Conseil national des patrons de presse (CONAPP) et l’Union des journalistes indépendant (UJIT) ont unanimement condamné une décision « qui réduit l’espace de liberté et porte atteinte à la diversité du paysage médiatique togolais ». Les trois regroupements ont invité la HAAC à l’ouverture de sérieuses négociations avec les deux médias concernés.
« Attaque contre la liberté d’expression »
Dans un communiqué, l’ONG Amnesty International a également dénoncé lundi soir « une attaque contre la liberté d’expression », estimant cette « sanction disproportionnellement lourde au vu des faits reprochés ».
L’autorité de régulation avait déjà fermé plusieurs médias en 2013, notamment la radio Légende FM pour « multiples dérapages », affirmant qu’elle diffusait de fausses informations durant les législatives. Au Bénin voisin, trois médias proches de l’opposition – E-Télé, Eden TV, et Radio Soleil – avaient également été suspendus fin novembre-début décembre, avant d’être à nouveau été autorisés à émettre fin janvier par l’autorité de régulation de l’audiovisuel béninoise.
Avec Jeune Afrique