Probable candidat à la présidence de la Fifa, le patron de l’UEFA aura bien du mal à convaincre les 54 pays du continent de voter pour lui. Les raisons de cette défiance sont anciennes. Et nombreuses.
Bien que sa communication ambiguë suggère parfois le contraire, Joseph Blatter (79 ans) ne sera plus l’an prochain aux commandes de la Fifa. Quelques jours après sa réélection, le 29 mai, la mise en cause par les justices américaine et suisse de plusieurs responsables de la fédération internationale de football l’a contraint à annoncer qu’il remettrait son mandat en jeu au prochain congrès.
D’ici là, il ne va pas se contenter de gérer les affaires courantes ou d’engager quelques réformettes. Non, Blatter, en vrai animal politique, va sans nul doute passer au crible les noms des candidats, déclarés ou non, à sa succession. Certains spécialistes sont même convaincus que son rôle dans le scrutin sera déterminant. « Il va jouer les faiseurs de roi », estime l’un d’eux. Dans la longue liste des prétendants, un nom se détache, celui de Michel Platini (60 ans), ex-star du foot planétaire, vice-président de la Fifa et, surtout, président de l’UEFA, la puissante fédération européenne. Bien sûr, celui-ci n’a pas encore officiellement fait acte de candidature, mais une partie de son entourage le pousse à le faire. Lors de l’élection du mois de mai, il s’était contenté de soutenir le Jordanien Ali Ben Al Hussein…
Une cote de popularité proche du zéro en Afrique
Très apprécié en Europe, en Asie et en Océanie, Platini l’est un peu moins dans les Amériques, celle du Nord comme celle du Sud, et pas du tout en Afrique, où sa cote de popularité est proche de zéro. Et il peut être assuré que Blatter, qui murmure à qui veut l’entendre que le Français « n’aime pas les pauvres », ne ménagera pas ses efforts pour lui savonner la planche. Ce qui ne passe pas sur le continent ? La manière virulente dont le patron du foot européen s’en est pris à son ancien protecteur au cours des derniers mois. « N’oublions pas que si Platini est président de l’UEFA, c’est en partie à Blatter qu’il le doit, commente par exemple Abedi Pelé, l’ancien milieu de terrain des Black Stars ghanéens et de l’Olympique de Marseille. Ses propos très durs à son endroit n’étaient pas corrects. Il a le droit d’être en désaccord, mais il aurait pu dire les choses d’une autre manière. »
Blatter passe pour un grand ami de l’Afrique. Il a assurément beaucoup fait pour elle, même si cette générosité n’était évidemment pas désintéressée et qu’elle a contribué à asseoir son pouvoir sur le foot mondial. « Platini s’est souvent montré très critique visà-vis de l’action de Blatter sur le continent, s’agace un dirigeant africain sous le couvert de l’anonymat. Il a laissé entendre que les grands projets de développement, le programme Goal notamment, avaient favorisé la corruption dans la mesure où l’usage fait de l’argent versé avait été, selon lui, insuffisamment contrôlé. Cela revient à dire que si les Africains votaient Blatter, c’était parce qu’ils étaient tous corrompus. Ou que seuls les Européens sont propres, et que tous les autres ont les mains sales. »
Apprendre à mieux connaître l’Afrique
Même son de cloche du côté d’Abedi Pelé : « Je ne dis pas qu’il n’y a pas de corruption en Afrique – il y en a partout -, mais on entend souvent les Européens affirmer que si les Africains soutiennent Blatter, c’est parce qu’ils sont achetés. C’est un manque de respect ! Si Platini veut être candidat, et il a les qualités pour cela, il faudra qu’il apprenne à mieux connaître toutes les parties du monde. Et notamment l’Afrique. »
« Blatter est loin d’être parfait, mais il a beaucoup fait pour le développement du foot africain, estime pour sa part l’Algérien Adel Amrouche, ancien sélectionneur du Burundi (2007-2012) et du Kenya (2013-2014). Certains redoutent donc que, s’il venait à lui succéder, Platini soit tenté de revoir à la baisse les grands projets de développement. »
De manière générale, c’est la conception très « européiste » que le patron de l’UEFA a du football qui pose problème aux Africains. Abdeslam Ouaddou, ancien défenseur international marocain, n’y voit pas forcément une marque de mépris. « Il n’a pas tort de dire que les meilleurs joueurs sont en Europe. Mais parmi ceux-ci, il n’y a pas que des Européens, il y a aussi des Africains, des Sud-Américains. Je ne crois pas que Platini soit exclusivement tourné vers l’Europe, puisqu’il a voté en faveur du Qatar pour la Coupe du monde 2022, mais j’ai l’impression qu’il a de l’Afrique une vision un peu faussée, celle d’un continent mal organisé et gangrené par la corruption. Il ne faut pas oublier que le foot africain a contribué à faire de l’Europe ce qu’elle est aujourd’hui. »
Surtout, les dirigeants de l’UEFA ne comptent pas parmi les plus chauds partisans du principe « 1 pays = 1 voix » en vigueur à la Fifa. Il est certain que, lors d’un vote, l’application de ce principe donne par exemple autant de poids aux Comores qu’à la France… « Je sais qu’une partie des dirigeants européens y sont hostiles. C’est assez paradoxal de les entendre constamment se plaindre du manque de démocratie en Afrique, et, quand ça les arrange, de les voir prôner un système totalement inégalitaire », ironise Augustin Senghor, le président de la Fédération sénégalaise de football (FSF).
Dans un autre registre, la création en 2014 de la Ligue des nations, compétition réservée aux sélections européennes dont la première édition aura lieu en 2018-2019, passe mal en Afrique. Créée par l’UEFA pour pallier le manque d’intérêt supposé des matchs amicaux, elle offrira quatre places en phase finale de l’Euro 2020, dont au moins une réservée à une « petite » équipe. « C’est la preuve que Platini n’est pas aussi élitiste qu’on le dit », commente Adel Amrouche. Sans doute, mais cette initiative renforce l’impression que les dirigeants européens rêvent d’un entre-soi footballistique. « C’est sûr que ça va limiter les contacts internationaux. Ce sera pénalisant pour les Africains, mais aussi pour les Européens, qui doivent enfin comprendre que le foot ne se résume pas à eux », tacle Senghor.
Le dirigeant sénégalais, qui assure ne pas avoir de relation particulière avec Blatter, s’étonne que Platini n’ait pas souhaité être candidat lors de l’élection du mois de mai : « Il n’a pas osé y aller parce qu’il savait qu’il avait de fortes chances d’être battu. A-til manqué de courage ? On peut se poser la question. Et puis la Fifa traverse une tempête assez violente. Blatter, qui n’a pas tout bien fait, est critiqué par des gens qui occupent des fonctions importantes. Et à un certain niveau de responsabilité, il y a des choses qu’on ne peut pas ignorer… » S’il finit par déclarer sa candidature, le triple Ballon d’or (1983, 1984, 1985) devra passer un grand oral devant les comités exécutifs de toutes les confédérations. On sait déjà que la CAF ne lui fera aucun cadeau.
Un ticket avec Anouma ?
Conscient de la méfiance – pour ne pas dire plus – qu’il suscite en Afrique, Michel Platini pourrait associer Jacques Anouma, ex-président de la Fédération ivoirienne de football et ex-membre du comité exécutif de la Fifa, à sa candidature à la présidence de la Fifa. Contacté par Jeune Afrique, celui-ci ne dément pas l’hypothèse, mais s’abstient soigneusement de donner davantage de détails. Lui qui dispose toujours de solides soutiens et de réseaux influents sur le continent pourrait dans un premier temps se consacrer à la restauration de l’image du Français, respecté pour son immense carrière de joueur mais peu estimé en tant que dirigeant. Platini et Anouma s’apprécient. En cas d’élection du premier, le second aurait de bonnes chances de redevenir membre du comité exécutif par le biais de la cooptation.
Avec Jeune Afrique