Proparco, filiale de l’Agence française de développement spécialisée dans le secteur privé, a présenté ce jeudi sa stratégie jusqu’en 2020. Dans une interview à Jeune Afrique, le nouveau patron explique vouloir doubler les interventions annuelles, qui passeront de 1 à 2 milliards d’euros, tout en travaillant davantage avec ses confrères occidentaux
A priori, rien ne devait réunir Grégory Clemente et l’Afrique. Le spécialiste de la banque et de la finance, formé sur les bancs de l’université Lyon-II, a certes fait ses classes pendant dix ans à l’AFD sous Jean-Michel Severino. Mais il s’y occupait de la direction financière. Concrètement, du refinancement sur les marchés de l’agence française d’aide au développement. Sa « rencontre avec l’Afrique », comme il le dit lui-même, interviendra en 2008, quand l’AFD décidera d’émettre une première obligation en francs CFA.
Le 1er avril 2016, le voilà propulsé à la tête de Proparco, la filiale chargée du secteur privé de son ex-employeur. Née il y a près de quarante ans, celle-ci s’apprête à lancer une ambitieuse politique d’embauche, pour faire passer son staff de 200 à 300 salariés et pour se rapprocher des autres institutions financières de développement (DFI) européennes. Dans ses bureaux avec vue sur le Louvre, où il a reçu Jeune Afrique, le directeur général de 43 ans expose la nouvelle stratégie de la société.
Jeune Afrique: Le groupe AFD doit porter son aide au développement de 8 à 12 milliards d’euros par an d’ici à 2020. Comment Proparco va-t-elle y contribuer ?
Grégory Clemente : Il y a une articulation assez naturelle entre nos deux entités, qui laisse de l’indépendance à chacun. Proparco est une société financière dont l’AFD garde le contrôle, mais qui se différencie de ses homologues par un actionnariat très diversifié. Concrètement, nous allons doubler le montant de nos interventions annuelles, qui passeront de 1 à 2 milliards d’euros. Et une grande partie sera allouée à l’Afrique. Nous envisageons ainsi de lui consacrer 2,7 des 6,7 milliards d’euros que nous engagerons d’ici à 2020.
Vos actionnaires (BNP, Société générale, BPCE, Bolloré, Bouygues, Banque de développement sud-africaine…) seront-ils sollicités pour financer l’augmentation de vos interventions ?
Proparco se finance exclusivement auprès de sa maison mère qui, elle-même, se finance sur les marchés financiers. Ce capital nous est nécessaire, et, parfois, il est complété sur fonds propres. Nos prévisions indiquent que, d’ici à 2020, il ne sera pas opportun de les augmenter [le capital de Proparco avait été porté à 693 millions d’euros en 2014, rémunéré à 6 %].
Le groupe AFD applique l’ouverture à la concurrence des marchés financés par l’aide. Ce qui est critiqué et ne donne pas la priorité aux entreprises françaises. Proparco a-t-elle vocation à devenir plus offensive sur ce sujet ?
Nous sommes déjà offensifs. Nous échangeons avec les entreprises françaises à différents niveaux, que ce soit dans les états-majors parisiens ou au sein d’équipes techniques plus spécifiques. Nous confrontons leurs stratégies et nos priorités géographiques et sectorielles, pour identifier des opportunités communes. Aujourd’hui, 30 % de nos financements bénéficient, directement ou indirectement, à des entreprises françaises.
Pourquoi optez-vous pour une nouvelle stratégie alors qu’une précédente mouture devait courir de 2014 à 2019 ?
Mon arrivée intervient au moment où le groupe AFD augmente significativement ses capacités financières. Le marché, la demande et le contexte international évoluent. À nous de nous adapter et de redéfinir nos priorités, dont l’Afrique fait éminemment partie.
Deux milliards d’euros par an, cela peut sembler modeste comparé aux moyens de l’IFC [Société financière internationale, groupe Banque mondiale] par exemple, dont les décaissements ont atteint 9 milliards de dollars en 2016…
Nous changeons d’échelle. Mais pour aller toujours plus loin, nous devons nouer des liens toujours plus forts avec nos homologues. Et nous allons développer la syndication, à laquelle nous avons déjà parfois recours avec l’IFC et d’autres. L’objectif est d’intervenir sur des projets de taille beaucoup plus importante en mutualisant nos moyens.
Ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui ?
On doit s’organiser pour le faire davantage. Un exemple récent : nous avons syndiqué les agences d’aide au développement allemande et néerlandaise DEG et FMO pour financer la construction du port de Kingston, en Jamaïque, avec l’armateur français CMA-CGM comme client.
Pourriez-vous vous inspirer des plateformes communes mises sur pied par votre confrère norvégien Norfund et FMO dans le domaine bancaire ?
Absolument. Il existe déjà un club des DFI européennes dans lequel nous sommes actifs. Et une friendship facility établie entre DEG, FMO et Proparco. Celle-ci permet à l’un de nous trois d’être leader sur une opération, même si le client ne voit qu’une seule équipe qui instruit un projet de financement. Il existe donc une coordination, mais elle doit être renforcée.
Travaillez-vous avec d’autres agences du Sud, chinoises par exemple ?
Proparco travaille principalement avec l’IFC, ses homologues européens, voire latino-américains. Moins avec l’Asie.
Dans le portefeuille de Proparco, les prises de participation restent bien inférieures aux prêts. Le rééquilibrage voulu par votre prédécesseur, Claude Périou, fait-il aussi partie de vos priorités ?
Nous conservons l’objectif de faire passer nos participations dans les entreprises et les fonds d’investissement de 10 % à 25 % en 2020. Celles-ci atteindraient alors 500 millions d’euros par an. Nous constatons que les systèmes bancaires se développent. Les banques locales sont aujourd’hui capables d’apporter des prêts de long terme et en monnaie locale. C’est pourquoi nous devons être complémentaires sur le besoin en capital, qui ne fait que croître.
Par le passé, Proparco a été critiqué pour avoir investi dans des fonds domiciliés dans des paradis fiscaux. Avez-vous toujours recours à cette pratique ?
Notre politique financière en matière de juridictions non coopératives est parmi les plus restrictives, et plus resserrée que celle d’autres bailleurs de fonds. Nous respectons l’ensemble des listes du Groupe d’action financière (Gafi), du Forum mondial sur la transparence de l’OCDE et les listes françaises de paradis fiscaux. Il nous arrive de refuser certains investissements, qui pourraient par ailleurs être très intéressants en matière de développement du tissu économique local, parce que le montage qui nous est proposé est inacceptable.
Avec Jeune Afrique