Lorsqu’on lui a confié la direction d’un gros compte clients dans son agence de pub, Irène s’est d’abord réjouie. Cependant, très vite, l’un de ses équipiers lui a mis des bâtons dans les roues : il avait brigué cette responsabilité et ne supportait pas qu’elle l’ait obtenue. Irène s’est tournée vers son N+1 dans l’espoir qu’il transfère le fauteur de troubles dans un autre service. Mais il est resté sourd à sa requête. La situation s’est envenimée et Irène, minée, est tombée malade. Selon une étude du cabinet OPP, expert en psychologie du travail, conduite dans neuf pays auprès de 5.000 salariés, 25% des conflits en entreprise provoquent ainsi de l’absentéisme. Peu préparés à gérer des confits, les managers sont pointés du doigt : 43% des employés estiment que leur boss ne sait pas apaiser un différend, et pourtant 70% considèrent cette capacité comme un élément essentiel du leadership. Alors voici comment développer vos talents de pacificateur.

DIALOGUEZ

Rassurez-vous : “La majorité des confits sont simples, nés de besoins contrariés”, indique Jean-Claude Bernardon, dirigeant du cabinet de conseil EBC et auteur de Résolution de conflits (Maxima, 2014). La plupart du temps, il n’y a pas d’intention de nuire, plutôt de l’incompréhension et un manque de dialogue. Par exemple, ce voisin de bureau qui vous dérange en parlant fort au téléphone. Vous pensez qu’il vous provoque alors qu’il est peut-être un peu sourd ou qu’il n’a pas les mêmes règles de savoir-vivre que vous. Pour crever l’abcès, inspirez-vous de la méthode Desc : décrire, expliquer, spécifier, conclure. Présentez les faits : “Je constate que tu parles fort.” Précisez le problème que cela vous pose : “Cela me déconcentre.” Proposez une solution : “Pourquoi ne pas passer tes coups de fil dans la salle de réunion inoccupée?” Et soulignez les conséquences positives de cette solution pour les deux parties, en insistant sur les répercussions négatives si le problème persistait.

ÉCOUTEZ

Si le différend est plus complexe, tel un confit de pouvoir, faites appel à un tiers, en principe votre supérieur hiérarchique, qui dépassionnera le débat. Cet arbitre devra faire preuve de tact. Dans le cas où ce rôle vous revient, restez neutre: “Vous n’êtes ni avocat ni procureur”, insiste Wilfrid Legendre, associé chez Kea & Partners, selon qui la qualité première du médiateur est l’humilité. Invitez d’abord les belligérants à prendre du recul, à réflechir à leur travail. “Leur faire comprendre qu’ils sont sur le même bateau, c’est déjà apaiser le débat”, observe Jacques Regard, coach en harmonisation des relations humaines. Recevez ensuite chacune des parties séparément. Au cours de ces entretiens, “pratiquez l’écoute active”, suggère Jean-Claude Bernardon. Laissez vos interlocuteurs exprimer leur point de vue jusqu’au bout, sans les interrompre et en les laissant exprimer leurs émotions.

Vincent Eurieult – Apprendre à tout négocier
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NÉGOCIEZ

A vous maintenant de proposer un compromis. L’essentiel est que personne n’ait l’impression d’être lésé : présentez les avantages que votre solution offre à chacun. Wilfrid Legendre préconise de s’inspirer du jeu de go, où les deux adversaires se répartissent l’espace du jeu plutôt que des échecs, où l’objectif est de tuer l’autre. Sachez que la négociation exige du temps. Il existe plusieurs méthodes, telle l’ADI (accord, désaccord, indifférence). Cette dernière suggère d’aller crescendo, en amenant les parties à constater leurs points d’accord avant de résoudre les désaccords mineurs puis d’aborder, enfin, les différends majeurs. Une bonne façon de relativiser leurs enjeux.

24 H AVEC… UNE MÉDIATRICE DE CONFLIT

“Faire émerger une solution sans l’imposer”

Marie-José Gava, directrice du cabinet Place de la médiation.
 Tous droits réservés

Marie-José Gava, directrice du cabinet Place de la médiation.

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Murs crème, lumière douce : au 4 e  étage de la tour Nova, près de la Défense, le bureau de Marie-José Gava, fondatrice de Place de la médiation, est un havre de paix. Quand elle n’est pas sur le terrain, à l’instar de son comédiateur, Jean-Luc Chavanis, c’est ici qu’elle reçoit les personnes en conflit, pour des entretiens individuels où ils peuvent “vider leur sac”. Ce jour-là, d’autres tâches, tout aussi cruciales, la retiennent au bureau.

9H 30 : RESTITUTION

Premier travail du jour : conclure l’intervention menée dans un cabinet de conseil en Rhône-Alpes. Une jeune femme s’est plainte de harcèlement sexuel de la part d’un collègue. Après les avoir rencontrés, ainsi que leurs N+1, Marie-José Gava élabore un modus vivendi : plus de mission ensemble ; plus d’échanges verbaux, sauf devant un tiers et jamais par téléphone ; plus d’e-mails sans en adresser une copie à la DRH. “Les deux intéressés devront signer ce protocole”, souligne-t-elle.

11H 30 : CONF’ CALL

La journée se poursuit par une conférence téléphonique avec les dirigeants d’une collectivité territoriale. La médiatrice gère ce dossier complexe depuis seize mois. Il met aux prises 40 agents et cinq chefs de service à la suite d’allégations de harcèlement moral. Un plan d’action est en marche. Mais, à l’autre bout du fil, les responsables des RH sont inquiets : l’un des hommes clés du processus de pacification vient d’annoncer son départ. “Du coup, la mise en œuvre de la conciliation s’avère plus difficile que prévu”, observe la coach. Rendez-vous est pris pour des réunions post-médiation sur place.

15H : DEVIS

L’après-midi, Marie-José Gava examine la demande d’un distributeur de produits bio qui l’a appelée en urgence : ça «dysfonctionne» dans un de ses services. “On a parlé une heure et demie. Ce premier contact est décisif pour bien cerner le problème.” Pour cette coach, un médiateur n’est ni un auditeur de risques psychosociaux, ni un consultant, ni un arbitre, ni un juge. “Notre travail est de faire émerger une solution, sans l’imposer, sans influencer quiconque.” Elle relit les notes prises durant la conversation, conçoit un déroulé de mission, suggère un atelier de médiation réunissant l’équipe en crise et la DRH pour libérer les tensions. Une intervention dont le tarif se situe entre 1.150 et 1.550 euros la journée.

Avec Management