Les étudiants ne sont pas là pour vous décharger des sales besognes. Petit guide du tuteur de stage, avec les pratiques conseillées – et celles à proscrire absolument.Personne ne pourra reprocher aux managers de Cyndi Barbero de l’avoir assommée avec un stage-photocopie sans intérêt. Au contraire. «J’occupais un poste d’assistante du directeur artistique dans une grande agence de pub, raconte-t-elle. Quand mon unique collègue s’absentait, je travaillais pour deux. J’ai passé des nuits blanches au bureau. Un dimanche, sous les yeux médusés du gardien, j’ai même escaladé la grille d’entrée pour accéder à mon poste. J’étais couverte d’urticaire à force de stresser.»
En racontant en bande dessinée ses mésaventures de stagiaire sur son blog (yatuu.fr), Cyndi Barbero a trouvé un exutoire et rencontré le succès : plébiscité par 190.000 jeunes internautes qui s’y sont reconnus, le blog l’a fait connaître et lui a permis de trouver un éditeur (les éditions Glénat). Aujourd’hui, elle est devenue illustratrice professionnelle. Mais pour en arriver là, quelle galère !
La vie du million et demi de stagiaires de l’Hexagone n’est pas une sinécure. Bien souvent, on leur fait faire n’importe quoi. La France a légiféré en 2014 pour établir un net distinguo entre stage et contrat de travail, faisant ainsi figure de précurseur en Europe (laquelle compte entre 5 et 10 millions de stagiaires selon le collectif Génération précaire). Les responsabilités des entreprises sont désormais claires. Tour d’horizon, 100% vécu, des pratiques conseillées et de celles à éviter.
Les quatre points essentiels de la loi sur l’encadrement des stages :
– Un stage dure au plus six mois et n’est pas renouvelable (il faut respecter une période de carence égale à un tiers de la durée du stage).
– Si l’entreprise compte moins de 20 salariés, elle peut accueillir jusqu’à 3 stagiaires (au-delà de 20, c’est 15% de son effectif au maximum).
– Au-delà de deux mois, le stagiaire est rémunéré au minimum 554,40 euros par mois (avec titres-repas, remboursement des frais de déplacement à hauteur de 50% et congés).
– Le Conseil des prud’hommes dispose d’un mois pour requalifier un stage en contrat de travail si le stagiaire a été placé à un poste pouvant faire l’objet d’un contrat, même temporaire.
NE LES PLONGEZ PAS DANS LE BAIN SANS PRÉPARATION
«J’ai vécu l’enfer.» Marie, 21 ans, est en troisième année de formation d’infirmière. L’année dernière, un stage a failli remettre en question sa vocation. «Je suis arrivée dans un service de chirurgie orthopédique où personne ne m’attendait. On m’a tendu un tensiomètre et on m’a intimé de suivre le mouvement alors que je ne connaissais rien à l’organisation du service. J’ai passé deux semaines complètement perdue et ma tutrice ne s’occupait pas de moi. Elle répondait à peine à mes questions.
Alors, je prenais seule l’initiative d’aller voir les patients qui appelaient pour les aider à se lever ou à se rendre aux toilettes. Les aides-soignantes me parlaient mal. Un jour, l’une d’elle m’a apostrophée : «Marie ! Sonnette, stagiaire !» Je me suis sentie humiliée. De puis, j’ai fait quatre autres stages, qui se sont bien déroulés. Mais je connais des étudiants qui ont arrêté leurs études à la suite d’expériences similaires à la mienne.»
– Ce qu’en dit M e Lévy, avocat en droit du travail : «Un tuteur débordé est la garantie d’un stage raté. Le N+1 du tuteur doit organiser des bilans réguliers et lui rappeler les objectifs de l’étudiant mentionnés dans la convention.»
CONFIEZ-LEUR DES MISSIONS VALORISANTES
Fabien Gagnerot a passé son stage de master 2 de droit des affaires sous les ordres de Christiane Butte, directrice juridique et secrétaire générale du groupe Banque populaire Caisse d’épargne (BPCE). Pile au moment où l’entreprise devait s’adapter à une nouvelle réglementation américaine la contraignant à communiquer à l’administration fiscale certaines informations sur ses clients.
«On m’a confié la rédaction d’une note de synthèse détaillant les implications de cette nouvelle procédure pour la BPCE. Les enjeux étaient hyperimportants car la note allait être lue par l’ensemble du directoire. Une telle proximité avec la réalité m’a responsabilisé et ma tutrice m’a énormément aidé dans ce travail.»
– Ce qu’en dit M e Lévy : «Un bon maître de stage sait se souvenir de ses jeunes années pour être en phase avec le stagiaire, son envie de faire ses preuves, de valider un diplôme et d’être formé.»
NE LES TRAITEZ PAS COMME DES BOUCHE-TROUS
C’est au cours de sa licence de coordinatrice en gérontologie, en 2014, qu’Adeline Claudon a suivi un stage dans une maison de retraite dont elle était censée découvrir le versant administratif, mais pas du tout l’aspect accompagnement des personnes âgées.
«Personne n’avait été informé de mon arrivée. On m’a confiée à l’agent d’accueil. Au bout d’une heure, je suis partie visiter l’établissement et j’ai sympathisé avec une animatrice qui, le soir même, s’est cassé la cheville. Le lendemain, la direction m’a demandé de la remplacer. Et je me suis retrouvée à installer des stands pour le marché de Noël, à lire le journal et à faire des jeux de société avec les résidents. Rien à voir avec les objectifs de mon stage !» Adeline a dû photocopier en cachette des documents pour obtenir les données chiffrées dont elle avait besoin pour rédiger son rapport de fin de stage.
– Ce qu’en dit M e Lévy : «Est-ce vraiment un stage quand il n’y a pas de tuteur et, surtout, aucun lien réel avec la formation du stagiaire ? Attention : dans ce type de situation, l’entreprise risque de voir sa réputation ternie auprès des étudiants.»
DONNEZ-LEUR DE VRAIES RESPONSABILITÉS
«J’ai organisé la sortie d’un album de Riad Sattouf…» Mélusine Huguet, 23 ans, est tombée amoureuse du monde de l’édition pendant un stage effectué alors qu’elle était étudiante en master 2 de lettres modernes, dans une toute jeune maison.
«Allary Editions venait de se créer, raconte-telle. Nous n’étions que quatre dans l’équipe, mes missions étaient donc très variées : traquer les fautes d’orthographe, les problèmes de couleurs dans les dessins, assurer la communication de la société, les relations avec les auteurs, etc. C’est ainsi que j’ai participé au lancement de L’Arabe du futur, le célèbre roman graphique de Riad Sattouf. J’ai relu ses planches, organisé sa tournée des libraires. On me faisait confiance et j’ai beaucoup appris.» Après l’énorme succès de l’ouvrage (plus de 200.000 exemplaires vendus), la jeune femme s’apprête aujourd’hui à devenir attachée de presse dans ce secteur.
– Ce qu’en dit M e Lévy : «Les stages découvertes apportent de la souplesse aux petites structures : vous pouvez demander beaucoup aux stagiaires à condition de veiller à ce que vos exigences soient bien en rapport avec leur formation.»
NE PASSEZ PAS VOS NERFS SUR EUX
Harcelée par sa tutrice, Marion, 22 ans, est sortie essorée d’un stage chez un opérateur de téléphonie mobile. «Ma tutrice venait d’être embauchée. Elle était stressée et se défoulait sur moi. Elle se montrait toujours négative, me reprochait des erreurs que je n’avais pas commises et s’appropriait mon travail devant sa supérieure.
Au début, je me suis beaucoup engagée, puis, à force de subir ses récriminations, ma motivation est retombée. J’ai commencé à quitter le bureau aux heures légales et à demander les congés auxquels j’avais droit. J’ai dû me battre pour les obtenir, car elle affirmait qu’un apprenti «normal» n’en prenait jamais. La seule fois où elle m’a soutenue, c’est quand un collègue m’a fait des avances déplacées : c’était le pompon de ce stage horrible. J’en suis sortie endurcie.»
– Ce qu’en dit M e Lévy : «Attention, on touche ici une limite. Le stagiaire n’est pas votre assistant personnel. Veillez par conséquent à ne pas l’étouffer, à ne pas trop l’accaparer. Les relations qu’il tissera avec d’autres salariés seront très bénéfiques pour lui.»
PERMETTEZ-LEUR DE VIVRE UNE SITUATION RARE
«J’ai vécu une fusion-acquisition de l’intérieur», se félicite Faten Anis, 24 ans. La jeune femme, qui prépare le barreau et veut devenir avocate d’affaires, a effectué l’an dernier un stage au service juridique du cimentier Lafarge, alors que celui-ci était en train de fusionner avec le suisse Holcim pour devenir le leader mondial du secteur.
Une expérience rare et riche d’enseignements. «Mon tuteur m’a confié la gestion de dossiers concernant les filiales à l’étranger : je préparais des contrats de vente ou d’acquisition d’activités, je participais aux négociations, etc. Dans les e-mails, j’étais même désignée comme «responsable».»
– Ce qu’en dit M e Lévy : «Mettre le stagiaire face à un challenge, c’est bien. Mais ne le laissez jamais seul et soyez attentif à ce que le résultat ne repose pas entièrement sur ses épaules. On est ici à la limite de ce que l’entreprise peut demander à une personne qui n’est pas salariée.»
NE LES CHARGEZ PAS DE FORMER LEUR SUCCESSEUR
L’histoire survenue à Clara, 27 ans, est typique de ce qui se passe dans les entreprises qui ne pourraient pas fonctionner sans stagiaires… alors même que ceux-ci ne sont en aucun cas censés se substituer à des salariés.
«J’ai passé trois mois dans cette boîte spécialisée dans la post-production d’émissions de télé. Au début, on nous confiait de vraies «tâches de stagiaires», simples et rébarbatives, comme copier des DVD. Puis, très vite, il fallait savoir exécuter le job d’un assistant-monteur et poser des sous-titres, par exemple. A la fin de mon stage, il n’était pas question de m’embaucher… mais en même temps on avait besoin de moi. Alors, mon manager a fait venir mon successeur et m’a donné une semaine pour le briefer ! Cela se passait ainsi à chaque fin de stage : le partant formait le suivant et ainsi de suite.»
– Ce qu’en dit M e Lévy : «Afin que le stage ne se substitue pas à un contrat de travail, la loi impose un délai de carence entre deux stages sur un même poste. Son absence autorise les prud’hommes à requalifier une convention de stage en contrat de travail.»
N’EN FAITES PAS DES PUNCHING-BALLS
Pas facile de devenir stagiaire à 31 ans et de subir des vexations ! C’est ce qui est arrivé à Sébastien Fougère, qui avait laissé tomber le marketing pour devenir chef cuisinier. «Je me suis retrouvé dans un restaurant gastronomique, dans une brigade de 15 personnes, où seuls le chef et une sous-chef étaient plus âgés.
Etre traité comme un commis lors qu’on a une longue expérience n’est pas facile à vivre : on me répétait les consignes dix fois, on surveillait tout ce que je faisais. Un jour, j’annonce deux entrées prêtes à partir. La sous-chef est censée répondre et les envoyer. Devant son silence, je répète, puis je me concentre sur la suite de mes plats. Là, elle découvre les entrées et s’étonne que personne n’ait rien annoncé. Je lui dis que je l’ai fait deux fois et reçois illico un verre d’eau dans la figure ! Je suis resté zen, mais un ami plus âgé a quitté une cuisine sur-le-champ après un incident de ce type.»
– Ce qu’en dit M e Lévy : «Il est fréquent de voir des maîtres de stages perdre contenance face à une personne que son statut protège peu. Là encore, en choisissant mal les tuteurs, l’entreprise risque de renvoyer une piètre image d’elle-même.»
Pour Maître Frank Lévy, “le rôle du tuteur est déterminant pour la réussite du stage. Pour accueillir et encadrer un stagiaire, vous devez vous montrer motivé et disponible. Faites tout pour lui donner des missions en rapport avec les objectifs précis qui sont notifiés dans sa convention.»
Avec Management