Ils s’opposent à une loi d’encadrement mais trouvent injustes et contre-productives de trop grandes différences de rémunération. Trois entrepreneurs s’expliquent.
C’est Renault qui a mis le feu aux poudres en avril dernier. Pour la première fois, les actionnaires d’un groupe du CAC 40 se sont prononcés – dans le cadre du «say on pay» – contre la rémunération du PDG, Carlos Ghosn. Mais ce vote est consultatif et le conseil d’administration est passé outre… Cette affaire a (r)ouvert le débat sur l’obligation de se conformer au résultat du vote, et plus généralement sur le salaire des dirigeants. En France, la rémunération d’un PDG représente en moyenne 100 fois celle d’un salarié (aux États-Unis, ce ratio dépasse 300). Rappelons que ces écarts concernent les grandes entreprises cotées en Bourse… Nous avons interrogé trois entrepreneurs qui pratiquent une autre politique salariale et cherchent à encadrer raisonnablement ces ratios.
Jérémy Cousin, CIV (Conception et maîtrise d’installations techniques), 20 salariés :
«Je reste cohérent avec les valeurs de l’entreprise familiale».
Lorsque Jérémy Cousin et son frère ont repris les rênes de l’entreprise fondée par leurs parents, ils ont établi leur rémunération, non pas sur ce qu’ils pouvaient gagner au maximum, mais sur ce dont ils avaient besoin pour vivre heureux. «Nous sommes une entreprise familiale, cet état d’esprit a toujours été dans notre culture.» Tableau à l’appui, ils ont passé en revue leurs envies pour les prochaines décennies. «Nous avons estimé que 7.500 euros net par mois nous assuraient une très belle vie. Le ratio de 1 à 6 est la conséquence de cette estimation.» Leurs ouvriers et magasiniers sont ainsi rémunérés autour de 1.400 euros net. «Et si je décidais de gagner 30.000 euros, je ne vois pas pourquoi le salaire le plus bas serait inférieur à 5.000 euros.»
PRIMES ET VOITURES ÉLECTRIQUES. Jérémy Cousin reste cependant hostile à une loi d’encadrement. «Il faut arrêter avec les règles rigides : les entreprises ont besoin de souplesse et de pouvoir en donner aux salariés. Sans compter qu’il existe toujours des moyens pour contourner la législation… » Il préfère les solutions simples, au cas par cas. Il a, par exemple, mis des voitures électriques à la disposition de ses employés, leur faisant économiser près de 300 euros par mois. «Si je les augmentais d’autant, cela me coûterait deux fois plus.» Et quand les résultats de la société sont bons, tout le monde en profite : l’année dernière, chaque salarié a touché une prime de 1.000 euros.
Abdénour Aïn Seba, IT PARTNER (externalisation des systèmes informatiques), 35 salariés : «Les écarts doivent être réduits pour créer un vrai esprit d’équipe.»
Abdénour Aïn Seba a souhaité instaurer une politique d’équilibre des salaires quelques années après la création de sa société, en 1995. «Lorsque vous réunissez autour de la même table un cadre payé 15.000 euros et un smicard, et que vous demandez à tout le monde de se retrousser les manches, ça ne peut pas marcher ! Il faut réduire les écarts pour avoir un bon esprit d’équipe.»
Réfractaire à l’idée de payer tout juste au smic (1.144 euros net) les employés les moins qualifiés, il a fixé un salaire minimum légèrement supérieur – 1.450 euros pour les techniciens de maintenance et s’accorde pour sa part 7.000 euros mensuels. Il n’a pas voulu d’accord écrit ni de grille fixe, parce qu’il a besoin de proposer aux postes intermédiaires des rémunérations en phase avec le marché. Et si l’idée d’un ratio est importante à ses yeux, elle ne constitue pas pour autant l’alpha et l’oméga de son management.
FORMATION. «Si vous n’instaurez pas une politique de formation, d’accompagnement et de montée en compétence, les employés ne se sentent pas bien et vous aurez du turnover. Ratio ou pas ratio !». IT Partner a aussi mis en place un système d’augmentations automatiques, pour que les salariés n’aient pas à en faire la demande et se sentent reconnus dans leur travail.
Michel Sarrat, GT LOCATION (Location de camions avec conducteur), 1.700 salariés : «Pour moi, c’est un facteur d’attractivité et une question d’éthique».
Dans la société que dirige Michel Sarrat, les conducteurs de camion gagnent environ 2.000 euros brut par mois ; lui se rémunère 19.000 euros. «J’ai un train de vie très confortable, je ne me sentirais pas en conformité avec mes valeurs si je me payais davantage.»
Membre de l’association des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens, il est choqué lorsque des patrons s’octroient 500 fois le salaire d’un professeur d’université, mais reste opposé à une loi imposant un ratio aux entreprises. «Je peux avoir besoin de proposer des salaires élevés aux top managers, pour attirer les meilleurs ou celui qui me remplacera, car je pars bientôt à la retraite… » Une loi aurait certes l’avantage de mettre les entreprises à égalité en termes d’attractivité salariale, mais elle ferait fuir les talents à l’étranger. «Nous devons éviter deux écueils, résume-t-il : la démesure et l’irréalisme. Je crois davantage aux bonnes pratiques et à l’exemplarité.»
FIDÉLISATION. Sa démarche éthique ne semble pas nuire à l’attractivité de son entreprise : bien au contraire, des cadres qui l’avaient quittée pour gagner deux fois plus sont revenus, dégoûtés par la course effrénée au gain en vigueur chez certains concurrents.
Polémique : les millions des stars du CAC 40
En 2015, ces PDG ont touché en moyenne 240 SMIC annuels, soit 4,2 millions d’euros brut, actions et stock-options comprises. Olivier Brandicourt, chez Sanofi, a explosé les compteurs avec 16,6 millions d’euros, tandis que Martin Bouygues percevait un peu moins de 1 million.