J‘ai une question qui tue pour vous, aujourd’hui : «Pourquoi êtes-vous si sérieux au travail?» Bien entendu, nous connaissons tous la réponse qui vous allez avancer : «Au travail, il faut absolument projeter une image de compétence, d’efficacité, de contrôle de soi, etc.», ou encore «Au travail, ceux qui se montrent trop cool, relax ou zen n’inspirent pas vraiment confiance et se retrouvent vite hors-course dès lors qu’un dossier crucial ou une promotion est en jeu». Du coup, l’ambiance de travail est mortelle d’ennui (et vous considérez que c’est en grande partie la faute des autres). Est-ce que je me trompe?
Bon. Maintenant, j’ai une autre question pour vous, une question complémentaire : «Pourquoi ne vous dérideriez pas un peu plus au travail, à présent?» Est-ce que cela nuirait grandement à votre image? Voire à votre carrière?
La bonne nouvelle de jour, c’est que j’ai la réponse à cette interrogation existentielle. Si, si… Je l’ai dénichée dans une étude intitulée Risky business: When humour increases and decreases status et signée par : Alison Wood Brooks, professeure de gestion des affaires à la Harvard Business School (États-Unis), et Maurice Schweitzer, professeur de science de la décision, de l’information et des opérations à la Wharton School (États-Unis), assisté de son étudiant Bradford Bitterly. Regardons ça ensemble…
Les trois chercheurs ont procédé à huit expériences visant à évaluer l’impact d’une blague sur l’image de l’employé qui la raconte à ses collègues, et par la suite, l’impact d’une attitude reposant en grande partie sur l’humour. Ils ont ainsi demandé à des centaines de volontaires d’attribuer une note à une série de blagues, en fonction de la puissance comique qu’elles avaient à leurs yeux. Puis, ils les ont invité à évaluer l’impact qu’elles pouvaient avoir sur un employé, en fonction du contexte et de la fréquence où elles étaient prononcées .
Par exemple, on peut déclencher le fou rire de collègues en partageant avec eux la dernière bévue d’un boss réputé se prendre systématiquement les pieds dans le tapis. Mais la même histoire drôle peut virer au malaise généralisé, si, disons, la maîtresse du boss fait partie de l’auditoire, ou à tout le moins son allié le plus fidèle; et ce, a fortiori lorsque l’employé en question est coutumier du fait.
«L’humour est une violation de la norme sociale, mais une violation bénigne. Si jamais cette violation est trop grande ou inappropriée, l’histoire racontée n’est plus jugée drôle par les autres et risque fort de se retourner contre son auteur», explique Maurice Schweitzer dans la Harvard Gazette, l’hebdo de l’université américaine.
Résultats? Ils sont sans appel :
> Avantage aux vrais comiques. Les auteurs des blagues les plus drôles — à la fois comiques et appropriées — sont considérés par les autres comme les plus compétents et les plus en contrôle d’eux-mêmes dans le cadre du travail. Autrement dit, faire le comique au bureau est tout à leur avantage puisque cela leur permet de projeter une image d’employé doué.
> Danger pour les bouffons. Les auteurs de blagues franchement drôles, mais inappropriées, ne parviennent certes pas à déclencher l’hilarité des autres, mais cela ne nuit pas pour autant à leur image professionnelle. À moins que cela ne devienne une mauvaise habitude.
> Impasse pour les assommants. Les auteurs de blagues appropriées, mais jugées peu drôles, voire carrément plates, sont considérés par les autres comme des employés confiants en eux-mêmes, mais également comme peu compétents. Ce qui nuit globalement à leur image professionnelle.
> Abîme pour les barbants. Les auteurs de blagues non seulement plates, mais aussi inappropriés, se grillent tout bonnement au bureau. Car leur compétence professionnelle part en fumée aux yeux des autres. Ni plus ni moins.
«Ne nous y trompons pas, l’humour au bureau est un art périlleux. Si vous avez le cran d’être vous-même, en partageant avec les autres les traits d’esprit qui vous viennent en tête de manière pertinente, vous avez tout à gagner à balancer vos blagues de but en blanc. Mais si par malheur vos blagues sont boiteuses, mieux vaut vous abstenir, ou à tout le moins y penser à deux fois avant de vous aventurer à faire rire vos collègues», dit Alison Wood Brooks.
Et M. Schweitzer d’ajouter : «Notre étude montre que l’on a, en général, tort de nous retenir de blaguer avec nos collègues. Je pense notamment aux jeunes recrues qui se retiennent à tout bout de champ de rigoler avec les autres, de peur qu’on les perçoive comme des dilettantes, pour ne pas dire des incompétents. C’est une erreur. Ils ont, au contraire, tout intérêt à montrer cette fantastique facette de leur personnalité. Idem, les cadres gagneraient à se dérider davantage, par exemple à l’occasion d’un entretien d’embauche ou d’une formation en management».
C’est que, d’après le professeur de la Wharton School, «l’humour est un formidable moyen de développer nos compétences en communication et en négociation», et donc, «de booster notre carrière». D’autant plus que d’autres études ont d’ores et déjà montré que les milieux de travail où l’humour avait sa place affichaient «un plus grand engagement des employés» ainsi que «un plus haut niveau de satisfaction au travail auprès des employés».
Que retenir de tout ça? Ceci, à mon avis :
> Qui entend booster sa carrière sans effort se doit de faire le comique dès que l’occasion se présente. Il lui faut partager avec les autres les traits d’esprit qui lui viennent en tête et déclencher en eux pétillement d’intelligence sur pétillement d’intelligence. Mais gare! Si jamais les blagues partagées ne sont pas si drôles et appropriées que ça, mieux vaut s’abstenir. Car le son auteur risque de finir par rire jaune.
En passant, le philosophe grec Héraclite d’Éphèse disait : «Ne faites pas rire au point de prêter à rire».
Avec lesaffaires