Je rentre d’un séjour en France, où tout le monde ne parlait alors que d’un seul homme : Thomas Coville. Thomas Coville? Laissez-moi vous le présenter en deux mots…
Ce gars est né en Bretagne, à Rennes – comme moi, juste quelques mois après moi. Et le soir de Noël dernier, il a – tenez-vous bien ! – pulvérisé le record du tour du monde à la voile en multicoque sans escale, avec un temps de 49 jours 3 heures 7 minutes et 38 secondes, soit avec plus de huit jours d’avance sur le précédent record.
Derrière ces chiffres se cachent une performance purement phénoménale. Une performance physique et mentale à nulle autre pareille. Une anecdote devrait suffire à vous le faire saisir…
Alors qu’il passait sous l’Afrique du Sud, il a été confronté à un enchaînement de systèmes météo défavorables, fait de vents très forts et de calmes plats. Il n’avait alors pas d’autre choix que d’aller chercher des vents meilleurs, ce qui nécessitait de se mettre à slalomer, sans ralentir, entre des zones d’icebergs : le moindre choc et la course était finie. Du coup, Thomas Coville a dû effectuer, en 24 heures, 23 empannages, c’est-à-dire 23 virements de bord, ce qui correspond à se livrer à une manoeuvre on ne peut plus physique de 20 minutes, puis à piloter (et s’hydrater, et se nourrir,…) pendant 40 minutes, avant de recommencer, toute une journée, sans fermer l’oeil. Les amateurs d’endurance apprécieront sûrement.
Une autre anecdote : les bateaux multicoques sont aujourd’hui si performants qu’ils “volent” littéralement au-dessus de l’eau. Ce qui oblige le skippeur à encaisser des G éprouvants pour le corps, à l’image de ce qui subissent les pilotes de Formule 1. Thomas Coville l’a d’ailleurs confié à son arrivée aux médias français : «Quand je m’allongeais pour effectuer la respiration mentale qui m’aide à m’endormir, je sentais mes viscères bouger. C’était dû aux G que je prenais de plein fouet, en continu», a-t-il dit.
Impressionnant, n’est-ce pas? Mais le plus fort n’est pas là!
C’est que je n’ai pas résisté, dès que j’ai entendu parler de la prouesse du marin breton, je me suis procuré le quotidien L’Équipe pour y lire l’une de ses premières entrevues après son arrivée sur la terre ferme. Une entrevue dans laquelle il dévoile le secret de son incroyable performance…
Il faut savoir que Thomas Coville avait tenté à quatre reprises de battre ce record du monde, en 2007, 2008, 2011 et 2014. Toujours en vain. Pis, il était entré en collision avec un cargo quelques heures après le départ de la Route du Rhum 2014, ce qui l’a forcé à l’abandon alors qu’il figurait parmi les favoris de la course; une erreur de débutant qui l’avait fait douter de lui-même à tel point que sa femme a confié, un beau jour, qu’il se considérait depuis comme «un raté», et même comme «une merde».
Néanmoins, ce cuisant revers a été, en vérité, l’élément déclencheur de sa renaissance!
Il est en effet allé chercher de l’aide, sous la forme d’une coach mentale. «La première chose que j’ai dite à Lynne Burney, c’est que je ne cherchais pas une psychanalyse, mais un objectif, quelque chose qui me permette de passer le cap pour performer à nouveau», a-t-il confié à L’Équipe. Et elle de lui confirmer qu’ils étaient sur la même longueur d’ondes : «Elle m’a rapidement posé une question : “À quoi te sert ta culpabilité [d’avoir bêtement percuté le cargo lors de la Route du Rhum]?”. Une question suivie d’un trait d’intelligence : “Si tu n’acceptes pas de perdre, tu ne pourras jamais gagner”. Car, ce qui compte vraiment, ce n’est pas d’avoir échoué, mais ce que tu fais de cet échec», a-t-il ajouté.
Et d’expliquer : «Quand tu es down, tu doutes. Tu te dis : “Je n’étais pas fait pour ça”. Dans mon cas, je m’étais surtout accompli en travaillant en équipe, pour un leader, que ce soit pour Laurent Bourgnon, Olivier de Kersauson, Marc Pajot, ou encore Franck Cammas. Si bien que je me suis mis à douter de ma capacité d’être le leader à mon tour. Même si j’y étais allé à plusieurs reprises. Pour me tester. Pour voir si…»
Avec l’aide de sa coach mentale, il a ainsi entrepris «un cheminement intérieur». Il s’est «connecté au petit garçon [qu’il avait] été, à l’homme [qu’il est] aujourd’hui et à celui [qu’il a] envie de devenir». Et il a décelé «un alignement» entre eux tous : «Quand tu es aligné, tu es en phase avec toi-même. Moi, je sais alors que le fait que je fasse du bateau est légitime, qu’il n’y a pas de justification à chercher ou à avoir. Je sais que je suis là parce que ça doit être comme ça, pas autrement. Je sais qu’est venu le moment d’exprimer ma singularité : plus besoin pour moi de chercher à prouver quoi que ce soit, j’ai juste à faire ce qui doit être fait, sans y réfléchir», a-t-il indiqué.
Et de préciser : «Avoir bossé mentalement sur moi-même, avoir décoincé tous les trucs sur la culpabilité, ça m’a permis de débloquer des verrous et de ne plus avoir besoin d’y revenir sans cesse, comme je le faisais auparavant». Bref, ça lui a permis d’enfin regarder en avant, au lieu de sans cesse scruter en arrière de lui. Et ce, tout en restant fidèle au petit garçon qu’il avait été, qui allait sur le côte de Saint-Brieuc assister aux départs de la Route du Rhum, les cheveux brassés par le chant des sirènes.
Résultat? Le skippeur de Sodebo s’est mis à accumuler les performances : en 2015, il est arrivé 2e de la Transat Jacques-Vabre, avec son coéquipier Jean-Luc Nélias, en multicoque; et en 2016, il a fini 2e de la Transat anglaise en multicoque, puis il a battu le record du monde que l’on sait.
«Quand tu perds, tu as l’impression d’être vidé, et pour rien. Mais là, depuis mon travail avec Lynne Burney, je me sens rempli», a-t-il dit, en ajoutant que «pour un athlète, gagner, c’est la machine à motivation».
Voilà. Thomas Coville a su renaître de ses cendres parce qu’il a eu le cran de s’attaquer au dernier frein qui soit, le plus puissant de tous : lui-même. Il y est parvenu en s’appuyant sur une aide inestimable, sa coach mentale, Lynne Burney. Ensemble, ils ont réussi à le soulager du poids qu’il avait sur les épaules, un poids totalement inutile, qui le paralysait, qui l’écrasait même. Il a suffi de ce simple travail sur lui-même pour que la donne soit changée; mieux, pour que de toutes nouvelles forces jaillissent en lui. Des forces telles qu’elles l’ont porté à la victoire en un rien de temps. Ni plus ni moins.
Que retenir de tout ça? Ceci, à mon avis :
Qui entend se remettre d’un cuisant revers professionnel se doit d’affronter les fantômes qui le hantent depuis. Il lui faut avoir le cran de regarder en face la zone d’ombre en lui qui l’a amené à l’échec, puis de braquer sur elle un projecteur à même de l’anéantir d’un seul coup; et ce, bien entendu, avec l’aide d’une personne expérimentée en la matière. Car de cette manoeuvre mentale jaillira en lui une toute nouvelle force, une puissance intérieure susceptible de le faire voler dès lors de succès en succès. À l’image du skippeur breton Thomas Coville.
Avec lesaffaires