Signe des temps où l’on tente de conjuguer forêt et agriculture, les deux associations françaises basées à Lyon, Rongead et Etc Terra, très actives en Côte d’Ivoire comme au Mozambique et à Madagascar, ont décidé de fusionner.
Etc Terra, née du programme Action Carbone de la Fondation GoodPlanet créée par le célèbre photographe et écologiste Yann Arthus-Bertrand, est davantage tournée vers la préservation de la forêt, tandis que Rongead est plus impliquée dans le développement de filières agricoles, connue notamment pour ses bulletins d’information n’kalo sur le cajou, sésame, karité, etc.
Pourquoi fusionner ? “Nous avons d’importantes complémentarités du point de vue technique et par rapport à la vision du développement”, explique Cédric Rabany, directeur de Rongead, à CommodAfrica. “L’approche croisée combinant préservation du territoire et du cadre naturel avec le développement de filières permet de créer des débouchés, de l’économie, de la transformation locale. C’est une approche pertinente. Or, il n’y a pas vraiment de bureau d’études ou d’ONG qui peuvent parler à la fois de plan d’aménagement forestier, d’agriculture et de développement des filières.”
Une “approche producteur” pour la forêt de la Mé
Concrètement, les deux ONG travaillent déjà ensemble sur 3 programmes dans ces 3 pays, dont le projet dans la forêt de la Mé, au sud-ouest de la Côte d’Ivoire, qui vient de démarrer.
“En Côte d’Ivoire, le front pionnier du cacao se reporte sur ses dernières forêts de l’Est”, explique Cédric Rabany. “C’est un projet pilote Redd+* qui combine la préservation de ces forêts avec la mise en place de systèmes de production sans déforestation aussi bien sur le café que le cacao, l’hévéa ou le palmier à huile. L’idée est de travailler avec une ‘approche producteur’ sur ces zones pour tester des systèmes moins nocifs sur l’environnement.”
L’agriculture sans déforestation est aujourd’hui un dossier majeur pour un pays comme la Côte d’Ivoire. Certes, cela fait longtemps que le pays a perdu l’essentiel de ses forêts et, ces dernières décennies, le taux de déforestation a plutôt diminué. Mais il demeure élevé et suscite l’inquiétude, souligne l’étude “Analyse qualitative des facteurs de déforestation et de dégradation des forêts en Côte d’Ivoire (link is external)”, parue en novembre et réalisée précisément par Etc Terra et Rongead, conjointement avec le Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD) de Côte d’Ivoire et le programme ONU-REDD.
62% de le déforestation ivoirienne due à l’agriculture
De 1990 à 2015, les forêts ivoiriennes ont ainsi reculé de 7,8 à 3,4 millions d’hectares (10,6% du territoire). Mais le taux de déforestation est passé de 4,32% par an sur la période 1990-2000 à 2,69% en moyenne entre 2000-2015.
Selon l’étude, l’expansion de l’agriculture serait responsable pour 62% de la déforestation et de la dégradation des forêts en Côte d’Ivoire, avec la cacaoculture en tête (38%), suivie de l’hévéaculture (23%) et de la culture du palmier (11%). L’exploitation forestière serait une cause de déforestation à hauteur de 18%, l’extension des infrastructures pour 10%, l’exploitation minière 8% et la propagation des feux de brousse 3%.
Notons que les auteurs rappellent que la Côte d’Ivoire s’est récemment engagée dans l’initiative “Cacao Carboneutre” ou “Cacao Zéro déforestation” et dans la création en 2012 d’un programme national relatif au changement climatique mais que “cette politique n’est pour le moment qu’une intention, dont les contours opérationnels peinent à prendre forme”.
C’est donc “l’attractivité économique” des superficies boisées qui serait une raison de leur accaparement, notamment “par des hauts cadres ivoiriens lors de la crise des années 2000”.
Une des conséquences directes, que l’on constate déjà, de cette déforestation est l’importance que prend l’harmattan. “Comme le souligne la feuille de route REDD+ de Côte d’Ivoire (SALVA TERRA, 2012), la savanisation du pays est constatée depuis plus de 20 ans”, lit-on dans le rapport. “La déforestation brutale a conduit à une avancée de la savane et l’installation de l’harmattan. Ce vent sec du nord qui ne soufflait que de manière exceptionnelle à Abidjan dans les années 70-75, s’installe maintenant pendant plusieurs semaines, de décembre à fin février.”