Les politiques agricoles de pays comme le Sénégal visent à garantir une sécurité alimentaire aux populations rurales, à améliorer leur accès à des services sociaux, et à développer l’investissement privé dans l’agriculture. Très souvent, ces populations exploitent de petites parcelles de terres qui ne permettent pas de réaliser des économies d’échelle.
Elles n’arrivent pas non plus à s’entendre pour agréger leurs terres à cette fin, et n’ont pas toujours la maîtrise des chaines de valeurs qui justifieraient que des privés investissent dans les infrastructures nécessaires à la modernisation de leurs exploitations. Ces populations rurales résistent également à la mise à disposition de terres arables non exploitées à de grands groupes privés ou internationaux à cause de la concurrence qu’ils pourraient représenter pour elles. Comment sortir d’une telle impasse pour amorcer une révolution agricole?
Ces populations ne sont pas obligées de continuer à travailler la terre qui est leur principal actif, qu’elles en aient les droits de propriété privée ou collective. L’Etat pourrait, via une réforme foncière, donner des droits de propriété par surface minimale de terres arables (par unités d’un hectare par exemple) aux populations rurales. Dans chaque collectivité locale serait ainsi déterminé un aménagement du territoire y compris sur les surfaces de terres arables exploitées ou non exploitées qui seraient mutualisées ouagrégées en de grandes surfaces indivisibles à mettre à la disposition de grands groupes privés. En renonçant à l’exploitation directe de leurs petites parcelles, les paysans pourraient recevoir de l’Etat un revenu minimum garanti (RMG) par unité de terre, une sorte de loyer qui serait versé par des groupesprivés usufruitiers qui pourront ainsi profiter de terres agrégées et indivisibles de taille raisonnable. Le montant du RMG pourrait être déterminé de façon modulable selon le coût de la vie dans chaquecollectivité locale et les rendements potentiels des terres concernées.
Le RMG n’est pas une sorte d’indemnité suite à une expropriation ou un revenu d’assistance sociale. Il s’agit d’une incitation aux paysans afin de faciliter l’agrégation et la mutualisation des terres, permettant de constituer des parcelles à taille rentable. En effet, avec des titres de propriété négociables par surface minimale de terre, les populations rurales pourraient aussi, si elles le souhaitent, participer au capital des grands groupes privés via une structure qu’elles contrôleraient et tirer des dividendes sur les profits nets des projets. Cette structure privée, ces populations y auraient des parts en y mutualisant leurs titres de propriété négociables loués aux groupes privés, ce qui permettrait de valoriser les titres auprèsd’institutions financières nationales et internationales pour financer sa participation aux investissements. Le rendement anticipé des projets serait déterminé comme dans le cas de projets publics-privés par uneévaluation multipartite et neutre des hypothèses d’exploitation pour la durée des baux avec la possibilité de révision périodique de loyers tenant compte d’une fourchette de rendement pour les actionnaires. Les populations qui ne souhaiteraient pas participer aux investissements, mais dont les titres de propriétéauront été mutualisés ou agrégés dans de grandes surfaces indivisibles, devront accepter le RMG et/ou de vendre leurs titres. Ceux dont les titres n’auront pas été mutualisés pourront volontairement se regroupers’ils le désirent ou exploiter leurs terres individuellement.
Cette approche est à contraster avec des projets étatiques visant (i) à équiper et aider le monde rural (ii) àlouer des terres à des entreprises privées mais pour verser l’usufruit aux collectivités locales et/ou (iii) à demander aux entreprises privées de prendre en charge des besoins sociaux des populations rurales ou de contractualiser leur production en échange de leur consentement. La solution proposée pourrait permettre d’atteindre les objectifs de sécurité alimentaire, de protection sociale, et de fourniture de services publics de base. Ceci sans faire de l’Etat un entrepreneur agricole, ni obliger les populations à l’être sans leur proposer une alternative de libre choix et de responsabilité qui préserverait également leurs terres.
Pour éviter l’assistanat, le RMG, qui serait taxé localement et assorti d’obligations en matière d’éducation pour les enfants et d’adhésion à une mutuelle de santé, permettrait d’assurer une sécurité alimentaire, un progrès social, et le financement des collectivités locales. Le RMG favoriserait l’investissement par des privés et par les ruraux eux-mêmes dans des cultures vivrières compétitives sur les terres qu’ils exploitent et qu’elles peuvent mutualiser pour capturer cette même manne financière. L’impôt sur les revenus y compris sur le RMG responsabiliserait les populations dans la gestion des affaires publiques locales. Le collectivisme présent dans l’approche agri business et d’exploitation familiale et communautaire du PSE au Sénégal serait ainsi atténué. Il s’agirait de choisir de faire davantage confiance aux populations elles-mêmes plutôt qu’exclusivement à l’Etat/la collectivité locale.
Les propositions ci-dessus faites permettraient de favoriser une révolution agricole et la reconversion d’une bonne partie des populations rurales vers l’urbain, l’industrie, et les services à découvrir. Dans la même lancée, le principal objectif de sécurité alimentaire recherché par les pouvoirs publics serait atteint sans passer par l’autosuffisance alimentaire dans des produits spécifiques comme c’est le cas au Sénégal. En effet, la finalité de la production dans une économie monétaire et d’échange et non de subsistance n’est pas la consommation propre des producteurs (individuellement ou collectivement) mais la vente pour des revenus. La finalité est l’obtention de revenus pour pouvoir se procurer ce que l’on désire d’où que ça puisse provenir.
Les Ministères de l’Agriculture et de l’Economie et des Finances du Sénégal et d’autres pays africains devraient s’essayer à la simulation d’un RMG en milieu rural comme option de développement agricole. Les préalables sont un aménagement du territoire consensuel et une réforme foncière qui donnerait aux populations des titres de propriétés transférables par surface minimale de terres arables à agréger et à mutualiser en de grandes surfaces indivisibles. Ce RMG pourrait être complété de ressources venant des secteurs de la santé et de l’éducation qui n’arrivent pas non plus à améliorer les indices de développement humain avec les ressources budgétaires qui leur sont allouées.