C’est l’homme le plus riche du pays. Surnommé « le roi du thé », Baba Danpullo vit loin des ors du Palais mais en bonne intelligence avec lui. Le leitmotiv de ce Peul anglophone : « Les affaires n’aiment pas le bruit. »
En retrait
Comme s’il hésitait à ouvrir davantage les portes de son intimité, celui que le Cameroun surnomme « le roi du thé » reçoit dans l’antichambre de son ranch aux allures de château victorien, situé dans son village de Ndawara, dans le Nord-Ouest anglophone. Loin de Yaoundé et de ses intrigues de cour – dont il n’ignore rien puisqu’il est propriétaire d’une chaîne de télévision, DBS, et qu’il s’adonne quotidiennement à la lecture des journaux –, il semble vouloir garder pour lui son histoire de self-made-man parti de rien pour devenir l’homme d’affaires le plus fortuné du pays.
Une classe dominante traditionnellement réunie par familles
Son ascension a bousculé la hiérarchie des vieilles fortunes camerounaises. Avant lui, le gotha des milliardaires répertoriait des personnalités issues d’une bourgeoisie traditionnelle qui lui était étrangère. Dans les années 1960-1970, des notabilités communautaires avaient été les premières à s’enrichir, à l’instar de Paul Soppo Priso, politicien reconverti dans les affaires après le départ des colons, qui construisit pierre par pierre un empire immobilier.
Dans les années 1980, des groupes familiaux bamilékés, fondés par Victor Fotso ou Joseph Kadji, se sont développés dans le commerce avant de se diversifier dans l’industrie, l’agroalimentaire, la banque et les services. Puis la fulgurante ascension du mathématicien James Onobiono, grâce à l’électroménager et à l’industrie de la cigarette, a marqué les années 1990.
Une fortune issue du commerce
Pendant ce temps, faisant profil bas, des commerçants peuls ont accumulé des richesses considérables : moins glamour, souvent moins éduqués mais tout aussi prospères, ils se sont construits à l’ombre des fortunes médiatiques. Fadil Abdoulaye Hassoumi a régné sur la distribution de savons et de détergents, tandis que Mohamadou Abbo Ousmanou s’est enrichi dans l’import-export.
La montée du péril sécessionniste est mauvaise pour ses affaires
Baba Danpullo, qui a quitté l’école avant le collège, appartient à cette catégorie-là : ceux qui se tiennent loin de la politique et des salons mondains, où ils sont regardés de haut, mais que l’on apprécie pour leur célérité quand il s’agit de mettre la main à la poche afin de financer le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir).
À 65 ans, ce musulman qui cultive l’allure simple du commerçant en habit traditionnel préfère vivre dans son domaine niché au sein de ses 5 000 ha de plantations de thé. Pas seulement parce que l’agro-industrie est le cœur de ses activités, mais aussi pour respirer l’air frais de cette campagne au relief spectaculaire – un alignement quasi continu de hautes terres qui s’étendent du mont Cameroun jusqu’aux monts Mandara – et pour profiter du calme de sa campagne natale. « Les affaires n’aiment pas le bruit », estime-t-il.
Une fiscalité peu attrayante
Quand il s’éloigne de Ndawara, ce chef d’entreprise qui emploie 10 000 personnes se rend en Afrique du Sud, où il a installé le siège de ses activités. Il y possède une compagnie aérienne régionale, Star Away Airlines, et un patrimoine immobilier comprenant plusieurs gratte-ciel. À Johannesburg, il est particulièrement fier de la Marble Tower, sur Von Wielligh Street, et de His Majesty – sa tour préférée, aux dires de ses collaborateurs –, sur Eloff Street.
Pourquoi investir à l’étranger ? Son principal lieutenant, Dagobert Boumal, directeur général de Cameroon Tea Estates, pointe un problème avec la fiscalité. « Elle n’est pas assez transparente s’agissant des prélèvements, imposés parfois en dehors du cadre légal », se plaint-il. Et de relever, aussi, la faiblesse des infrastructures de transport et les coûts élevés de l’électricité.
Proche du pouvoir
Les affaires n’aiment pas le bruit ? Elles aiment encore moins la fureur des émeutes qui secouent le Cameroun anglophone depuis mi-novembre. « Je ne sais pas ce que veulent dire “anglophone” ou “francophone”, prétend le patron. Avant l’arrivée des colons, ces vocables qui désignent les frères et sœurs d’un même pays n’existaient pas. » Néanmoins, « le fait que certaines personnes demandent la prise en compte de l’anglais dans la rédaction des actes qui régissent la vie des Camerounais me semble légitime », ajoute-t-il, soudain soucieux de ménager la chèvre et le chou.
Car il n’oublie pas que cette région est le point de départ de sa réussite. Il a grandi dans ce carrefour de cultures où les Mbororos, musulmans issus du Nigeria voisin et pratiquant l’élevage transhumant, cohabitent avec les agriculteurs bantous. Tous croisant d’autres groupes venus avec leurs différences linguistiques, religieuses, vestimentaires…
C’est une certitude, la montée du péril sécessionniste est mauvaise pour ses affaires. Lui qui a toujours été proche du pouvoir doit beaucoup à l’État, et ce depuis le début. Issu d’une famille modeste, il est camionneur et dispose çà et là de quelques échoppes quand, à la fin des années 1970, il fait la connaissance de Youssoufa Daouda, le ministre de l’Économie de l’époque, qui lui octroie des licences d’importation de riz et de farine.
Quelques années plus tard, sa rencontre avec Jeanne-Irène Biya lui permet de mettre un pied dans l’industrie : la première dame (décédée depuis) l’aide à acquérir la Société des minotiers du Cameroun, en cours de privatisation, pour un franc symbolique.
Des implantations diverses
Plus récemment, n’est-ce pas à lui que le gouvernement a permis de reprendre Cameroon Tea Estates et la Ndu Tea Plantation ? Toutes deux faisaient auparavant partie de Cameroon Development Corporation (CDC), entreprise à capitaux publics spécialisée dans la production de thé noir – aujourd’hui le principal métier de Danpullo.
« La consommation de thé connaît une croissance constante et, au regard des vertus de cette boisson sur la santé, cette tendance ne va certainement pas s’inverser de sitôt », explique un cadre du groupe. Le chiffre d’affaires lié au thé devait néanmoins passer de 5 milliards à environ 4,5 milliards de F CFA entre 2015 et 2016 (de 7,6 millions à 6,9 millions d’euros), à cause notamment de l’insécurité à la frontière nigériane, l’une des zones de consommation des productions du groupe.
Avec Jeune Afrique