Alors que les compagnies publiques sud-coréennes tendent à se retirer du continent, les groupes privés mènent l’offensive. Samsung, LG et Hyundai raflent tous les marchés, ou presque.
Les marques sud-coréennes sont en train de se faire un nom en Afrique. « Hyundai pour les voitures, Samsung pour les téléphones portables, LG pour les télévisions et les appareils électroménagers… Ce sont des marques bien connues sur le continent et réputées fiables », explique Mthuli Ncube, professeur de politique publique à la Blavatnik School of Government de l’université d’Oxford (Royaume-Uni).
Samsung Electronics, l’unité la plus importante du chaebol sud-coréen et le plus gros fabricant mondial d’appareils électroniques, s’est ainsi créé une place enviable dans les économies bourgeonnantes d’Afrique, devançant de loin ses concurrents mondiaux comme Apple, Nokia et LG Electronics pour l’électroménager. En 2014, il détenait 35 % du marché africain des smartphones. « Il y a cinq ou six ans, les opérateurs de télécoms ne vendaient pas de téléphones en Afrique », rappelle Thecla Mbongue, analyste chez Ovum, une entreprise sud-africaine de recherche spécialisée dans les télécoms. Le groupe a donc engagé des négociations commerciales avec les opérateurs et a ainsi pu diversifier ses chaînes de distribution.
Depuis 2011 les entreprises sud-coréennes sont présentes, elles ont signé 308 contrats dans 31 pays africains.
Afin de renforcer sa présence sur le continent, le géant électronique a également entamé des discussions pour installer des usines d’assemblage de téléphones, de tablettes et de télévisions en Éthiopie, au Kenya et en Angola. Et désormais, d’autres pays se bousculent pour attirer ces investissements. « Le Ghana et la Côte d’Ivoire constitueront des emplacements idéaux si le groupe profite du marché de libre-échange de la Cedeao pour distribuer ses produits en Afrique de l’Ouest », indique Nour Seklaoui, le directeur général d’Electroland, le distributeur des produits Samsung au Ghana. En juillet 2014, la filiale sud-africaine a annoncé vouloir installer une usine de fabrication de télévisions à Durban pour 20 millions de dollars (environ 18 millions d’euros). Et son premier site de production au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, l’usine égyptienne de Beni Suef, qui a représenté un investissement de 237 millions de dollars, a démarré sa production en juillet 2013. Quant à LG Electronics, il possède déjà une usine d’assemblage de télévisions dans l’East Rand, dans la région de Gauteng, en Afrique du Sud.
Autre domaine dans lequel les entreprises sud-coréennes sont présentes : la construction. Depuis 2011, elles ont signé 308 contrats dans 31 pays africains, pour un montant de près de 20,3 milliards de dollars. Selon l’International Contractors Association of Korea, ce sont l’Algérie, la Tanzanie, la Guinée équatoriale et le Ghana qui ont accueilli l’essentiel de ces projets.
En 2014, Samsung C&T Corporation, la branche construction du groupe, a remporté l’appel d’offres pour la construction de deux centrales électriques sur les cinq commandées par l’Algérie. D’une capacité de 1 450 et 1 163 MW, installées respectivement à Mostaganem et à Naâma, elles nécessiteront un investissement de 1,4 milliard de dollars. Daewoo International a de son côté annoncé en août 2014 avoir signé un contrat de 161 millions de dollars pour construire le pont Kazungula. Traversant le fleuve Zambèze, il reliera la Zambie et le Botswana en 2018.
Quant à Hyundai Engineering & Construction (qui détient par ailleurs 34 % du capital de Kia Motors), il réalise actuellement en Ouganda, en collaboration avec son partenaire japonais Zenitaka, le pont de Jinja, un nouvel ouvrage long de 525 m qui enjambe le Nil. La compagnie sud-coréenne a également été retenue pour augmenter de 139 MW d’ici à fin 2015 la capacité de la centrale électrique d’Azito (288 MW), en Côte d’Ivoire.
La Corée du Sud est le cinquième importateur mondial de pétrole et le deuxième importateur mondial de gaz naturel liquéfié.
Une vague de contrats sur laquelle n’ont en revanche pas pu surfer les compagnies publiques sud-coréennes. Elles sont aujourd’hui criblées de dettes et font face à un avenir incertain en Afrique. En 2013, la dette de celles opérant dans le domaine de l’énergie représentait 50 % de celle du secteur public coréen, qui pèse 990 milliards de dollars. Ces compagnies « ont souvent été évincées du marché par des entreprises plus riches et plus expérimentés comme BP, Chevron et Shell » explique Daragh Neville, assistant de projets pour le programme africain du think tank londonien Chatham House.
Le gouvernement de Séoul a mis une forte pression sur 18 entreprises étatiques pour qu’elles cèdent leurs actifs outre-mer et qu’elles remboursent leurs dettes d’ici à 2017. Parmi elles, Korea Electric Power Corporation (Kepco), Korea Gas Corporation (Kogas) et Korea National Oil Corporation (Knoc) réduisent leurs dépenses dans les projets pétroliers, gaziers et électriques à l’extérieur du pays.
L’année dernière, par exemple, Kepco s’est retiré d’un contrat de 600 millions de dollars signé en mai 2013 avec la Société nationale d’électricité du Sénégal (Senelec) pour la construction d’une centrale à charbon à Sendou, à l’ouest de Dakar. En février 2015, Kogas, le plus gros acheteur de gaz naturel liquéfié au monde, a quant à lui annoncé un plan de réduction de ses effectifs dans son projet d’exploration gazière dans le bassin de Rovuma, dans le nord du Mozambique, rendant tout futur investissement en Afrique très improbable. Un choix surprenant pour ce pays pauvre en ressources et très orienté vers les industries manufacturières. La Corée du Sud est en effet le cinquième importateur mondial de pétrole et le deuxième importateur mondial de gaz naturel liquéfié.
Les diplomates sud-coréens sont aussi plus frileux. En 2014, la conférence ministérielle pour la coopération économique entre la Corée du Sud et l’Afrique, qui devait se tenir à Séoul, et le quatrième Forum Corée-Afrique, à Addis-Abeba, n’ont pas eu lieu. Pour Daragh Neville, du think tank Chatham House, « en reportant de telles conférences, qui constituaient le socle des relations entre l’Afrique et la Corée au milieu des années 2000, le pays n’envoie sans doute pas le meilleur signal au continent africain ».
Le « tigre asiatique » n’a donc plus qu’à compter sur un secteur privé dynamique pour renforcer sa position en Afrique. Et la relation entre le gouvernement et les chaebols, qui a permis d’élever ces entreprises privées au rang de géants mondiaux en à peine quelques décennies, pourrait inspirer les États africains.
Avec Jeune Afrique Business