Le retrait de Martin Schulz de la présidence du Parlement européen laisse un vide dans l’Union européenne. On s’était habitué à ce social-démocrate combattif, parfaitement francophone, qui s’était si bien entendu avec le président de la Commission européenne, le chrétien-démocrate Jean-Claude Junker, pour porter les intérêts communautaires européens face aux chefs d’état et de gouvernement, donner enfin un peu de bravoure à cette institution qui a dû tant d’années lutter pour que l’on s’aperçoive de son existence.
Le parlement lui-même s’est-il laissé prendre de court par un retrait auquel beaucoup d’eurodéputés ne semblaient pas croire eux même ? Après un double mandat de deux ans et demi chacun – selon la tradition du parlement européen qui veut qu’une nouvelle élection ait milieu à la moitié de la législature – le capitaine, qui aurait pu briguer un troisième mandat, a pris fin 2016 la décision de se replier sur son aventin, lorgnant désormais sur un destin national en Allemagne.
La procédure d’élection de son successeur, qui s’ouvrait ce mardi 17 janvier, aurait eu des raisons de mobiliser l’attention en cette période de montée de l’euroscepticisme et de Brexit, alors que l’on s’apprête à célébrer les cinquante ans du Traité de Rome. Avec le dernier traité de Lisbonne, le Parlement européen s’est vu reconnaitre des prérogatives fortes en matière de co-législation, qui en font désormais un interlocuteur incontournable pour le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement et à bien des égards le véritable représentant de l’intérêt collectif européen – la Commission européenne ayant davantage un rôle de gestionnaire. A tort les médias négligent le suivi des débats et du travail législatif du Parlement européen, dont la qualité n’a rien à envier à ceux des Parlements nationaux et qui est bien souvent un bon thermomètre de la capacité de l’Union européenne à faire progresser les grandes politiques européennes, qu’il s’agisse de l’agriculture, de la libre circulation, de questions épineuses comme le détachement des travailleurs ou la gestion de l’immigration.
Le scrutin, qui prévoit plusieurs tours de vote si aucun candidat ne réunit tout de suite une majorité sur son nom, a surtout souffert d’un manque de lisibilité. Les grands groupes parlementaires, ceux des chrétiens démocrates (PPE/Parti Populaire européen) et des sociaux démocrates (PSE/Parti des socialistes Européens), avaient renoncé à la tradition de s’arranger entre eux pour assumer à tour de rôle la présidence. Cette procédure a longtemps permis à un Parlement relativement faible de faire front avec des majorités fortes ; mais au détriment du débat politique. Cette fois ci les deux grands groupes n’ont pu ou pas voulu s’entendre, s’en renvoyant mutuellement la responsabilité. Chacun est donc parti à la bataille derrière son candidat. Cela aurait pu donner du tonus à l‘élection, malgré le risque pour triompher de devoir faire des alliances indésirables avec les groupes les plus radicaux, extrême droite et populistes à droite, radicaux anti-européens à gauche. Mais il aurait fallu des candidats plus convaincants. Sept au total se soumettaient au vote, la plupart peu connus, à l’exception du fédéraliste Guy Verhofstadt, un ancien premier ministre belge, qui préside le groupe des libéraux. Les couleurs du PPE et du PSE étaient défendues par deux Italiens, l’ancien commissaire Antonio Tajani, un proche de l’ancien premier ministre Silvio Berlusconi, inacceptable donc pour la gauche, et le socialiste italien Gianni Pitella, président du groupe PSE au Parlement, sous la bannière de la lutte contre « l’austérité aveugle ». Deux personnalités dont il est difficile de juger ce qu’elles feraient une fois élues.