En rachetant la filiale locale de Barclays Bank, qu’il veut transformer en banque universelle, le groupe marocain réalise la plus grande acquisition de son histoire. Et pose la première brique de son programme Énergies 2020.
«L’Égypte a toujours été prioritaire. » Assis dans le hall d’un grand hôtel de Tunis, à la veille de la conférence Tunisia 2020 (les 29 et 30 novembre), Mohamed El Kettani savoure ce qui est la plus importante acquisition d’Attijariwafa Bank : la reprise de 100 % du capital de Barclays Bank Egypt (BBE). Réglementation britannique oblige (la maison mère de BBE est située à Londres), le PDG du groupe bancaire marocain refuse de s’attarder sur le prix payé ; celui-ci est estimé par les analystes entre 400 millions et 500 millions de dollars (entre 375 millions et 470 millions d’euros). Mais il ne tarit pas d’éloges sur ce qui sera dans quelques semaines la nouvelle filiale du groupe. « C’est une excellente affaire, avec un niveau de risque très limité, une solide capitalisation et une bonne rentabilité. La qualité des ressources humaines nous a impressionnés, et la gouvernance est aux normes internationales. »
Cinq dossiers égyptiens passés au crible
En Égypte, Attijariwafa Bank admet avoir étudié au cours des dernières années pas moins de cinq dossiers, dont les rachats de l’ex-filiale du français BNP Paribas et de celle du grec Piraeus Bank. La reprise de BBE, avec son produit net bancaire de 1 517 millions de livres égyptiennes en 2015 (environ 177 millions d’euros), son total de bilan de 20,2 milliards de livres et ses 1 500 employés, est donc le couronnement d’un long travail. C’est aussi un vrai marqueur dans l’histoire internationale du groupe, moins d’une décennie après le rachat des filiales subsahariennes du français Crédit agricole : une fois les autorisations des banques centrales obtenues, BBE sera en effet la plus grosse filiale du groupe hors Maroc, représentant 7,5 % des actifs d’Attijariwafa Bank, 8,7 % de ses revenus et 14,5 % de ses profits, selon le cabinet de recherche AlphaMena. « L’Égypte déclasse notre filiale tunisienne », semble s’amuser Mohamed El Kettani, qui ajoute aussitôt : « Mais les équipes à Tunis se battent déjà pour reprendre leur place. »
Au Caire, le potentiel est grand : l’économie égyptienne se redresse, et, malgré les difficultés passées, le secteur bancaire est toujours resté solide, s’affichant à la fois comme extrêmement liquide (les crédits ne représentent que 40 % des dépôts en moyenne) et rentable. « Le taux de bancarisation est très bas », précise Mohamed El Kettani, pour qui l’estimation de 30 % est nettement au-dessus de la réalité. « Les PME et la classe moyenne n’ont pas de comptes, poursuit-il. Nous voulons développer notre modèle de banque universelle, en capitalisant bien entendu sur les activités historiques de banque des grandes entreprises et de banque privée, et en nous déployant dans la banque de détail, les services financiers spécialisés et la bancassurance. » Avec ses 56 agences, BBE se situe dans la moyenne des banques égyptiennes, mais loin derrière les quatre grands leaders du secteur, notamment la National Bank of Egypt (entre 400 et 500 agences). Attijariwafa Bank, qui compte 2 550 agences au Maroc et plus de 1 000 dans le reste de l’Afrique, sait comment multiplier les points de vente tout en maîtrisant les coûts.
Un délai d’au moins un an pour digérer l’opération
Le plus grand groupe bancaire marocain veut se donner du temps en Égypte, évoquant un délai d’au moins un an pour digérer l’opération, et une phase de dix ans pour transformer en profondeur la banque. Le management du groupe rêve toutefois déjà de faire de l’Égypte un trait d’union entre les pays du Golfe et ses implantations africaines, ainsi qu’une plateforme de développement vers l’Afrique de l’Est, où il travaille à l’acquisition de la Compagnie générale de banque (Cogebanque), au Rwanda. « La future Attijariwafa Egypt pourrait mener le développement dans cette zone », imagine Mohamed El Kettani.
Le PDG, qui, avec ses équipes, a transformé le groupe en moins d’une décennie, n’a guère à craindre financièrement : la cession, pour environ 430 millions d’euros, de la moitié de ses parts dans l’assureur Wafa à la Société nationale d’investissement (SNI, holding royal), par ailleurs son actionnaire de référence, lui permet de financer en grande partie la reprise de BBE et donc de réduire le risque. Sur place, le maintien du management simplifiera également la donne.
Aux aguets sur les questions numériques
Symboliquement, l’aventure égyptienne marque le premier temps fort d’Énergies 2020, la deuxième phase du programme d’expansion du groupe. Un programme qui, en dehors des développements en zone anglophone (dont le Nigeria), cache beaucoup d’autres ambitions. Au Maroc, la création d’une banque dans la finance islamique est en attente d’agrément, mais L’Banka Lik, une offre complète de banque en ligne, est déjà sur les rails. Consciente des ambitions financières des opérateurs de télécoms, la direction du groupe marocain est aux aguets sur les questions numériques, surtout dans les pays subsahariens où le taux de bancarisation reste très bas.
Mais elle table aussi sur des solutions physiques qui ont fait leurs preuves, comme Wafacash. La version africaine de cette filiale dévolue initialement au transfert d’argent grandit très vite. Depuis février 2016, 100 agences Wafacash ont été ouvertes au Sénégal, explique Boubker Jai, directeur général d’Attijariwafa Bank. Prochaines étapes : le Cameroun, puis la Côte d’Ivoire. « Au départ, Wafacash était un réseau pour les transferts de la diaspora, avant qu’on s’aperçoive que cela attirait des clients qui n’osaient pas entrer dans des agences traditionnelles. Nous avons alors demandé l’autorisation de la Banque centrale pour que Wafacash puisse ouvrir des comptes, et le succès ne s’est pas démenti », affirme Mohamed El Kettani, qui rappelle que le Maroc compte 1 530 agences Wafacash, avec 120 ouvertures par an. Un modèle de déploiement industriel et à bas coût qui pourrait fort bien convenir au sud du Sahara, mais aussi en Tunisie et en Égypte en dehors des grandes zones urbaines. Frédéric Maury