La décision d’associer les comptes utilisateurs de Facebook avec ceux de Whatsapp représente une grosse entorse aux valeurs de cette dernière, qui a attiré de nombreuses personnes avec la promesse de ne pas utiliser leurs données personnelles. Si la Commission ne se satisfait pas de la réponse de Facebook, l’entreprise s’expose à une amende correspondant à 1% de son chiffre d’affaires annuel.(Crédits : DR)
La Commission européenne affirme que Facebook lui a fourni “des informations trompeuses” au moment du rachat de la messagerie WhatsApp, en 2014, dans le but d’obtenir son feu vert. Le réseau social créé par Mark Zuckerberg risque une amende jusqu’à 1% de son chiffre d’affaires annuel, qui s’élevait 17,2 milliards d’euros en 2015.
Nouvel épisode de haute tension entre la Commission européenne et un géant du net américain. Au lendemain des règlements de comptes par communiqués de presse interposés entre Apple, le gouvernement irlandais et Bruxelles sur les avantages fiscaux accordé à Apple par l’Irlande, c’est cette fois Facebook qui est dans le viseur de la Commission européenne.
Facebook a-t-il délibérément menti à la Commission ?
En cause : le rachat de la messagerie instantanée WhatsApp par Facebook, en 2014, pour 22 milliards de dollars. Bruxelles estime que l’entreprise de Mark Zuckerberg lui a fourni “des informations inexactes ou trompeuses” lors de son enquête. A l’époque, le réseau social avait ainsi assuré qu’il “ne serait pas techniquement en mesure d’associer automatiquement les comptes utilisateurs des deux sociétés“.
Or, en août 2016, WhatsApp a annoncé, parmi d’autres mises à jour de ses conditions générales d’utilisation et de sa politique de confidentialité, la possibilité d’associer les numéros de téléphone des utilisateurs de WhatsApp aux profils d’utilisateurs de Facebook. Autrement dit, ce qui avait été annoncé comme impossible en 2014 a été fait deux ans plus tard. WhatsApp a expliqué que l’objectif était d’améliorer le service fourni, en permettant, par exemple, à Facebook de faire de meilleures propositions d’amis ou d’afficher des publicités plus pertinentes sur les comptes Facebook des utilisateurs de WhatsApp.
La Commission estime donc que Facebook lui a menti, “délibérément ou par négligence“. Ce qui constituerait une violation de ses obligations en vertu du règlement de l’UE sur les concentrations. Contrairement aux affirmations de Facebook, la Commission pense, “à titre préliminaire” que la possibilité technique d’associer automatiquement les identifiants d’utilisateur de Facebook aux identifiants d’utilisateurs de WhatsApp existait déjà en 2014.
Une amende de 1% du chiffre d’affaires annuel de Facebook ?
Comme le veut la procédure, Facebook dispose jusqu’au 31 janvier pour répondre à ces “craintes”. Dans tous les cas, Mark Zuckerberg peut se rassurer : cette action n’aura “pas d’incidence” sur le feu vert accordé à l’opération, précise la Commission. Selon la commissaire européenne en charge des questions de concurrence, Margrethe Vestager, l’information erronée de Facebook a bel et bien contribué à l’approbation de l’opération. Mais la décision “ne s’est pas exclusivement fondée dessus“.
En revanche, si la Commission ne se satisfait pas de la réponse de Facebook, l’entreprise s’expose à une amende correspondant à 1% de son chiffre d’affaires annuel. En sachant que celui-ci s’élevait à 17,2 milliards d’euros en 2015, Facebook pourrait donc devoir payer 172 millions d’euros. Une goutte d’eau pour l’entreprise, mais une somme coquette tout de même.
Facebook va plaider la bonne foi
Contacté par La Tribune, Facebook a d’ores et déjà donné des éléments de réponse. L’entreprise va plaider la bonne foi. “Nous avons toujours donné des informations exactes à propos de nos capacités techniques et plans“, se défend un porte-parole.
Selon le réseau social, la Commission européenne craignait surtout une fusion entre WhatsApp et Facebook, qui permettrait par exemple à un utilisateur de Messenger d’envoyer un message à un contact sur WhatsApp. Et ce serait sur ce point, et non sur un échange de données, que Facebook aurait affirmé l’impossibilité technique d’une telle opération. La Commission aurait donc mal compris… “Nous n’avions pas de telles intentions en 2014, ni aujourd’hui“, clarifie le réseau social. D’ailleurs, le chiffrement de bout en bout pratiqué par WhatsApp depuis le début de l’année empêcherait une telle fusion des services.
Quant à l’échange de données entre WhatsApp et Facebook, appliqué depuis août 2016, le réseau social rappelle en avoir informé la commission dès le mois de janvier. “Nous n’avons rien à cacher“, conclue le porte-parole. Ces explications seront-elles suffisantes pour éviter l’amende ?
Facebook tente de monétiser WhatsApp, mais se lance dans un bras de fer avec l’Europe
Facebook devait s’attendre à une telle réaction de la Commission européenne. Le 28 octobre dernier, le groupe de l’article 29 -dit G29-, qui réunit toutes les Cnil européennes, a demandé à Whatsapp de ne plus partager ses données personnelles avec Facebook, au motif que les utilisateurs n’avaient pas consenti à cette finalité au moment de leur inscription sur la messagerie. Sans succès…
Pour les Cnil européennes comme pour certains utilisateurs, cette décision représente une grosse entorse aux valeurs de WhatsApp, qui a attiré de nombreuses personnes avec la promesse de ne pas utiliser leurs données personnelles.
Mais Facebook raisonne autrement. Depuis son acquisition, WhatsApp a vu son nombre d’utilisateurs doubler : de 500 millions en avril 2014 à 1 milliard en février 2016. Or, malgré cet énorme succès, la messagerie n’est toujours pas rentable ! Et pour cause, WhatsApp est gratuite et ne propose ni publicités ni bots conversationnels pour discuter avec les marques. Autrement dit, WhatsApp ne monétise pas son trésor de guerre, c’est-à-dire les données personnelles de ses membres.
Les fusionner avec celles de Facebook, comme c’est le cas depuis août 2016, est donc une décision logique sur le plan financier. Il s’agit de fournir aux annonceurs de Facebook toujours plus de données afin qu’ils puissent mieux personnaliser leurs publicités. Mais s’engager sur cette voie soulève des questionnements légitimes que Facebook ne peut pas ignorer sous prétexte de monétiser son application achetée à prix d’or.