Pour Fabienne Ruaux-Bobet, assistante export spécialisée sur l’Afrique de l’Ouest chez Evolution International, les priorités dans le secteur de l’élevage en Afrique de l’Ouest consistent à raisonner en terme de filières, associant des acteurs privés et publics pour assurer la longévité d’un projet, et en travaillant à partir des races locales pour les améliorer grâce à une génétique ciblée selon les besoins. Des filières, par ailleurs, en pleine mutation avec le développement d’élevage périurbain performant. Mais elles pourraient être mises à mal par l’Accord de partenariat économique (APE) signé entre l’Union européenne (UE) et l’Afrique de l’Ouest et qui réduira de 75% les droits à l’importation, notamment sur les produits laitiers.
Evolution, première coopérative française (31 882 éleveurs adhérents) sur le marché de la génétique et des biotechnologies d’élevage multi-espèces, s’intéresse de longue date à l’Afrique via sa filiale Evolution International. Celle-ci travaille dans 73 pays, générant un chiffre d’affaires de € 6 millions sur un total groupe de € 150 millions, avec pour préoccupation première de rechercher les solutions locales dans les segments bovins, caprins, porcins, lapin et équins.
Entretien de CommodAfrica avec Fabienne Ruaux-Bobet lors du Salon de l’élevage (SPACE) à Rennes, du 13 au 16 septembre 2016.
Pouvez-vous nous dire un mot sur Evolution International ?
Evolution International est la structure internationale des coopératives Evolution et Auriva principalement qui sont, elles-mêmes, dédiées à la génétique bovine et caprine. C’est une structure française, détenue par les éleveurs qui ont cherché des marchés à l’étranger par l’intermédiaire d’une filiale qu’ils ont créé.
Que représente l’international dans l’activité globale du groupe?
Je ne connais pas les chiffres car l’international est aussi pratiqué au sein du groupe par d’autres structures dédiées aux animaux vivants (bovins, lapins). Mais Evolution International est 100% dédié à l’international. Ensuite, 60 à 70% de notre activité porte sur le lait, avec un certain nombre de races laitières françaises qui sont promues : la Holstein, la Normande, la Pie Rouge, la Brune des Alpes, la tarentaise etc. Il existe une gamme assez importante en races laitières.
Nous sommes exclusivement sur la génétique, par la semence animale et les embryons. Sur l’Afrique de l’Ouest, nous travaillons avec un distributeur sur le Sénégal depuis 2005, des clients directs sur le Mali, le Tchad, le Niger, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Congo, le Cameroun.
La Guinée ?
Non, pas encore mais notre partenaire au Sénégal travaille sur les pays voisins comme la Mauritanie ou encore la Guinée.
Votre activité en Afrique est-elle en croissance régulière ?
Non, c’est assez irrégulier. Dans certains pays, pour l’insémination, les éleveurs sont dépendants d’appels d’offres qui sont lancés par les ministères. En fonction des années, il y a plus ou moins d’achats subventionnés de semences.
“On constate une restructuration des élevage locaux périurbains”
Tout dépend donc des budgets?
Oui, cela dépend souvent des budgets mais nous essayons de développer avec nos partenaires non seulement les marchés publics mais également des marchés privés. Car on constate une restructuration des élevages locaux, périurbains, autour de Dakar, de Bamako et d’autres grandes villes, avec des industriels privés. Il s’agit d’élevages plus grands, mieux organisés, moins pastoraux. Quelques marchés privés se développent donc. Mais cela reste encore marginal.
A quand remonte cette émergence du privé ?
Une quinzaine d’années environ, suite à la désaffection temporaire ou intermittente du secteur public. Des éleveurs avaient besoin de génétique, avaient besoin de produire du lait, avaient les moyens aussi par d’autres activités d’investir dans la génétique sur place et ont, donc, développé leur propre structure.
Quels sont vos partenaires?
Ce sont souvent des partenaires privés qui ont des sociétés vétérinaires. Ils côtoient ainsi les éleveurs et développent la génétique en parallèle, avec de petites antennes dans les villes moyennes où ils envoient des médicaments et du petit matériel. Ils sont en contact avec les éleveurs par l’intermédiaire de ces antennes. Donc, nous faisons un maillage sur ces pays par ces intermédiaires.
Ces vétérinaires locaux sont des nationaux ?
C’est à 90% des nationaux. Ils ont la reconnaissance des éleveurs locaux. Au Sénégal, les vétérinaires sont souvent formés en France; au Mali, ils vont au Sénégal, notamment, pour leur formation.
Il faut respecter les races locales, plus résistantes
Quelles sont les spécificités de ce marché ouest-africain pour un groupe comme le vôtre ?
La spécificité est de ne pas vouloir, nous, pays européens, arriver avec nos races en disant : “ce sont les meilleures”. Nos races sont bien développées bien adaptées à notre climat et à notre type d’élevage. Mais, en Afrique, il faut respecter les races locales qui ont une résistance aux maladies locales, aux tiques, qui sont très adaptées au climat local, aux fourrages et mode d’élevage. Il s’agit d’utiliser et d’améliorer les races locales, avec nos races européennes mais pas forcément, la “Ferrari” de chez nous qui va être la Holstein mais aussi avec des races plus rustiques, plus adaptées pour augmenter leur génétique, augmenter le lait, la vitesse de traite, la longévité. Il faut respecter leurs races, les améliorer.
Concrètement, comment opérerez-vous ?
On part de leurs races et on propose des croisements génétiques ; on donne du conseil à l’accouplement. Préalablement à tout envoi de semences, on essaie d’abord de déterminer l’objectif de l’élevage et à qui on va livrer des doses. Est-ce un objectif de lait, de transformation, de viande ? Puis, dans le cadre de ces objectifs, quel est son environnement de travail: fait-il du pastoral, de l’intensif, à quel degré fait-il de l’intensif? Ce sont des questions d’élevage qu’il faut d’abord poser avant de proposer nos produits.
Le lait, toujours prédominant
Avez-vous constaté, ces dernières années, des évolutions vers plus de lait ou plus de viande ?
Le lait est toujours prédominant en Afrique de l’ouest mais les races locales en produisent peu : on est entre 3 et 5 litres (l) par jour contre 30 ou 40 l ici en France. La différence est très importante. La volonté de l’éleveur et du pays est toujours de produire plus pour avoir une autonomie et réduire la dépendance à l’égard de l’importation de lait en poudre et produits laitiers.
Trois à 5 litres par jour, c’est la production des races locales, sur des élevages en transhumance, avec des moyens alimentaires et en eau restreints. Mais, dans les zones périurbaines, les sociétés d’élevage ont développé des élevages intensifs, semi-intensifs, avec un apport alimentaire en complément -qui, malheureusement, est souvent d’importation- et de bonnes disponibilités en eau. Ils ont des productions laitières qui sont plus élevées, de l’ordre de 15 à 20 l par jour, et parfois assez proches des pays d’Europe.
Ainsi, en Afrique de l’Ouest, on est de plus en plus sur deux systèmes d’élevage qui n’ont rien à voir mais qui se côtoient. Et au niveau national, on constate une augmentation des rendements suite au développement de ces élevages intensifs.
Au Mali, par exemple 88 % du cheptel laitier appartient au système pastoral et agropastoral alors que 12% du cheptel est concentré en zone péri-urbaine.
Avez-vous des chiffres d’importation de lait, au Mali par exemple, ou sur l’Afrique de l’Ouest?
Au Mali, les importations sont de l’ordre de 8 000 tonnes (t) de lait en poudre pour une production de lait local de 600 000 t. Le Mali produit l’essentiel de ce qu’il consomme comme au Niger ou au Burkina Faso où les importations atteignent 3 500 t. En revanche, au Sénégal, les besoins sont essentiellement couverts par les importations malgré une production laitière de 320 millions de litres qui ne représentent que 20% des besoins.
L’achat de bovins vivants face à la génétique
Avec la croissance démographique et urbaine, on constate souvent une augmentation de la consommation de viande. Quel impact cela a-t-il sur vos activités?
Oui, on constate une augmentation de la consommation de viande et souvent cela se traduit dans les pays par une augmentation des achats de bovins vivants. Car la génétique -semences ou embryions- prend du temps alors qu’il n’y a que quelques mois entre le moment où vous achetez un animal pour l’élever et son abattage ; c’est plus court pour la filière. Par l’intermédiaire de la génétique, il faut élever et cela prend plus de temps mais le progrès est à terme un atout pour l’éleveur.
Quels sont vos principaux concurrents en Afrique de l’ouest ?
La concurrence émane, tout d’abord de la France, par d’autres groupements d’éleveurs, ce sont des sociétés de génétique comme Coopex, Gene Diffusion, Jura Bétail, etc. Ils font le même métier que nous et sont sur les mêmes marchés.
Sinon, notamment dans le cadre des appels d’offres puisqu’ils sont ouverts, on rencontre les Américains, les Hollandais, les Allemands.
Et d’Europe de l’Est ?
La concurrence des pays d’Europe de l’Est se ressent davantage par l’intermédiaire des distributeurs : un distributeur local va utiliser plusieurs de ses cartes pour répondre à un appel d’offres. Donc, il peut nous utiliser. Mais pour une autre race que nous ne faisons pas, il utilisera d’autres opérateurs. Je pense, par exemple, à la Simmentale qui va utiliser sur sa carte de distribution d’autres producteurs étrangers comme l’Allemagne, la République tchèque, la Pologne. La Pologne produit aussi de la génétique et l’exporte au-delà de ses frontières périphériques.
Sentez-vous de la concurrence africaine, de l’Afrique du Sud, de Namibie?
Sur l’Afrique de l’ouest, pas vraiment.
Il faut associer les privés et le public pour assurer le relais
Pouvez-vous nous citer un cas de projet?
Un cas au Sénégal a bien fonctionné mais s’est étiolé. Nous avons collaboré avec le ministère pendant plusieurs années dans le cadre de projets laitiers dans différentes régions dont la Casamance. Ces projets allaient au-delà de la génétique et s’intéressaient à l’amont, avec l’identification des animaux, des programmes d’accouplement, l’envoi de la semence, l’analyse des naissances, des résultats. L’objectif du ministère était de faire croître l’élevage et améliorer la production de lait, la qualité du lait pour alimenter les populations en lait local et les industries de transformation de Dakar. On collaborait avec d’autres sociétés qui, elles, développaient les opérations de collecte et de distribution du lait.
A mon sens, c’est dans cet esprit qu’il faut travailler : pas seulement en génétique, dans notre coin, mais main dans la main avec les locaux, dans le cadre de la construction de la filière. Mais c’est quelque chose qui n’est pas nécessairement suivi, après, aussi bien par les institutions locales que par nous. Nous devons améliorer cette notion de filière au niveau du conseil, de la façon de travailler, comme le font beaucoup les Allemands : on arrive avec un conseil en bâtiment, en alimentation, en distribution, en collecte, avec des gens qui fabriquent du matériel, etc. A mon sens, nous devons arriver plus groupés, pour apporter une construction cohérente sur place.
Donc ce programme s’est étiolé, pour des raisons financières, de budget, pour des raisons de personne qui successivement croit ou non à ce type de politique ou de programme. Soit c’est repris par d’autres : par exemple, on arrête un projet pour en construire un autre au lieu de continuer le précédent. Donc, aujourd’hui, les projets ne sont pas à l’arrêt mais on sent qu’ils s’essoufflent. On aurait besoin d’être plus construit pour maintenir ces projets et démontrer leur intérêt.
Quand a démarré ce projet ?
En 2008. Ce sont bien souvent des projets qui sont sur des programmes nationaux de 3 à 4 ans et qui sont soit renouvelés sur 3 ans, soit arrêtés. C’est là la difficulté car les éleveurs, eux, n’arrêtent pas leur élevage.
C’est aussi pour ça que, à mon sens, sur ce type de projets, il faut aussi développer un axe avec des sociétés privées. Il faut faire les deux, parce qu’un projet public est valable sur un lapse de temps, sans visibilité au-delà de ce temps. Il faut que des entreprises privées puissent ensuite prendre le relais ; des distributeurs privés mais qu’on a associé dès le départ au projet, en travaillant avec eux.
Les développements des productions locales face à l’APE
Pour terminer, quelle sera, selon vous, l’impact de l’Accord de partenariat économique (APE) signé entre l’UE et l’Afrique de l’Ouest sur ces filières?
L’ Accord de partenariat économique prévoit la suppression des droits de douane sur au moins 75% des exportations vers cette région de l’Afrique, dont le lait en poudre. Cela permet aux pays d’Afrique de l’Ouest de répondre à la demande croissante en produits laitiers de leur population avec l’urbanisation et les modifications de consommation alimentaire. Mais les développements des productions locales sont d’autant plus difficiles que le coût du lait est bas à l’importation. L’impact est aussi réel sur les politiques locales de soutien au développement de l’élevage et à l’amélioration génétique.
Avec commodafrica