Le géant indien des télécoms est bien installé dans la capitale kényane, où il a son siège régional. © Tony Karumba/AFP
Confronté aux limites d’une stratégie à bas coût sur le marché africain, l’opérateur indien a changé de cap. Il mise désormais, avec succès, sur le développement d’internet et des services financiers.
Christian de Faria, président exécutif d’Airtel, est plutôt du genre stoïque. « Nous faisons des profits », lâche-t-il sobrement à Jeune Afrique. À regarder de près les résultats trimestriels publiés fin septembre, ce n’est pas tout à fait exact. Si les pertes financières des quinze filiales de la branche africaine du groupe de Sunil Mittal ont été contenues, elles s’élèvent encore à 91 millions de dollars (81 millions d’euros), contre 170 millions pour la même période en 2015.
Le chiffre d’affaires consolidé était lui en augmentation, de 3,7 %, pour s’établir à 898 millions de dollars. Toutefois, les analystes indiens entrevoient désormais la possibilité pour Airtel de faire des bénéfices sur le continent, peut-être en 2018.
« Nous en ferions déjà si les cours des devises africaines n’étaient pas aussi bas », estime Christian de Faria, avant de préciser que depuis plus d’un an le flux de trésorerie lui permet d’être financièrement indépendant de ses actionnaires indiens. Et s’il reconnaît que le « règlement [des] problèmes a pris plus de temps que prévu », c’est pour faire comprendre que cette période est désormais révolue.
Ventes de filiales
Arrivé en Afrique en 2010 en achetant les actifs du koweïtien Zain pour plus de 10 milliards de dollars, l’opérateur Bharti Airtel n’a pas réussi à reproduire au sud du Sahara son modèle à bas coût, du fait de la diversité des environnements réglementaires, qui rendent impossibles les économies d’échelle. Beaucoup ont pensé l’opérateur sur le départ lorsqu’il est entré en négociation avec Orange pour la vente de quatre filiales, en juillet 2015. Finalement, seules les opérations du Burkina Faso et de la Sierra Leone ont changé de mains.
Le montant des ventes, qui serait compris entre 600 et 800 millions d’euros, a permis de faire baisser l’endettement d’Airtel. L’opérateur français a en revanche renoncé à acquérir les filiales du Congo et du Tchad – avant tout pour des questions sécuritaires dans ce dernier cas. « Nous avons cherché à rééquilibrer notre portefeuille et à réaliser une bonne vente pour nos actionnaires. Nous n’envisagions absolument pas de quitter l’Afrique », réaffirme aujourd’hui Christian de Faria.
La vente des deux filiales a été suivie d’une vaste réorganisation. Les blocs qui réunissaient les opérations francophones et anglophones ont été éclatés pour favoriser de plus petits ensembles de deux ou trois pays, pilotés localement. Dans le même temps, l’entreprise a adopté le principe d’un management partagé pour accélérer les prises de décision.
Raghunath Mandava, jusque-là directeur chargé de l’ »expérience client » pour l’Inde et l’Asie du Sud au sein de la maison mère, s’est vu confier, au quotidien, la conduite des opérations dans les quinze filiales africaines, tandis que Christian de Faria se concentre sur la gestion des relations avec les gouvernements, les régulateurs et les actionnaires, ainsi que les éventuelles fusions et acquisitions. Des efforts payants, notamment en Afrique de l’Est.
L’utilisation de données comme axe de croissance
Le président n’exclut pas un renforcement d’Airtel sur le continent, mais sur « des marchés où nous sommes déjà présents, comme nous l’avons fait en achetant Warid en Ouganda (en 2013) et au Congo-Brazzaville (en 2014) ou en absorbant Yu au Kenya (en 2015). Nous sommes redevenus numéro un en Ouganda : cette progression valide notre stratégie’. Rien ne permet cependant d’exclure la vente d’autres filiales pour accélérer le retour à l’équilibre.
Pour réduire sa dette, Airtel a également vendu plusieurs milliers de tours de télécommunications (en conservant le contrôle des équipements actifs qui y sont accrochés) au Congo-Brazzaville, en RD Congo, en Tanzanie, au Ghana, en Ouganda, au Rwanda, en Zambie, au Nigeria et au Burkina Faso. En mai, la presse indienne estimait que, sur les dernières années, ces cessions lui avaient rapporté environ 2,5 milliards de dollars.
Le groupe de Sunil Mittal a aussi abandonné le recours à l’externalisation de certaines fonctions, comme la gestion des équipements actifs de son réseau. « Cela fonctionne quand on peut faire des économies d’échelle, comme en Inde. Mais, en Afrique, on ne gagne pas forcément d’argent », commente Christian de Faria.
En matière de services, le groupe indien ne se distingue pas des autres opérateurs. Même si le trafic de la voix continue d’augmenter (+ 9 % au cours du dernier trimestre par rapport à la même période en 2015), c’est de la consommation de données (+ 117 %) qu’il va tirer sa croissance dans les années à venir. Près du quart de ses 80 millions de clients recourent désormais à leur smartphone pour ces nouveaux usages, avec une utilisation moyenne en hausse de 66 % sur douze mois.
Si l’opérateur subit la concurrence des applications comme WhatsApp ou Viber, Christian de Faria estime qu’il faut apprendre à travailler avec ces acteurs. Depuis 2014, Airtel est partenaire de Facebook pour développer l’accès à internet.
Au Kenya, au Ghana, au Rwanda et depuis mai au Nigeria, les abonnés peuvent bénéficier gratuitement de nombreux services dévolus à la santé, à l’éducation ou encore à la finance. « Ils deviennent ensuite, en grande majorité, des clients payants », soutient le président. Les échanges de données représentent actuellement plus de 16 % des revenus d’Airtel.
Développer les services financiers
L’autre axe de développement mis en avant par l’opérateur concerne les services financiers. Au cours du dernier trimestre, le montant des transactions réalisées via Airtel Money a atteint plus de 3,8 milliards de dollars. En septembre, l’opérateur a lancé au Kenya, un marché ultradominé par Safaricom, une nouvelle version de son application, permettant notamment d’effectuer des paiements en temps réel.
Dans toutes ses filiales, il a en outre baissé sensiblement le niveau des commissions, quand il ne permet pas de transférer gratuitement des fonds. « Airtel a un vrai savoir-faire en matière de services financiers. Au Burkina Faso, cela représentait 20 % de son chiffre d’affaires », révèle une source au sein d’Orange.
Christian de Faria compte aller plus loin et reproduire sur le continent la stratégie de la maison mère. « En Inde, Bharti Airtel possède sa propre banque. Partout où ce sera possible, nous allons demander des licences bancaires », a-t-il annoncé mi-novembre. Sans tambour, ni trompette, l’opérateur indien serait-il en train de gagner son pari africain ?