Votre entreprise a besoin d’un peu d’air frais ? Vos collaborateurs ne demandent qu’à être sollicités. Voici comment les aider à faire émerger les idées au quotidien.
Avez-vous déjà testé le concassage, les grappes, la purge ? Ces noms barbares désignent des techniques de créativité collective. «Solliciter un groupe, plutôt que des individus, permet de générer de meilleures idées, plus rapidement et en plus grande quantité», assure Thibault de Maillard, ingénieur produit chez Kalenji (Decathlon) et coauteur du livre Animer une séance de créativité (Dunod). Encore faut-il savoir mobiliser son équipe ! Voici nos conseils pour exploiter au mieux l’intelligence globale.
TRAVAILLEZ AVEC UN GROUPE HÉTÉROGÈNE
«La réussite d’une séance de créativité tient à sa préparation, rappelle l’ingénieur. L’objectif doit être clair : créer un produit ou un service, imaginer les usages dans cinq ans… Il faut ensuite rassembler des éléments (études, prototypes, produits concurrents…) qui serviront de source d’inspiration.»
Le casting a aussi son importance. Assurez-vous que l’alchimie fonctionne au sein de votre escouade et que celle-ci a la taille idéale (de 8 à 10 membres). «Le mieux, poursuit Thibault de Maillard, est de rassembler des imaginatifs (designer, graphiste…), des pragmatiques (ingénieur d’études, acheteur… ) et des polyvalents (chef de produit, secrétaire…).»
La durée de l’expérience, d’une demi-journée à trois jours, dépendra de l’objectif. Concrètement, une session créative se déroule en deux étapes. La phase dite divergente revient à libérer les énergies et les idées, en utilisant diverses méthodes. Le brainstorming, qui consiste à formuler un maximum d’idées en un minimum de temps, est certainement une des plus connues.
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Mais vous pouvez aussi proposer à vos collaborateurs de se projeter dans le futur, de déformer la réalité, d’imaginer des analogies avec votre produit ou… de faire appel au hasard (lire la “stratégie oblique” ci-dessous) afin de multiplier les approches. «L’animateur dispose d’outils qu’il utilise et adapte en fonction du groupe et de l’objectif de la séance», précise le cadre de Decathlon.
Dans une seconde phase, dite de convergence, vous allez évaluer, critiquer et sélectionner les concepts émis, y compris les plus farfelus. «Sur une centaine d’idées exprimées en une demi-journée, on en retient en général une dizaine, dont deux ou trois seront finalement concrétisées au bout de quelques mois», commente Thibault de Maillard.
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¤ Stratégie oblique : le chaos organisé d’Eno et Bowie
En 1975, le producteur Brian Eno et l’artiste Peter Schmidt inventent le jeu de cartes Stratégies obliques. Chacun des 113 arcanes, qu’on tire au hasard, porte un aphorisme destiné à résoudre un dilemme créatif, comme «Répète ta dernière erreur» ou «Insiste sur les différences». David Bowie se prêta au jeu lors de l’enregistrement de sa trilogie berlinoise avec Eno. Le résultat fut… brillant !
«On ne peut pas attendre l’inspiration. On doit la poursuivre avec une massue.» Jack London
POUR CHANGER DE VISION, CHANGEZ DE DÉCOR
En matière de créativité, le choix du lieu n’est pas anodin. Qui veut penser out of the box commencera par quitter sa salle de réunion habituelle ! «Avant de lancer la gamme Kalenji By Night de Decathlon, j’ai emmené mon équipe deux jours dans un chalet, en pleine forêt, raconte Thibault de Maillard. On allait courir la nuit, dans un milieu inconnu et peu rassurant. Cela nous aidait à imaginer des produits pour les joggeurs.»
Certaines entreprises vont encore plus loin. Ainsi, tous les sept ans, le studio de design Sagmeister & Walsh, à New York, ferme ses portes pour une année sabbatique, le temps pour ses salariés de rafraîchir leur vision créative. ThinkParallax, une jeune agence créative californienne, offre, elle, 1.500 dollars à chacun de ses onze employés pour qu’ils partent en voyage.
Mais le véritable défi est de doper au quotidien la créativité des collaborateurs. Aménager un cadre stimulant, avec des couleurs variées et du mobilier modulable suffit parfois à faire la différence. Vif, un éditeur de logiciels pour l’agroalimentaire, procède tous les six mois au réaménagement de ses locaux. Les services sont déplacés, les bureaux échangés… «Cela bouscule le cadre de travail habituel, entretient la transversalité et, in fine, la créativité», observe Arnaud Groff, fondateur d’Inovatech 3V, organisme de formation et de conseil en créativité, et coauteur de La Boîte à outils de la créativité (Dunod).
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Une organisation du travail souple, telle qu’elle existe dans les start-up ou les entreprises «libérées», favorise également l’émergence et l’échange d’idées. Et apportez à vos troupes la nourriture intellectuelle dont elles ont besoin : une exposition, une conférence ou tout simplement un déjeuner hors les murs sont autant de sources potentielles d’inspiration.
JOUEZ LE RÔLE DU PASSEUR D’IDÉES
À vous, manager, de montrer l’exemple. «Pour que vos collaborateurs se sentent libres d’échanger, posez-vous comme un leader et non comme un petit chef, recommande Mathieu Dupas, fondateur du cabinet de conseil Innovation partagée. Soyez à la fois un animateur et un passeur d’idées. Au lieu de commander, de distribuer les ordres, expliquez les objectifs puis motivez, encouragez et participez.» Bref, pratiquez la culture du résultat plus que celle des moyens.
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«Pour vivre une vie créative, nous devons perdre la peur d’avoir tort.» Joseph Chilton Pearce
RÉCOMPENSEZ TOUTE L’ÉQUIPE
«Quand un concept est retenu, apprenez aussi à valoriser l’individu comme le collectif», ajoute Arnaud Groff. Sur la plateforme collaborative La Fabrique à innovations, un système de primes (un pourcentage sur les ventes du produit fini) récompense l’auteur d’une idée, mais aussi l’équipe, sans laquelle le projet n’aurait pas vu le jour. Celui qui a trouvé le slogan, celui qui a imaginé la publicité, celui qui a désigné le produit : chacun touche des royalties. «Chaque membre du groupe est ainsi encouragé à être une force de proposition et à améliorer les idées des autres.»
PENSEZ À DIFFUSER VOS RÉSULTATS
Enfin, ne négligez pas la phase «d’après». «Sans forcément aller jusqu’à la fabrication collective d’un prototype, il est essentiel de montrer le résultat de ce qui a été imaginé, explique Arnaud Groff, afin d’entretenir l’émulation collective.»
«Donner du feedback est indispensable, insiste Thibault de Maillard. Dans les semaines ou les mois qui suivent l’émergence d’idées, indiquez à vos collaborateurs lesquelles ont été retenues et pourquoi. Sans cela, la motivation laissera place à la frustration et vos collaborateurs regretteront de ne pas avoir été entendus ou pris au sérieux. Un retour de votre part leur permettra en outre d’avoir à l’avenir des propositions mieux ciblées et d’être encore plus créatifs.»
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LE TANK : TOUT UN ESPACE AU SERVICE DE L’ESPRIT
Des pizzas jambon roquette fument sur un coin de table au cinquième étage du Tank. Entre deux sessions de travail sur un projet top secret, une équipe de la Société générale s’apprête à engloutir son déjeuner. Avec ses 1.000 mètres carrés à côté de la Bastille, à Paris, cet espace de coworking consacré au digital, qui abrite aussi le QG de l’agence numérique Spintank, attire toutes sortes d’entreprises, qui viennent y frayer avec un essaim de start-up et de francs-tireurs résidents.
«Le cabinet de conseil EY et Leroy Merlin réservent une partie de nos locaux chaque semaine, pour rompre la routine de leurs équipes et décupler leur créativité», raconte Damien Cahen, directeur du Tank. Sols neutres, murs immaculés : le décor ne parasite pas la pensée. Cette sobriété vous ennuie ? «Chacun est libre d’apporter ses affiches et ses bouquins», rétorque Nicolas Vanbremeersch, le fondateur de Spintank.
La seule fantaisie esthétique du Tank est une ligne jaune qui traverse le bâtiment, du bar du rez-de-chaussée aux paperboards du dernier étage. Pour inciter la centaine de résidents (les «Tankers») à «franchir la ligne», les concepteurs des lieux ont trouvé une astuce : priver certains étages de toilettes ou de machines à café ! «Du coup, les Tankers se croisent, il se crée des discussions informelles», observe Damien Cahen.
No Limit. Pour boire un café, il va falloir franchir la ligne jaune qui sépare les espaces de travail. Une façon de favoriser les rencontres.
Un esprit communautaire précieux pour Elliot Lepers, Tanker historique : «Parler de ses idées à des pros du numérique permet d’aboutir plus vite à un prototype. L’écosystème du Tank est un plus indéniable pour créer.» Ce trublion du digital a lancé en janvier une levée de fonds pour… financer les primaires à gauche ! Au quotidien, il profite de la tribu des Tankers pour améliorer et parfois tester ses applis.
«Ici, on ne se contente pas de louer un bureau, on adopte une communauté !» résume Michaël Chaize, responsable chez Adobe, utilisateur régulier du lieu. Pour surprendre encore davantage, le Tank propose chaque mois une conférence AFK (Away From Keyboard : loin du clavier) où un ponte du numérique est invité à s’exprimer. Smartphones, tablettes et ordinateurs en sont bannis.
«On a créé un moment de partage, sans parasites technologiques», explique Baptiste Fluzin, directeur du pôle création. Après la réunion, les notes – manuscrites !- des participants sont prises en photo et diffusées sur le compte Facebook et Tumblr de l’espace. De quoi nourrir la créativité… hors du Tank.
Mixité créative. En mélangeant dans les mêmes locaux des équipes venues de grosses entreprises et des francs-tireurs du numérique, le Tank facilite la convivialité et l’échange d’idées.
3 idées à retenir :
1. Encouragez vos salariés à s’emparer de leur espace en créant un cadre de travail minimaliste.
2. Disposez les machines à café, photocopieuses et toilettes à des étages différents pour inciter chacun à se déplacer dans les locaux. La marche est un moteur d’inspiration !
3. Bannissez les écrans lors des réunions pour favoriser les échanges «en vrai».
S’interdire de juger : «J’encourage chacun à suivre ses envies, à tester des choses risquées, farfelues, sur des champs inattendus. Le but est de lever les peurs. Pour moi, une idée n’est jamais mauvaise. Elle peut ne pas fonctionner, et ce n’est pas grave. En outre, on en parle, à la pause cigarette ou autour d’un café, ce qui libère le collaborateur de toute pression hiérarchique.»
Rester curieux : «Nous évoluons dans le domaine de la culture populaire. J’incite l’équipe à lever le nez des jeux vidéo pour aller au cinéma, lire, s’intéresser aux séries TV, à l’art, aux phénomènes de société comme les réseaux sociaux… Il s’agit de repérer ce qui a le vent en poupe ou ce qui fait un flop. Après, on discute de façon informelle des tendances sur lesquelles parier dans nos créations.»
Se dépayser : «Lorsque ça bloque, les créatifs ont intérêt à sortir du bureau pour travailler dans un parc, au café, chez eux. Cela peut durer une semaine pour un gros chantier. Quand le jeu se déroule à l’étranger, par exemple au Japon ou en Bolivie, on envoie sur place une équipe de designers et de graphistes durant une semaine. Ils s’imprègnent de l’histoire, des codes culturels, des paysages locaux. Cela stimule leur inspiration.»
Ne pas se contenter de la « bonne idée » : «Pas question de s’emballer trop vite. La solution idéale, même si tout le monde y adhère, peut encore mûrir. J’aiguillonne son auteur pour qu’il en détecte les failles et les limites, quitte à changer d’orientation. Ainsi, je suis sûr d’obtenir le meilleur projet qui soit. Par ailleurs, ici, l’ambiance est décontractée, les blagues fusent, ce qui permet des rebonds créatifs. J’entends rire, applaudir dans l’open space. Rien à voir avec l’atmosphère d’une bibliothèque !»
avec capital