Carol Dweck, de l’Université Stanford, étudie la façon dont un concept psychologique clé s’applique aussi aux sociétés.
Lorsqu’elle était étudiante en troisième cycle, au début des années 1970, Carol Dweck a commencé à se pencher sur la façon dont les enfants affrontaient l’échec. Et elle s’est rapidement rendu compte que -« affronter » n’était pas le bon mot. « Certains ne se contentaient pas de l’affronter. Ils s’en délectaient, dit-elle. Pour certaines personnes, l’échec est la fin du monde. Mais pour d’autres, c’est une nouvelle opportunité exaltante. » Aujourd’hui professeur de psychologie à Stanford, elle a passé des décennies à étudier cette dichotomie, qu’elle a initialement décrite en employant les appellations académiques austères de « théorie de l’entité de la mentalité fixe » et « théorie incrémentielle ».
Au début des années 2000, elle a trouvé des dénominations plus intéressantes. Elle dit des personnes qui considèrent le talent comme une qualité dont elles sont pourvues ou dépourvues qu’elles ont une « mentalité fixe ». A l’inverse, les personnes dotées d’une « mentalité perfectible » aiment les défis, s’efforcent d’apprendre et y voient toujours une occasion d’acquérir de nouvelles compétences. Les travaux de Carol Dweck ont eu de grandes répercussions : son livre intitulé « Mindset », publié en 2006, s’est vendu à plus de 800.000 exemplaires, et le concept de mentalité perfectible a fini par -imprégner des domaines tels que l’enseignement et l’entraînement sportif.
Actuellement, le travail de Carol Dweck sur la mentalité ne se limite plus aux individus. Et cela a d’importantes répercussions pour les managers. Une entreprise peut-elle, comme un individu, avoir une mentalité fixe ou une mentalité perfectible ? Si c’est le cas, quels sont les effets sur l’entreprise et ses salariés ? Depuis 2010, Carol Dweck et trois de ses collègues (Mary Murphy, Jennifer Chatman et Laura Kray) collaborent avec le cabinet Senn Delaney pour répondre à ces questions.
Pour explorer les mentalités des entreprises, les chercheurs ont interrogé un échantillon varié de salariés venant de sept sociétés du classement Fortune 1 000. Ils devaient dire dans quelle mesure ils étaient d’accord avec des affirmations comme : « Quand la réussite est là, cette entreprise semble estimer que les salariés ont fait preuve d’un certain talent, mais qu’ils ne peuvent guère faire mieux. » Des -degrés d’accord élevés semblent indiquer que l’entreprise avait principalement une mentalité fixe ; de faibles degrés indiquaient une mentalité perfectible. Les chercheurs ont ensuite réalisé des études pour essayer de comprendre en quoi la mentalité prédominante de l’entreprise influait sur la -satisfaction des salariés, leurs perceptions de la culture de l’entreprise, leurs degrés de collaboration, leur capacité à innover et leur comportement éthique, et en quoi elle influait sur la façon dont les cadres voyaient les employés.
« D’une façon générale, nous avons appris que, dans chaque entreprise, il y avait un -véritable consensus sur la mentalité, dit Carol Dweck. Nous avons aussi appris que chaque mentalité s’accompagnait de toute une constellation de caractéristiques. » Par exemple, les salariés des entreprises à mentalité fixe ont souvent déclaré que seule une petite poignée d’employés « stars » était très appréciée. Les salariés qui ont rapporté cette situation étaient moins impliqués que ceux des entreprises à mentalité perfectible et ne se sentaient pas soutenus par leur société. Ils avaient peur d’échouer et, par conséquent, entreprenaient moins de projets innovants. Ils avaient tendance à garder des secrets, à user d’expédients et à tricher pour essayer de -monter en grade.
Les cadres des entreprises à mentalité -perfectible ont fait part de visions beaucoup plus positives de leurs employés que ceux des entreprises à mentalité fixe, les estimant plus innovateurs, coopératifs et disposés à apprendre et à évoluer. Ils tendaient davantage à dire que leurs employés avaient un potentiel de management. L’équipe de Dweck n’a pas encore vérifié si les entreprises à mentalité perfectible avaient de meilleurs résultats, -mesurés entre autres à l’aune des retours -financiers. « Pour nous, c’est la question clé, dit-elle. Mais nos observations laissent supposer que les entreprises à mentalité perfectible ont, pour le moins, des employés plus heureux et une culture plus axée sur l’innovation et la prise de risques. »
Comment les managers peuvent-ils aider les entreprises à adopter une mentalité perfectible ? « Cela demande du travail et de la bonne volonté », dit Dweck. C’est souvent la direction générale qui doit être le moteur du changement ; par exemple, un nouveau P-DG peut se concentrer sur la maximisation du potentiel des salariés. Pour Carol Dweck, Jack Welch, de GE, était un P-DG à mentalité perfectible -emblématique : il recrutait en fonction du « tremplin » et non du pedigree, préférant les diplômés des Big 10 et les vétérans de l’armée aux diplômés de l’Ivy League, et passait des milliers d’heures à former et à coacher les membres de son équipe de direction – preuve qu’il reconnaissait la capacité des personnes à se développer.
Le recrutement est un domaine dans -lequel la mentalité est particulièrement -importante. Les entreprises à mentalité perfectible ont tendance à recruter dans leurs rangs, tandis que celles à mentalité fixe cherchent à l’extérieur. En général, ces dernières mettent l’accent sur les références et les réalisations, alors que les entreprises à mentalité perfectible attachent de l’importance au potentiel, à la capacité et au désir d’apprendre. « Se concentrer sur le pedigree n’est pas aussi efficace que de chercher des personnes qui adorent les défis, qui veulent évoluer et collaborer », affirme Dweck. Google semble être en train d’opérer cette mutation, note-t-elle. La société a commencé à recruter davantage de gens qui n’ont pas de diplôme universitaire, mais qui sont sans conteste des -autodidactes compétents.
Tous les employés ne seront pas plus heureux dans une entreprise à mentalité perfectible. Les personnes pensant être plus talentueuses que d’autres préféreront peut-être une entreprise axée autour de « stars », où leur talent sera mieux reconnu (et rémunéré). Mais, d’une façon générale, tout indique que les entreprises concentrées sur la capacité des salariés à se développer bénéficieront d’avantages importants.
Les salariés d’une entreprise à mentalité perfectible
« Ne pensez pas au rendement, mais à l’effort »
Timothy Perlick est directeur principal du développement professionnel au CME Group. Il a parlé à HBR de l’utilisation des recherches de Carol Dweck par sa société. Extraits choisis :
Harvard Business Review France : Comment êtes-vous venu à la « mentalité perfectible » ?
Timothy Perlick : En 2012, Phupinder Gill est devenu notre P-DG. Il a reconnu à quel point fusion, technologie et mondialisation modifiaient notre secteur et a pensé que nos employés avaient besoin d’une mentalité perfectible pour appréhender notre activité différemment. Nous avons demandé à Carol de discuter avec l’équipe de direction, puis avec tous les employés. Nous avons enregistré les séances, et tous les nouveaux employés ont regardé la vidéo. Gill insiste sur la mise en avant de la mentalité perfectible. Au lieu de nous concentrer sur le rendement, qui peut être considéré comme le résultat du talent (et emblématique d’une mentalité fixe), nous pensons à l’effort. Au lieu de célébrer les réalisations des employés, nous disons : « Merci pour vos efforts. »
Harvard Business Review France : Cela a-t-il changé votre façon de recruter ?
Timothy Perlick : Oui. Nous avons adopté des techniques d’entretien comportemental basées sur des questions concernant la mentalité. Exemple : « Décrivez une situation dans laquelle vous avez été confronté à un problème. Comment l’avez-vous gérée afin de surmonter vos doutes ? » Nous ne recrutons pas spécifiquement des personnes à mentalité perfectible, mais c’est une qualité que nous recherchons.
Harvard Business Review France : Certains employés sont-ils hostiles à ce changement ?
Timothy Perlick : Absolument. Il y en a qui pensent qu’ils n’ont pas le profil, et certains sont partis dans d’autres sociétés.
Harvard Business Review France : Ce changement culturel a-t-il été un succès ?
Timothy Perlick : Il est trop tôt pour le dire. Mais il nous a permis de formaliser et d’institutionnaliser notre processus d’innovation et d’innover plus rapidement
Avec hbrfrance