Le modèle économique et social français perd jour après jour son efficacité tant au plan macro que microéconomique. La précarisation des emplois et le chômage de masse en témoignent. Et dans nos organisations, notamment les grandes – de plus de 1000 salariés -, l’étude réalisée par Capgemini Consulting avec TNS Sofres («Le management français à l’épreuve de la bascule numérique», premier trimestre 2014) montre un désengagement massif des cadres. Désengagement que l’on n’observe pourtant dans aucun des six autres pays de l’étude. Peut-on s’y résigner? Certainement pas.
Car il n’est pas là seulement question du «moral» des salariés français. Mais aussi de la compétitivité de nos organisations et de leur capacité à s’adapter. Des pistes concrètes existent, qui requièrent certes des changements d’attitude et de pratiques mais qui restent néanmoins à portée de main. Une chose est sûre, certaines de nos méthodes de management sont à revoir. Sans attendre.
Un modèle historique à bout de souffle au mauvais moment
Le modèle économique et social français construit dans l’après-guerre a soutenu les succès des Trente Glorieuses. Puis, choc après choc (choc pétrolier, mondialisation, révolution numérique…), il a perdu de sa superbe. Il montre aujourd’hui des signes élevés d’inefficacité collective au moment même où nous devons affronter un monde en mutation majeure.
Avec l’ère numérique, nous sommes entrés dans une phase de transition accélérée où les équilibres traditionnels se trouvent fragilisés. Des modèles de développement agiles et agressifs de la «nouvelle économie» mettent en souffrance la plupart des organisations historiques. Elles vont avoir besoin de ressort et de tonus social pour affronter cette nouvelle donne. Or, dans les organisations françaises, près de la moitié des salariés sont «désenchantés», en retrait vis-à-vis de leur entreprise et 50% considèrent avoir un «retour sur investissement» perdant.
Côté management, le constat n’est pas plus brillant. Pour 25% des managers des grandes organisations françaises, le changement ne va pas dans «la bonne direction». Et plus de 40% ont des doutes. Il ne reste donc qu’un tiers des cadres pour supporter le changement : moitié moins qu’en Allemagne (55%), qu’en Espagne (63%) ou qu’aux Etats-Unis (71%). La ligne managériale française est massivement fragilisée à un moment où nos organisations sont confrontées à des défis majeurs, voire vitaux. Imaginer qu’elles peuvent les surmonter avec des managers aussi peu engagés est une pure illusion. Il est donc indispensable de comprendre les causes de cette situation.
Un mépris de l’économie
Il existe des réactions nationales très différentes face au changement. Dans nombre de pays, il est d’abord vu comme une opportunité (pour plus de 70% des salariés aux Etats-Unis, au Brésil, en Chine, en Allemagne…). Le changement est donc dans son principe vécu positivement. C’est beaucoup moins le cas en France.
On sait que, de longue date, les dynamiques économiques ont été assujetties a une tutelle politique d’un état centralisateur et interventionniste : de la Manufacture des Gobelins au volontarisme industriel Gaullien, la France est marquée par un mépris de l’économie. Une culture française de centralisation et de planification visant à constituer des champions économiques et industriels de long terme, protégés par une volonté d’Etat et une économie réglementée.
Les années passant, nous avons gardé la culture d’un modèle dont l’efficacité tant micro que macro-économique est contestée par les faits. Et s’il y a un monde qui aujourd’hui est aux antipodes de cette culture héritée, c’est bien celui du digital, où nous sommes pourtant entrés de plain pied.
En même temps, toute une partie de la société civile fait preuve d’un réel dynamisme entrepreneurial qui permet, chaque année, à de jeunes champions de l’économie digitale d’émerger : ainsi la France domine largement l’Allemagne au classement des 500 start-up ayant connu les plus fortes croissances. Ce n’est donc pas la société française qui est bloquée mais ses grandes organisations.
Hope in French Management : les voies du renouveau
Passer d’une culture crispée de la rente à une culture positive du mouvement, tel est l’objectif. Il nécessite d’adopter des modes de management propices à l’engagement des salariés et au développement de nos organisations dans une société désormais numérique.
Plus que dans d’autres pays, les grandes organisations françaises et leurs équipes dirigeantes doivent avoir le courage et la lucidité de voir que «ça ne marche plus»… Nous appelons «open management» cette exigence de ré-interrogation profonde de nos convictions et de nos pratiques. Ce renouveau pose deux exigences : le ré-engagement des salariés, comme de leurs managers, et l’adaptation de nos fonctionnements pour permettre à l’organisation de survivre et de se développer. Croire aux seules vertus des technologies sans revisiter nos pratiques et nos valeurs, c’est croire dans les vertus curatives du cautère sur une jambe de bois.
S’engager VRAIMENT dans le numérique
Alors même que toutes les rentes sont attaquées, notre étude montre que seuls 20% des cadres dirigeants français considèrent que les technologies digitales ont un impact « très positif » sur la performance. La grande majorité de leurs homologues allemands (56%), britanniques (57%), américains (58%) ou brésiliens (69%) en sont eux convaincus. Comment ne pas associer cette faible conviction à une forme de certitude que les positions installées sont solides, qu’il n’y a pas urgence… C’est pourquoi un véritable changement doit s’opérer à la tête de nos organisations sur le niveau d’engagement dans la révolution numérique en cours.
Casser le monopole du centralisme décisionnaire
Un modèle managérial hiérarchique vit sur l’évidence que le «haut» pense et décide, et que le «bas» obéit et exécute. Nombre de cadres et salariés français sont donc les spectateurs passifs d’un processus de réflexion et de décision. Si deux tiers des cadres des grandes organisations françaises ne sont pas du tout convaincus par le changement qui leur est proposé, c’est certainement parce qu’ils ont le sentiment de ne pas avoir eu un grand rôle à jouer dans son élaboration… Pour sortir de cette impasse où les uns décident et les autres regardent, il faut repenser les grands processus d’orientation de l’entreprise : responsabiliser davantage, prôner une culture du dialogue, de l’expérimentation, de l’initiative… Tout ceci est indispensable pour faire évoluer notre culture managériale.
Valoriser le courage managérial et la prise d’initiatives
Pour nombre d’organisations, l’enjeu est moins l’innovation par exception que la capacité à changer, à expérimenter, à muter… Dans un pays où 40% des managers perçoivent le changement comme un risque, le cœur du sujet est justement la prise de risque managérial : les innovations sont là, partout, de toutes natures… le problème est que nos entreprises sont rétives et lentes à les absorber.
Le numérique constitue un terrain favorable pour cette mutation. D’ailleurs, pour plus de 80% des salariés, les outils digitaux représentent un avantage tant pour leur entreprise que pour eux. Ils y voient notamment une opportunité d’améliorer les fonctionnements, souvent déficients, qu’ils subissent au quotidien. Raison de plus pour utiliser ces outils comme un levier de renouveau, d’expérimentation tout azimut au service des enjeux tant business que sociaux de nos structures professionnelles.
Parier sur le management de proximité
La qualité du management de proximité est l’un des leviers majeurs de l’engagement des salariés et de l’adaptation de nos organisations. Selon notre étude, un peu plus de la moitié des Français considèrent avoir un bon manager de proximité. Or, parmi eux, 80 % font confiance à leurs équipes dirigeantes, alors qu’ils ne sont que 10 % à afficher la même confiance lorsqu’ils estiment, au contraire, avoir un mauvais manager. Intuition forte avant de réaliser notre étude, conviction étayée depuis : le management de proximité incarne l’organisation et son équipe dirigeante, influe sur le «capital confiance» des salariés. Il est déterminant également dans l’acceptation du changement. Dans un monde en transformation accélérée, la dynamique positive, si elle existe, se joue pour beaucoup à ce niveau de l’organisation.
Autre enseignement marquant de cette étude, les implantations françaises d’entreprises étrangères font mieux que nous en matière d’engagement. C’est donc moins «l’état d’esprit» des salariés français qui est en cause que les systèmes managériaux auxquels ils sont confrontés au quotidien.
La transformation de nos modèles, de nos pratiques est une évolution nécessaire et attendue dans nos grandes organisations. Car seules les entreprises adaptées dans leurs modes de fonctionnement et leur management sauront répondre aux nouvelles exigences d’un monde digital, ouvert et décentralisé.
Cette (r)évolution est attendue par la jeune génération, Y et bientôt Z comme le confirme l’étude récente BNP Paribas/The Boson Project. C’est le premier enseignement des projets de «reverse mentoring» que nous menons : si les jeunes sont aussi volontaires et motivés à «mentorer» leurs cadres dirigeants, c’est qu’ils voient là un levier positif de transformation de cultures organisationnelles qui les frustrent au quotidien.
Mais ce renouveau est tout aussi attendu par les managers qui veulent redevenir des acteurs impliqués dans les choix de l’entreprise, et pas être uniquement les «porteurs spectateurs» de décisions plus ou moins comprises.
Avec hbrfrance