Depuis le départ précipité, en 2014, de l’ancien président burkinabé Blaise Compaoré, l’Afrique de l’ouest est en panne de leadership. Certains chefs d’Etat de la sous-région tentent d’avancer leurs pions en misant sur certains arguments sans pour autant parvenir à s’imposer. Cette querelle de leadership qui ne dit pas son nom se traduit par une bataille feutrée pour le contrôle de la direction des principales institutions des organisations communautaires au risque de fissurer la cohésion de façade qui prévaut jusque-là entre chefs d’Etat de la sous-région. La présidence de UEMOA est vacante dès ce 1er décembre…
La présidence de l’Union économique et monétaire ouest africaine (UEMOA) sera vacante à partir de ce 1er décembre. C’est à partir de cette date que la démission surprenante de l’actuel président de la commission de l’organisation sous-régionale qui regroupe 8 pays, prendra effet. Le sénégalais Hadjibou Soumaré, a en effet annoncé, il y a quelques semaines, qu’il quittait le navire à cette date pour cause de « raisons personnelles». Son mandat était certes arrivé à terme depuis novembre 2015, mais il a été prorogé deux fois pour une période intérimaire de six (6) mois à la suite de l’échec des Chefs d’Etats des pays membres, de s’accorder sur le pays qui devrait désigner son successeur. La dernière fois, c’était lors du dernier sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’UEMOA qui s’est tenu à Dakar en juin dernier. C’est là que les raisons de cette situation assez embarrassante sont apparues au grand jour avec des piques, par médias interposées, entre deux pays. Il s’agissait en l’occurrence d’un duel au sommet entre le Niger et le Sénégal pour le contrôle du poste de président de la Commission de l’UEMOA. Officiellement, le poste devrait revenir au représentant du Niger à la suite de la décision prise par le Sommet. Cependant, la procédure d’attribution du poste s’est relevée plus compliquée que prévue à la suite justement de la divergence entre le Niger et le Sénégal. En cause, la volonté de certains protagonistes de ne pas respecter certains « petits arrangements » en vogue parmi des chefs d’Etats pour l’attribution des principaux postes stratégiques des institutions sous-régionales. D’après la presse sénégalaise, le Niger devrait céder le fauteuil de vice-président de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouste (BCEAO) au Sénégal qui lui refilerait alors la présidence de la Commission de l’UEMOA. Sauf que Mahamadou Issoufou ne l’entend pas de cette oreille et n’envisage pas jusque-là, de céder un poste qu’a toujours occupé un de ses ressortissants depuis la création de l’institution monétaire centrale des pays de l’UEMOA. Selon un accord tacite entre les pays membres, c’est le Sénégal qui a hérité du siège de la BCEAO, la Côte d’Ivoire du poste de gouverneur et le Niger de celui de vice-gouverneur. Au sein de la BCEAO, le principe a toujours été respecté.
La présidence de la commission de l’UEMOA sera vacante à partir du 1er décembre, conséquence du duel qui oppose depuis un an, le Niger et le Sénégal pour le contrôle du poste.
Le président démissionnaire de la Commission de l’UEMOA a certes avancé des raisons personnelles pour justifier sa démission, mais tout le monde s’accorde à reconnaître qu’il ne s’agit là que d’un prétexte diplomatique, pour l’ancien premier ministre sénégalais, de débarrasser le plancher à la suite de la fronde des fonctionnaires nigériens au sein du siège de l’institution basée à Ouagadougou. Depuis la dernière prorogation du mandat de Hadjibou Soumaré, les nigériens n’arrivent pas à tempérer leur impatience en accusant le sénégalais de n’être qu’un « usurpateur », la question de sa succession étant déjà réglée. Ce qui est certain, c’est que le Sénégal continue à faire de la résistance et en attendant la prochaine session du Sommet des chefs d’Etat de l’UEMOA, l’institution va se retrouver sans président statutaire.
Crise larvée au sommet
Cette crise larvée entre le Niger et le Sénégal n’est à l’évidence que la partie visible de l’iceberg de la guerre d’ambitions entre chefs d’Etat de la sous région. Une guerre larvée pour s’ériger en en leader de la sous-région à l’image du rôle qu’a joué l’ancien président Blaise Compaoré. Depuis son départ précipité en 2014, aucun chef d’Etat de la région n’est en mesure de prétendre jouer ce rôle, certes symbolique, mais qui peut se révéler assez stratégique dans bien des occasions. Certains essaient tant bien que mal de s’affirmer comme tel mais sans grand succès. On peut citer à juste titre le président sénégalais Macky Sall ou ses homologues ivoirien Alassane Ouattara et nigérien Mahamadou Issoufou. Le président guinéen Alpha Condé ou malien Ibrahim Boubacar Keita auraient bien envisagé de prétendre à de telles ambitions, mais ils sont plutôt occupés à la gestion des affaires internes plus importantes que cette « guerre d’ambitions » qui parfois se décline en guerre d’ego. A l’évidence, le fait que pour l’essentiel, les dirigeants actuels des pays de la sous-région sont arrivés dans les dernières années au pouvoir, pouvait expliquer qu’aucun d’entres-eux et même pas le président nigérian Muhammadu Buhari, pour le moment éloigné de ces turbulences, ne puisse prétendre à jouer ce rôle qui qu’occupait, à son aise, Blaise Compaoré. Si Macky Sall semble bien avoir de l’avance sur ses pairs au vu de l’influence de son pays dans la sous-région, Ouattara et Issoufou font valoir également d’autres arguments géopolitiques qui, en la matière compte beaucoup. Autant la Côte d’Ivoire peut s’appuyer sur son poids économique régional, près de 40% du PIB de la sous région, autant le Niger et surtout son président peut se targuer d’être un des principaux partenaires des puissances occidentales pour la stabilisation de la région et la lutte contre le terrorisme. C’est aussi et surtout l’un des vrais enjeux de cette « bataille feutrée » qui impacte désormais la bonne marche des institutions régionales et qui ne semble qu’à son commencement.
Jeu de chaises musicales sur fonds d’ambitions personnelles
Les derniers sommets de l’UEMOA et de la CEDEAO ainsi que certaines réunions au sommet au niveau continental montrent bien que l’unité que montre le bloc ouest africain n’est que de façade.
« Mahamadou Issoufou semble prendre de plus en plus de l’envergure » concède à La Tribune Afrique, sous couvert d’anonymat, un ancien premier ministre de la sous-région qui n’écarte pas le fait que « cela crée certaines tensions entre les pays de la sous-région ».
L’une des preuves que brandit notre interlocuteur, c’est l’offensive diplomatique que mène avec un certains succès le président nigérien. Le dernier acte en date, c’est l’élection d’un de ses proches à la tête de l’ASECNA. Le candidat du Niger était certes un des favoris à cette élection qui s’est déroulée en novembre dernier à Bamako puisqu’il était le seul candidat en lice de la sous-région alors que l’Afrique centrale était venue avec quatre prétendants pour al direction de l’organisation en charge de la sécurité aérienne en Afrique et en Madagascar. Toutefois, en coulisse certains pays ont voulu saboter la candidature nigérienne. Une source au sein de l’institution confirme que le Niger n’a pas pu bénéficier du soutien attendu du Sénégal et la preuve, la veille de la session extraordinaire qui a statué sur la question, les agents sénégalais de l’ASECNA avaient publié une lettre au vitriol adressée à leur président afin de le mettre en garde contre « le retour au sein de l’institution de certains fonctionnaires qui ont eu par le passé à laisser des casseroles ». C’est peu dire que le Niger a bien vu une attaque en règle puisque son candidat, Mahamane Moussa, qui a fait presque toute sa carrière au sein de l’organisation au point d’occuper le poste de Directeur des ressources humaines. L’ancien ministre nigérien a certes été élu au poste de directeur de l’ASECNA, mais cette affaire a laissé des traces dans les relations diplomatiques, déjà tendues, entre les deux pays.
Rivalités encore contenues
A ces rivalités jusque-là presque contenues, se profilent d’autres considérations qui ne tendent pas à arranger les choses à défaut d’en amplifier la guerre d’ambitions. Les relations entre les différents chefs d’Etat ne sont pas autant au beau fixe que ce qu’ils laissent transparaître. En la matière, nos sources avancent quelques anecdotes qui veulent beaucoup dire en matière diplomatique. Il y a quelques jours, c’est Abidjan que le principal opposant à Issoufou Mahamadou, en exil à Paris depuis quelques mois, a choisi pour faire sa rentrée politique. Hama Amadou qui séjourne régulièrement ces derniers temps au bord de la lagune Ebrié a réunit des milliers de ses sympathisants à l’occasion d’un Forum initialement consacré à la diaspora de son parti mais qui s’est par la suite transformé en véritable démonstration de force politique. A l’occasion, Ouattara a mis à la disposition de l’ancien premier ministre nigérien toute la logistique et la sécurité nécessaire, ce que les opposants nigériens n’ont pas manqué de faire publiquement savoir. Dire que cela a été mal vu à Niamey serait un doux euphémisme. Il faut dire qu’en la matière, elles ne sont pas également exemptes de tout reproche. Le président du FPI, chef de file de l’opposition ivoirienne, Pascal Affi N’Guessan séjourne lui aussi régulièrement à Niamey où il a ses entrées chez ses camarades socialistes. Il était d’ailleurs récemment au Niger pendant que la campagne référendaire battait son plein à Abidjan. Entre Issoufou et Ouattara, les relations sont officiellement au beau fixe mais ces « quelques considérations superficielles » selon un officiel nigérien cacheraient bien un certain antagonisme. En tout cas, lors du sommet des Chefs d’Etat de la sous-région de juin dernier, le président ivoirien aurait apporté tout son soutien pour le maintien de Hadjibou Soumaré à la tête de l’UEMOA en attendant, la révision des textes de l’institution pour tenir compte des enjeux de l’heure et permettre une sortie de crise sans trop de casses pour la cohésion sous-régionale. Un autre facteur à prendre en compte dans cette guéguerre de positionnement, c’est la relation entre Issoufou et l’un des hommes forts de Ouagadougou, Salif Diallo, actuel président de l’Assemblée nationale du Faso. Opposant farouche de Blaise Compaoré, après avoir été son bras droit, il a officié comme conseiller spécial auprès de la présidence nigérienne où son influence reste toujours importante et son nom régulièrement cité dans la presse locale dans des affaires de contrats publics où l’Etat du Niger aurait été lésé. Or, Compaoré est désormais sous la protection du chef de l’Etat ivoirien alors que Niamey mise toujours sur Diallo.
Autant Hama Amadou, principal opposant du président nigérien Issoufou Mahamadou séjourne régulièrement à Abidjan et autant Pascal Affi N’Guessan qui préside le FPI , parti d’opposition ivoirien, a ses entrées à Niamey.
La présidence de l’UA en ligne de mire
Entre chefs d’Etat ouest-africains, c’est pour le moment la détente. Cependant, il n’est pas exclut que plus les enjeux vont s’intensifier et plus la guerre larvée va s’amplifier. Le prochain sommet des dirigeants de la sous région en constituera un test grandeur nature à moins que d’ici là, la crise latente apparaisse au grand jour à l’occasion du prochain sommet des chefs d’Etats et de gouvernement de l’Union africaine (UA) de janvier prochain. En ligne de mire, la désignation du successeur du tchadien Idriss Déby Itno au poste de président en exercice de l’institution. Selon le principe en vigueur au sein de l’organisation, c’est au tour de l’Afrique de l’ouest de désigner le prochain titulaire du poste. Le nom du président guinéen Alpha Condé est jusque-là mis en avant mais dernièrement, certaines sources évoquent également les prétentions du président nigérien qui serait poussé par l’Algérie. Deux amis de longue date et par ailleurs socialistes convaincus qui vont devoir trouver un terrain d’entente pour ne pas aggraver la fissure…
avec afrique.latribune