Le procureur général du Rwanda vient de saisir la justice française d’une demande d’entraide judiciaire dans le cadre d’une enquête criminelle pour complicité de génocide visant vingt officiers de l’arme française.
Après une salve d’avertissements, Kigali vient de jeter un pavé dans la Seine, à proximité du Quai de l’Horloge qui borde le Palais de justice de la capitale française. Le 21 novembre, le procureur général du Rwanda, Richard Muhumuza, adressait à Jean-Claude Marin, procureur général près la cour de Cassation, à Paris, une demande d’entraide judiciaire de nature à raviver les tensions diplomatiques entre la France et le Rwanda.
Dans ce courrier de deux pages, transmis au haut magistrat français via le Quai d’Orsay, son homologue rwandais sollicite en effet le concours de la justice française afin que « les officiels de l’Organe National de Poursuite Judiciaire du Rwanda puissent procéder eux-mêmes, à l’ambassade du Rwanda à Paris, aux interrogatoires » de vingt officiers français ayant servi au Rwanda entre 1990 et 1994. Au titre des lois rwandaises, écrit Richard Muhumuza, ces personnes sont « poursuivies pour complicité de crime de génocide et de crimes contre l’humanité ».
« Courtoisie internationale »
« En l’absence de convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Rwanda, la présente demande est formulée sur base de la courtoisie internationale et de l’offre de réciprocité des magistrats requérants », ajoute le procureur général rwandais. Une allusion aux commissions rogatoires internationales effectuées au Rwanda, au cours des dernières années, par des magistrats français, en particulier ceux du pôle génocide et crimes contre l’humanité du TGI de Paris.
À deux exceptions près, la liste des officiers incriminés correspond à celle rendue publique le 31 octobre par la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG), elle-même inspirée de la liste divulguée en 2008 par la Commission Mucyo. Officiellement « chargée de rassembler les éléments de preuve montrant l’implication de l’État français dans la préparation et l’exécution du génocide perpétré au Rwanda en 1994 », cette commission d’enquête rwandaise avait en effet mis en cause, au terme de ses travaux, treize personnalités politiques et vingt personnalités militaires françaises.
« Démarche dilatoire »
Depuis la réouverture récente de l’enquête instruite à Paris sur l’attentat du 6 avril 1994, qui avait entraîné la mort de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana, les plus hautes autorités rwandaises ont fait savoir leur mécontentement face à une démarche qualifiée de « dilatoire ». Instruite à l’origine par le juge Jean-Louis Bruguière, cette instruction controversée, qui s’est longtemps focalisée exclusivement sur une responsabilité du Front patriotique rwandais (FPR) de Paul Kagame dans l’attentat, est, selon Kigali, guidée par des « considérations politiques » héritées du contentieux ancien entre les deux pays.
Au cours des dernières semaines, le président Kagame avait laissé entendre qu’une rupture des relations diplomatiques n’était pas à exclure entre Paris et Kigali, tandis que sa ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, annonçait comme imminentes des poursuites judiciaires visant des responsables français.
Interrogé par une députée, le 16 novembre, à propos de la liste d’officiers divulguée par la CNLG, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, précisait que « cette récente publication s’inscrit dans la droite ligne des thèses précédentes » et « ne présente rien de neuf ». « Affirmer que l’armée française a pris part au génocide est un mensonge indigne, que je ne tolérerai jamais », concluait-il.