Depuis le coup d’État d’avril 2012, le trafic de bois explose. Une hécatombe écologique dont les retombées financières profitent surtout aux opérateurs chinois.
Attablée à la terrasse d’un modeste maquis du centre-ville de Bissau, l’oreille vissée à son téléphone portable, elle enchaîne les appels, sans se soucier des rares clients assis alentour. « Un gros coup se prépare, j’ai besoin de beaucoup d’argent, mais ne passe pas par les banques ! » La « négociatrice » s’exprime en espagnol. Elle parle brièvement d’or, mais semble surtout s’intéresser à la dernière denrée en vogue dans la capitale : madera, le « bois ».
« Depuis deux ans, la coupe sauvage de bois explose », témoigne un ingénieur forestier. À la faveur de la transition qui a suivi le putsch d’avril 2012, les autorités, déjà passablement dépassées ou compromises, sont devenues une véritable passoire face aux trafics en tout genre.
Essences
Des exportateurs de bois peu scrupuleux, quasi exclusivement chinois, ont profité de l’aubaine. En cheville avec des intermédiaires guinéens bénéficiant de passe-droits, ils participent à un massacre écologique, doublé d’une spoliation en règle des ressources du pays. En violation totale de la loi forestière de 2011, qui proscrit toute exportation de bois non travaillé sur place et encadre la coupe et le reboisement, ils enfournent des centaines de troncs d’arbres dans des conteneurs qui iront s’entasser sur les immenses cargos qui défilent dans le port de Bissau.
Les essences les plus prisées : le bois de vène, le doussié, le caïlcédrat et le rhônier. Aux quatre coins du pays, des hectares de forêt sont dévastés, sans considération pour les retombées sur les populations locales et sur l’écosystème.
Lorsque les villageois rechignent, quelques billets suffisent généralement à acheter leur silence. Fin 2012, l’Association des jeunes de Fulacunda, dans le sud du pays, a tout de même tiré la sonnette d’alarme, bientôt relayée par quelques médias locaux et étrangers. « Lorsque j’ai commencé à en faire état dans mes dépêches, on m’a conseillé de parler d’autre chose », témoigne le journaliste Allen Yéro Embalo, correspondant de l’AFP et de RFI.
Blancs comme neige
Toute la journée, des poids lourds chargés de conteneurs sillonnent les routes du pays avant de converger vers la capitale. « Après avoir chargé les troncs en forêt, ils se mettent en route à la tombée de la nuit et entreposent leur cargaison au port avant le lever du jour », raconte notre ingénieur forestier, qui a lui aussi reçu des menaces fin 2013. Dans la zone portuaire, des centaines de conteneurs sont entassés au vu et au su de tous. À l’intérieur de nombre d’entre eux, comme nous le confirme un intermédiaire bissau-guinéen, des troncs, empilés au mépris de la loi forestière et du fisc.
À qui profite ce business ? Comme pour la cocaïne, les rumeurs vont bon train. « Les militaires sont impliqués dans le trafic, mais le ministère de l’Agriculture et la Direction générale des forêts et de la faune (DGFF) sont également mouillés », assure un militant écologiste.
Si les intéressés se proclament blancs comme neige, l’ampleur de la déforestation, elle, est bien réelle. « C’est l’avenir de tous les Guinéens qu’ils compromettent, s’indigne l’ingénieur forestier. Si un moratoire n’est pas adopté au lendemain de l’élection, les répercussions environnementales seront catastrophiques. »
(avec jeunfeafrique)