Les grandes entreprises des pays émergents ayant atteint une taille suffisante pour menacer leurs concurrents des pays développés ne sont plus des cas isolés.
Les grandes entreprises des pays émergents ayant atteint une taille suffisante pour menacer leurs concurrents des pays développés ne sont plus des cas isolés. Selon l’étude “Mondialisation 2.0, pays émergents, entreprises émergées”, publiée lundi 19 mai par Ernst & Young, elles représentaient, en décembre 2007, 19 % de la capitalisation boursière cumulée des mille premières entreprises mondiales. Ce taux n’était que de 5 % en 2000. Le nombre de ces firmes figurant au palmarès est passé de 100 à 221 dans le même laps de temps. Au sommet de la pyramide, huit groupes issus des pays émergents figurent désormais parmi les 20 premières capitalisations mondiales.
Les BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine – concentrent plus de la moitié de ces nouveaux champions : 53 % des entreprises émergentes en nombre et 68 % en valeur en sont issues.
Le secteur de l’énergie a été l’un des premiers à être conquis par ces nouveaux acteurs, soulignait déjà, il y a un an, une étude de la banque américaine Goldman Sachs. Mais le phénomène n’est plus limité aux firmes publiques (ou l’ayant été) qui exploitent les richesses du sous-sol. “Dans tous les secteurs, il existe désormais des acteurs importants dans les pays en développement”, précise Alexis Karklins, associé en charge du département évaluation d’Ernst & Young.
Leur très forte croissance ne s’est pas faite au détriment de la rentabilité, comme cela est parfois le cas, quand les firmes sacrifient leurs résultats pour financer leurs investissements. Bien au contraire. Les auteurs de l’étude d’Ernst & Young ont analysé les ratios boursiers et financiers d’un échantillon de 32 entreprises figurant parmi les 221 du palmarès global. Ces firmes ont été sélectionnées de façon à panacher les origines géographiques, les secteurs d’activité, ainsi que leur exposition internationale. Certaines sont ainsi des championnes sur leur marché domestique mais peu connues à l’international ; d’autres sont déjà des multinationales. Les résultats de ces firmes issues de pays émergents ont été comparés à ceux de 66 entreprises européennes, japonaises ou américaines concurrentes.
Globalement, le taux de croissance annuel moyen de leur chiffre d’affaires sur cinq ans, de 2002 à 2006, est 2,9 fois supérieur à celui des firmes des pays développés. Leur taux de marge opérationnelle 2006 est de 25 %, contre 14 % pour les pays développés. L’écart est presque le même pour le taux de marge nette (16 % contre 8 %). Ces résultats, et le potentiel qu’ils représentent, sont salués par la Bourse. La progression des cours des entreprises des pays émergents, du 31 décembre 2006 au 31 décembre 2007, est en moyenne 2,5 fois supérieure (et 2,2 fois supérieure sur 5 ans) à celle des pays développés.
Les entreprises domestiques, qui n’ont pas encore cherché à s’implanter en dehors de leurs frontières, tels l’opérateur de téléphonie mobile chinois China Mobile, ou le brasseur mexicain Grupo Modelo (producteur de la bière Corona), connaissent des taux de croissance ou de rentabilité encore supérieurs à ceux de l’ensemble de l’échantillon.
Pour se développer à l’international, ces nouveaux géants aux reins financiers solides pourront procéder par acquisitions : “A nous de rendre notre territoire attractif”, conseille M. Karklins, qui souligne, par ailleurs, que le tableau n’est pas forcément sombre. Car ces nouveaux concurrents participent à l’amélioration du niveau de vie de leurs salariés. Et donc à l’ouverture de nouveaux marchés pour toutes les multinationales. Et les françaises en particulier, puisque “la France est le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre d’entreprises du classement Fortune 500”, ajoute M. Karklins.
Pour rester dans la course, les dirigeants de ces firmes pourront s’inspirer du livre Globality : Competing with Everyone from Everywhere for Everything (“Mondialisation : être en concurrence avec chacun, d’où qu’il soit et sur n’importe quoi”), de Harold Sirkin, James Hemerling et Arindam Bhattacharya (ed. Business Plus, 26,99 dollars, 285 p.), à paraître en juin. Les auteurs, consultants du cabinet de stratégie Boston Consulting Group (BCG), avaient déjà recensé les 100 multinationales issues des émergents en train de bousculer l’ordre mondial (Le Monde du 5 décembre 2007).
Dans Globality, ils décrivent les défis que toutes les entreprises du monde devront relever : celui des coûts bien sûr, mais aussi des ressources humaines, du marketing, en ne se contentant plus d’écrémer une frange de clientèle mais en agissant “en profondeur”, de la mobilité et de la rapidité d’action, et bien entendu de l’innovation, en n’hésitant pas à chercher les bonnes idées ailleurs qu’à l’intérieur de l’entreprise. “Les dirigeants des firmes des pays émergents n’ont souvent pas beaucoup d’argent à investir en recherche et développement. Ils sont donc très pragmatiques, très ouverts, envoient leur personnel à l’université si nécessaire, procèdent à des acquisitions sur d’autres continents. Tout le monde peut jouer le jeu”, commentait récemment M. Hemerling. Un jeu qu’il qualifie aussi de “tsunami” et dont on ne sort donc pas toujours vivant.
Avec Le Monde