Les économies de la Chine, de l’Inde, du Brésil et de bien d’autres pays vus autrefois comme sous-développés s’imposent aujourd’hui comme les grandes gagnantes de la mondialisation. Petite radiographie de ces pays émergents…
Qu’est-ce que l’émergence ?
Un phénomène déjà ancien
Ce concept d’émergence s’impose dans l’actualité autant économique que géopolitique ou médiatique ; il traduit tout d’abord un malaise voire une crainte des pays dominant l’ordre mondial de voir leur leadership bousculé. Mais il est plus ancien qu’on le croit généralement : la Grande-Bretagne de la fin du XIXe siècle qui, redoutant l’affirmation – l’émergence – de l’Allemagne (Ernest Edwin Williams, Made in Germany, 1896), se résout à l’Entente cordiale (1904) puis à la Première Guerre mondiale, offre un exemple précoce de ce malaise. Chaque époque a ses émergents.
Une définition assez imprécise
Il est peu aisé de cerner ce qu’est l’émergence. Le politologue Christophe Jaffrelot définit plusieurs critères : une croissance économique forte et durable dans un pays pauvre, un État stable et interventionniste, un désir de participer aux affaires du monde. Le décollage économique repose sur ce que l’historien Claude Chancel identifie comme les cinq « E » (État, éducation, entreprise, épargne, exportation). Ces pays opèrent un rattrapage économique en misant sur de faibles salaires associés à de longues journées de travail dans des secteurs économiques à forte intensité de main-d’œuvre. Ils usent et abusent d’une monnaie sous-évaluée leur permettant d’être plus offensifs à l’exportation. Cette insertion dans la mondialisation leur permet d’accumuler des réserves de change et de faire évoluer la division internationale du travail à leur profit.
Les réformes internes sont importantes : une réforme agraire qui libère la main-d’œuvre pour les besoins de l’industrialisation, une épargne nationale qui finance cet effort, un nationalisme économique qui soude un peuple derrière un pouvoir étatique fort.
Pour définir l’émergence, la sphère financière se réfère à la capitalisation boursière, aux conditions macroéconomiques, à la taille du marché et de ses entreprises, au PIB per capita des pays concernés. Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) retient la croissance des agrégats économiques et la présence de politiques d’ouverture commerciale.
Tigres et dragons d’Asie
La mise en perspective historique permet de mieux appréhender la période que nous vivons. Lors des années 1960, l’émergence du Japon malmène la toute-puissance américaine. La décennie suivante est celle des « dragons » d’Asie : Corée du Sud, Taïwan, Hongkong, Singapour. Leur insertion dans l’économie mondiale est concomitante de la crise-mutation des années 1970 que vivent les pays de l’OCDE*. Cette image des dragons, puis des « tigres » d’Asie est révélatrice du caractère agressif de leur participation active à l’économie mondiale et de la peur suscitée dans les pays développés. C’est le temps de la crise, des délocalisations vers ces pays dynamiques qui progressivement aspirent les emplois peu qualifiés des pays riches et développés. Ainsi, les emplois textiles, de la sidérurgie, de la construction ou de la réparation navale – pour ne citer qu’eux – migrent vers ces pays. Le « miracle asiatique » se construit sur une industrialisation tournée vers l’exportation (avec pour revers la faiblesse de leur marché intérieur) et sur une désindustrialisation occidentale.
En 1981, le financier Antoine van Agtmael distingue des « marchés émergents » dans les pays en développement où le placement de capitaux semble particulièrement attractif. Ce terme est repris par les institutions internationales au cours de la même décennie pour désigner les pays où l’industrialisation est particulièrement rapide. Faut-il avoir peur des émergents ?
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