Dans l’ambiance générale d’informalisation et de criminalisation systématiques du fonctionnement de l’Etat et de la société camerounais de ces dernières années, vient d’être menée – par Patrice Bigombe Logo, l’un des chercheurs les plus pointus et les brillants du domaine – une étude exceptionnelle sur la fraude dans le milieu forestier.
Une étude financée par le Fonds des nations unies pour l’alimentation (FAO), et qui a révélé l’extrême prolifération de pratiques maffieuses dans un domaine d’activité qui représente pourtant, annuellement, le troisième poste d’exportations du pays, en valeur, après le pétrole et le cacao. Le Cameroun compte en effet quelques 22,5 millions d’hectares de forêts, dont à peu près les 3/5ème (c’est-à-dire, pas loin de 17,5 millions d’hectares, selon certains experts) est régulièrement exploité par des entreprises de toutes sortes (surtout étrangères, évidemment : italiennes, françaises, belges et néerlandaises), installées pour une très grande majorité d’entre elles dans cinq régions : l’Est, le Sud, le Centre, le Sud-Ouest et le Littoral. 237online.com En termes macroéconomiques, cette activité pèse pour pas loin de 6 pour cent dans le PIB du pays, c’est-à-dire, dans les 70 milliards de F. CFA de recettes annuelles. C’est donc au cœur de ce dispositif que vient proliférer cette fraude massive, aux expressions multiples, contre laquelle les autorités semblent incapables de lutter depuis de très longues années. On avait pourtant un temps espéré que l’arrivée Philippe Ngolle Ngwesse, ministre en charge de ce domaine dans le gouvernement, pourtant présumé grand commis de l’Etat, aide à rendre le secteur plus lisible. Echec. Au contraire : le rapport Bigombe note, dans la région de l’Est notamment, des irrégularités qui vont de la coupe illégale de bois dans certaines unités forestières d’aménagement aux exploitations non autorisées, en passant à diverses entraves à la législation forestière. On est donc clairement dans l’anarchie : comme dans d’autres secteurs de la vie nationale, chacun fait comme il l’entend et ne rend compte à rien d’autre qu’à son seul compte en banque. Comment dès lors penser l’avenir, dans un tel contexte ? Comment faire en sorte qu’il soit possible, demain, de faire en sorte que l’Etat exerce sur ce secteur, une autorité qui lui permet de l’organiser et, bien sûr, d’en tirer des recettes abondantes et sécurisées, pour la vie collective ? Les réponses ne sont évidemment pas simples à articuler. De nombreux intervenants tant nationaux qu’étrangers produisent du savoir dans ce domaine (de nombreuses Ong et un grand nombre d’experts), sans pour autant que transposition avantageuse ne soit faite de ce savoir dans l’amélioration concrète des pratiques de gouvernance en vigueur. L’une des étapes-clés, attendue de longue date par tous les acteurs désireux de voir s’établir de nouvelles normes, participe certainement de l’inventaire qui est actuellement en cours – sur financement japonais – pour que chacun de nous soit enfin capable de dire exactement ce qui, dans ces 22,5 millions d’hectares est réellement exploité et avec quelle ampleur. Portrait à l’issue duquel il sera alors possible de dire, de façon encore plus précise, où sont situées les quelques 105 concessions forestières actuellement exploitées (quasi toutes par des entreprises étrangères), quelles communes possèdent les 300 titres communaux disponibles et qui, parmi les nationaux, est réellement autorisé à effectuer de la vente de coupe artisanale. Trois catégories d’intervention dans l’espace forestier qui devront sans doute, elles-mêmes être revues, pour qu’en fin de compte, apparaissent les premiers indices de réorganisation d’un secteur qui, devant les yeux de tout le monde, fonce tout droit vers la dérive.
Serge Alain Godong