Des hôtels qui s’ouvrent à un rythme soutenu et des projets à foison : l’Afrique est devenue le continent de tous les possibles pour les groupes hôteliers. Avec, à destination des voyageurs d’affaires, des resorts urbains empreints de culture locale
Eldorado, nouvelle terre à conquérir, continent de demain… Les qualificatifs élogieux ne manquent pas pour illustrer la confiance dans le devenir africain. Un futur prometteur qui attire toujours plus de voyageurs d’affaires et, effet boule de neige, nécessite toujours plus d’hôtels pour les recevoir. Les grandes marques business ne manquent pas de saisir ces opportunités pour étoffer leur portefeuille. En 2014 déjà, le groupe américain Marriott avait frappé un grand coup en rachetant le leader de l’hôtellerie au sud du Sahara, le sud-africain Protea, fort de 116 hôtels dans son pays d’origine, mais aussi au Nigeria, en Tanzanie et en Ouganda entre autres. “Cette acquisition nous a permis de devenir le plus grand acteur international du continent, explique Alex Kyriakidis, directeur général Afrique et Moyen-Orient de Marriott. Nous opérons actuellement près de 140 hôtels dans 21 pays. Et nous avons plus de 60 hôtels en développement afin d’atteindre les 200 établissements en exploitation ou en projet au cours des cinq prochaines années.”
Les établissements de chaînes ne représentant que 10 % de l’offre pour l’ensemble du continent, et à peine plus de 5 % en Afrique subsaharienne, le développement hôtelier tourne dès lors à plein régime. En dix ans, les projets d’hôtels sont passés de 144 établissements à 418 aujourd’hui. “Le pipeline a augmenté de 148 % depuis 2009”, recense Trevor J Ward, directeur général du W Hospitality Group, dans l’étude annuelle de son cabinet de conseil sur l’hôtellerie en Afrique.
“Sébastien Bazin, notre pdg, estime que l’Afrique est, de très loin, le continent qui présente les plus belles opportunités d’évolution sur les 20 prochaines années”, remarque Olivier Granet, directeur général Afrique et Moyen-Orient d’AccorHotels. Dont acte. Après avoir noué en début d’année un partenariat avec le groupe sud-africain Mantis, spécialisé dans les boutiques hôtels et les écolodges luxueux, l’hôtelier français a créé fin juillet, en compagnie de Katara Hospitality, un fonds doté d’une capacité d’investissement supérieure au milliard de dollars. Des moyens conséquents donc, et qui seront affectés à la construction de nouveaux hôtels ainsi qu’à l’acquisition d’établissements existants. Une quarantaine d’hôtels devrait découler de cette manne providentielle.
Autre acteur mondial très impliqué en Afrique avec 86 hôtels ouverts ou en projet, Radisson entend lui aussi proposer un hôtel d’affaires dans chaque grande métropole du continent. Après être apparu entre autres à Kinshasa, Libreville, Lusaka ou Kigali, au Rwanda, avec un hôtel adossé à un centre de conférences parmi les plus impressionnants du continent, le groupe s’apprête à accrocher un trentième pays à son tableau de chasse – le Cameroun – avec un Radisson Blu à Douala, attendu en 2019. “Une fois ouvert, ce sera le meilleur produit haut de gamme du centre financier camerounais, estime Andrew McLachlan, vice-président senior du développement pour l’Afrique et l’océan Indien du groupe.
L’émergence de nouveaux quartiers business encourage en effet les ouvertures. Hilton, qui compte doubler sa présence en Afrique avec un parc d’une centaine d’établissements en perspective, prépare un quatrième hôtel à Nairobi, dans le quartier de Upper Hill. “En quelques années, Upper Hill est devenue une plaque tournante pour les entreprises et les organisations internationales en accueillant un certain nombre d’ambassades ou les bureaux régionaux de Cisco, de la Banque mondiale et du FMI”, présentait Patrick Fitzgibbon, vice-président senior du développement de Hilton Worldwide pour la zone EMEA. L’emplacement de l’hôtel est révélateur des hautes ambitions d’un pays tourné vers l’innovation et les nouvelles technologies : la tour Pinnacle, ni plus ni moins que le futur plus haut gratte-ciel d’Afrique avec 330 mètres, d’où les voyageurs pourront contempler au réveil la capitale kényane et la savane environnante et, par temps clair, les neiges du Kilimandjaro.
Ce boom hôtelier de l’Afrique subsaharienne s’appuie sur des données économiques tangibles : une population de 1,2 milliard d’habitants aujourd’hui et 2,5 milliards en 2050, des ressources naturelles à foison, des infrastructures aéroportuaires, ferroviaires et routières de plus en plus performantes et, surtout, des taux de croissance du PIB flirtant allègrement avec les 10 %. “Les économies africaines sont poussées principalement par une forte demande intérieure et par l’amélioration de la gestion macroéconomique et de la stabilité politique, décrit Alex Kyriakidis, du groupe Marriott. A cela s’ajoute la croissance rapide de la classe moyenne sur le continent.”
Une foule d’entrepreneurs jeunes et ambitieux porte en effet la nouvelle dynamique africaine. Plus encore que les voyageurs d’affaires internationaux, c’est cette génération connectée, ouverte sur le monde et les nouvelles tendances, qui invite à revoir l’esprit de l’offre hôtelière. “Aujourd’hui, à travers notre réseau d’une centaine d’hôtels, 60 % de nos clients sont issus de flux intra-pays ou intra-régionaux. La clientèle émergente africaine a une vraie attente en matière de marques et d’expériences, souligne Olivier Granet. L’image des établissements business est en train d’évoluer très fortement. On commence à voir des brunchs organisés en fin de semaine, la clientèle locale venir dans les hôtels pour des événements culturels, le développement d’expériences loisirs pour favoriser les courts séjours.”
Et le dirigeant d’AccorHotels de prendre pour exemple la récente rénovation du Pullman Dakar ou encore celle du Pullman Abidjan qui sera achevée d’ici la fin de l’année : “vous trouvez dans ces établissements les standards de qualité et le confort propre à cette marque affaires avec, en plus, une âme africaine grâce à une connexion avec les artistes et la culture locale.” Bref, de la vie, tout ce qui fait en somme l’hôtellerie d’aujourd’hui, autour de lobbys animés et de restaurants et bars trendys.
Nouveaux resorts urbains
Aux voyageurs d’affaires long-courriers qui n’ont pas toujours l’occasion d’apprécier la richesse de la culture locale entre deux avions, cette évolution vers de vrais resorts urbains offre l’assurance d’être plongé dans la réalité de leur destination tout en s’accordant quelques moments de détente au bord de piscines paysagées. “Nous recevons une clientèle à 95 % business, constituée d’investisseurs et d’entrepreneurs, mais aussi de diplomates, décrit Vincent Bergmann, directeur général du Hilton N’djamena, ouvert il y a deux ans dans la capitale tchadienne. Ces professionnels ne viennent pas pour 24 heures, mais passent souvent le week-end sur place. C’est pourquoi nous avons une offre de services très large avec des salles de réunions, un business center, du WiFi de qualité, mais aussi une vraie dimension loisirs avec une très belle piscine extérieure, un centre de remise en forme et un spa.”
Effet stimulant de la concurrence, les nombreux développements en cours dans les capitales africaines poussent les établissements historiques à se réinventer. Inauguré en 1973, le Pullman Dakar a dû faire face à l’ouverture de nouveaux hôtels haut de gamme comme le Terrou Bi et le Radisson Blu, implantés dans la capitale sénégalaise à la fin de la dernière décennie dans la foulée du sommet de l’Organisation de la conférence islamique, en attendant probablement un InterContinental. “Afin de continuer à faire la course en tête, nous avions besoin de renouveler l’offre et de proposer de nouvelles prestations et expériences à nos clients, du raffinement, une touche d’art et d’exotisme”, expliquait Daniel Karbownik, directeur Sénégal et Côte d’Ivoire d’AccorHotels, à la réouverture de l’hôtel fin 2017.
Retour du glamour
Il semble bel et bien révolu, le temps des grands hôtels défraîchis à force d’avoir été trop bien remplis, profitant d’une rente de situation à travers un flux continu d’hommes d’affaires internationaux et d’équipages aériens. À Lomé, l’Hotel 2 Février, hébergé depuis 1980 dans le plus haut gratte-ciel de la capitale togolaise, a par exemple regagné son standing après une rénovation plus que nécessaire et porte désormais l’enseigne business The Address, du groupe dubaiote Emaar. De son côté, l’Hôtel Ivoire d’Abidjan, véritable légende de l’hôtellerie africaine avec sa piscine, son casino, son palais des congrès et, surtout, sa patinoire, la seule du continent, a retrouvé son atmosphère glamour de manière, là aussi, contrainte et forcée.
Construit dans les années 60, du temps du miracle ivoirien fondé sur le café-cacao, l’hôtel et son emblématique tour dessinée par l’architecte Moshe Meyer était tombé en déshérence. La marque InterContinental avait abandonné la gestion du complexe en 2002, avant que l’hôtel ne soit l’un des principaux théâtres de la crise ivoirienne en 2004. à force de travaux, l’hôtel s’est relevé de ses cendres pour entrer en 2012 dans la collection des hôtels Sofitel. Que la marque de luxe française soit apposée sur l’un des plus beaux hôtels d’Afrique de l’Ouest n’est, en soi, pas une surprise. AccorHotels est logiquement plus représenté en Afrique francophone, tandis que les hôteliers anglo-saxons se sont eux implantés de préférence en Afrique de l’Est et du Sud.
Cependant, les groupes hôteliers cherchent aujourd’hui à sortir de leur zone de confort héritée de l’époque coloniale. “En plus d’une présence significative au Nigeria, nous avons ouvert le Sheraton Grand Conakry, en Guinée, en 2016 et, plus récemment, le Sheraton Bamako au Mali et un Marriott à Accra, au Ghana, liste Alex Kyriakidis. Avec des hôtels en développement au Bénin, en Côte d’Ivoire, en Mauritanie et au Sénégal, l’Afrique de l’Ouest présente un grand potentiel.” De son côté, Olivier Granet estime, au nom d’AccorHotels, que, “si nous comptons renforcer notre leadership au Sénégal et en Côte Ivoire, accélérer de façon significative notre développement en Afrique de l’Est et du Sud devient une priorité. Dans toute cette zone, nous avons pour l’instant un peu de retard par rapport à nos concurrents anglo-saxons.”
Mouvement de balancier
À côté de ce mouvement de balancier, un autre défi s’impose aux groupes hôteliers : la diversification de leur offre. Selon le cabinet d’études Jones Lang LaSalle, alors que leurs enseignes haut de gamme sont présentes dans la plupart des métropoles du continent, l’heure est venue pour l’hôtellerie milieu de gamme et économique de sortir ses griffes. “Trop d’hôtels haut de gamme ont ouvert par rapport à la demande, ce qui entraîne une saturation du marché des hôtels quatre et cinq étoiles dans de nombreuses villes”, remarque Xander Nijnens, vice-président exécutif de Jones Lang LaSalle Hotels & Hospitality pour l’Afrique.
Si une dizaine d’Ibis et Ibis Styles comme de Park Inn by Radisson ont déjà vu le jour sur le continent, alors que la marque Hilton Garden Inn est attendue à Lusaka, en Zambie, et qu’un Aloft s’implantera en 2019 à Maurice dans un ancien immeuble de bureaux du quartier d’affaires de Port Louis, il reste sans doute une très large place pour les concepts innovants à prix doux ; les Moxy, Citizen M ou Mama Shelter, toutes ces enseignes contemporaines qu’ont pu connaître et apprécier plébiscitées les voyageurs d’affaires européens. D’autant que ces hôtels, attractifs pour la clientèle émergente locale, sont aussi en phase avec les politiques voyages des entreprises qui trouveraient ainsi à loger leurs collaborateurs dans des hôtels milieu de gamme, comme ils en ont l’habitude en Europe.
Reste que sur ce terrain-là, les leaders mondiaux se frottent aux ambitions de plusieurs acteurs 100 % africains, souvent moins connus des voyageurs d’affaires, mais qui ont développé des réseaux d’hôtels trois-quatre étoiles de qualité dans les capitales d’Afrique de l’Ouest, à l’image du groupe malien Azalaï ou d’Onomo Hotels. Ce dernier marie confort contemporain et art de vivre africain, fait rimer économique, chic, technologique et écologique avec une architecture durable inspirée du savoir-faire et des traditions locales. Quant au groupe Mangalis (voir interview), il se plaît à faire comme les grands, avec une approche multi-marques à travers ses enseignes Noom sur le haut de gamme, Seen sur le milieu de gamme et Yaas pour ce qui est de l’économique tendance lifestyle.
Le lifestyle justement. C’est peut-être ce qui manque encore au continent. Si de beaux resorts urbains d’allure contemporaine accueillent aujourd’hui les voyageurs, rares sont encore les hôtels de charme, exception faite de l’Afrique du Sud. Certes, l’urbanisme des capitales africaines, largement bétonnées, ne s’y prête guère. Nairobi fait pourtant figure de cas à part. Avec leur parti-pris design et arty, les Tribe et Trademark, membres des Design Hotels, y côtoient l’Hemingways, un Small Luxury Hotel entouré de verdure, tandis que la chaîne volontaire Preferred Hotels, compte deux beaux établissements, le Sarova Stanley, ouvert en 1902 et doyen de l’hôtellerie kényane, et les Sovereign Suites. Un parc luxuriant, un lac, 14 suites spacieuses de style colonial : l’ensemble diffuse une image intemporelle, très Out of Africa. Bien à l’écart du bourdonnement frénétique de l’Afrique d’aujourd’hui.