Après avoir été désertée par les expatriés pendant les années de troubles politiques, la métropole ivoirienne est en train de se refaire une réputation : centre africain du style, de la modernité et nouvel eldorado des affaires en Afrique de l’ouest, Abidjan croit en sa destinée.
Revoici la « Babi » préférée des Ivoiriens. Ce surnom affectueux donné à Abidjan, la cité des bords de la lagune Ebrié, est devenu le symbole d’une métropole en pleine résurrection, vibrante de l’incessante activité de ses presque huit millions d’habitants. Un lieu pour les comblés du développement comme pour les délaissés, où se croisent aujourd’hui dans un continuel chassé-croisé des expatriés et des Ivoiriens de retour au pays, la tête pleine de rêves entrepreneuriaux.
Il faut dire qu’après la parenthèse d’une décennie de troubles politiques, celle que l’on baptisait « le Paris de l’Afrique de l’Ouest » a bien relevé la tête depuis 2011, décidée à aligner ses atouts dans une région en pleine expansion. Forte industrialisation, urbanisation galopante, présence des grandes banques internationales, mais aussi de la BRVM – la bourse régionale des valeurs mobilières –, siège de la Banque Africaine de Développement (BAD) : Abidjan, premier port en eaux profondes d’Afrique de l’Ouest, est sur tous les fronts pour réaliser son ambition de rester et demeurer le principal centre d’affaires de la région.
Premier succès : le tourisme. Le pays se repositionne comme la troisième destination business en Afrique, après le Nigéria et le Maroc. La Côte d’Ivoire séduit un nombre croissant de voyageurs depuis 2014. La contribution du secteur a atteint plus de 7,5 % du PIB en 2016 et devrait poursuivre une croissance sereine ces prochaines années. La capacité hôtelière des deux grandes villes du pays – Abidjan, sa principale porte d’entrée, et Yamoussoukro, sa capitale – est estimée à plus de 3500 chambres (3 étoiles et plus), mais devrait doubler de taille d’ici 2025. De nouveaux projets hôteliers – Sheraton, Ritz Carlton, Novotel entre autres – sont en train de voir le jour à Abidjan.
Pour canaliser les investissements du secteur, le ministère du tourisme a annoncé la création de deux fonds, dont un souverain qui fonctionnera comme une garantie des prêts ou emprunts destinés aux projets d’infrastructures touristiques. D’ores et déjà, Abidjan a remporté une première palme : l’organisation, en novembre 2017, du cinquième sommet Union Africaine-Union Européenne. Des assises auxquelles ont pris part plus de 80 chefs d’États et de gouvernement et plus de 5 000 participants, tous logés dans les complexes hôteliers de la ville.
Car personne n’ignore plus qu’au-delà de sa tête de pont, Abidjan, c’est une puissance africaine émergente de plus de 20 millions d’habitants qui s’annonce au visiteur d’affaires. La Côte d’Ivoire, premier producteur mondial de cacao et septième de café, bénéficie depuis 2012 d’une croissance remarquablement stable, au dessus de 7 %. Une régularité qui impressionne les observateurs et les investisseurs. Le stock d’investissement français dans le pays a d’ailleurs augmenté de 50 % par an entre 2011 et 2015, alors que la France, deuxième fournisseur du pays, compte une centaine d’entreprises établies en Côte d’Ivoire.
Les institutions internationales ne s’y trompent pas. Le pays qui était à la 167e place du classement « Doing Business » de la Banque mondiale en 2012 a régulièrement progressé pour se positionner cette année à la 139e place, en raison notamment de sérieux progrès en matière d’obtention de permis de construire. Les années précédentes, le gouvernement s’était attaché à améliorer les piliers de gouvernance et de transparence, y compris dans le renforcement de la législation des contrats d’affaires et des liquidations d’entreprises. Un programme gouvernemental est en cours de réalisation pour numériser les procédures de douanes pour l’import-export et les rassembler en un guichet unique.
Face à ces progrès, les bailleurs de fonds sont tout aussi optimistes. La France a promis deux milliards d’euros de crédits à taux privilégiés, notamment pour financer le métro d’Abidjan. De leur côté, les États-Unis ont octroyé une aide de 500 millions de dollars afin d’aider à combattre la pauvreté et à stimuler la croissance. La Côte d’Ivoire a aussi collecté sans difficulté 1,25 milliard de dollars et 625 millions d’euros en euro-obligations (eurobonds). Et le FMI continue à débourser par tranches les 899,2 millions de dollars prévus au titre de ses programmes de crédit.
L’embellie n’est cependant pas sans nuages. Le pays est très dépendant du cacao, une filière qui fait vivre six millions de personnes. Or, la baisse des cours depuis 2016, d’origine spéculative, a fait grincer les dents des planteurs qui ont vu baisser les prix garantis. A l’échelle de l’économie ivoirienne, le choc a été rude, d’autant qu’il s’est accompagné d’une certaine grogne des fonctionnaires et de mutineries dans l’armée. Une atmosphère de fronde qui a fini par peser sur les comptes de l’État.
Abidjan à la croisée des chemins
Dans un récent rapport consacré à l’économie ivoirienne, “Aux portes du paradis”, la Banque mondiale observe que “le gouvernement a dû intégrer les dépenses supplémentaires accordées pour répondre aux revendications de certains groupes dans l’armée et dans le secteur public”. D’où un déficit budgétaire légèrement augmenté à 4,7 % du PIB. Heureusement, le pays a aussi connu de très bonnes récoltes et a vu la valeur de ses exportations agricoles augmenter, en raison de la croissance des prix de plusieurs matières premières sur les marchés internationaux.
Le pays est maintenant à la croisée des chemins entre le sous développement et la véritable émergence économique. Avancer ne sera pas facile. Plus de 45% des Ivoiriens vivent encore au-dessous du seuil de pauvreté et il existe un déficit crucial de compétences, conséquence implacable des années de crise et de l’abandon du système éducatif. Une génération entière s’est élevée seule, inventant même dans les rues d’Abidjan le « nouchi », un langage familier issu du Français et des langues utilisées dans le pays.
Pour préparer le futur, la Banque mondiale suggère d’accélérer la transformation économique en misant sur les nouvelles technologies à travers des investissements directs étrangers qui peuvent favoriser les transferts technologiques. La Côte d’Ivoire cherche à augmenter son attractivité et s’est déjà engagée dans un projet national Fibre Optique, un chantier sous la houlette de Bouygues, SagemCom et Cegelec Maroc qui vise à déployer un réseau de 7000 km de fibre. Un fond national de l’innovation a aussi été créé pour soutenir la numérisation du secteur privé.
Sur les bords de la lagune d’Abidjan, dans l’un des maquis, ces petits bars- restaurants de plein air où les habitants de Babi aiment se retrouver autour d’un verre, tous ces projets paraissent encore lointains. La ville est une étonnante contradiction entre des intérêts économiques puissants et la recherche obstinée d’une identité culturelle africaine originale. D’un côté, les immeubles emblématiques du Plateau, l’imposant quartier des affaires, que l’on appelle parfois « le Manhattan africain » et les richissimes villas derrière leurs murs sécurisés des quartiers chics de Marcoury ou de l’île Boulay ; de l’autre, les masures des quartiers populaires ; et entre les deux, ces espaces où tout reste possible pour les jeunes entrepreneurs, artistes ou développeurs. Babi dans toute sa simplicité.
Avec : voyages-d-affaires