Pays le plus peuplé d’Afrique avec près de 170 millions d’habitants, le Nigéria devrait, selon toute vraisemblance, devenir sous peu la première économie du continent.
Immense et chaotique. La ville de Lagos illustre à elle seule tout le potentiel, mais aussi toutes les faiblesses du Nigéria. Selon la banque d’investissement Renaissance Capital, le pays, dont la fortune s’est construite sur la richesse en hydrocarbures des fonds du golfe de Guinée, dépassera bientôt l’Afrique du Sud au rang de première puissance du continent. Le Nigéria connait en effet une croissance de 7% par an. Mais pour le moment, le long de la lagune bordant sa capitale économique, ce sont les bidonvilles sur pilotis qui s’alignent. Et son quotidien est fait de coupures de courant régulières et d’embouteillages monstres. Des « go slow », selon l’expression locale, tellement dantesques qu’on n’ose guère y prévoir plus d’une réunion par jour en dehors de ses bureaux. Lesquels on quitte rarement sans bonne escorte, policière ou privée, pour se rendre à l’aéroport ou dans les quartiers périphériques.
Que serait devenue cette mégapole tentaculaire d’au moins 15 millions d’habitants si le pouvoir politique n’avait pas déménagé de Lagos à Abuja il y a une vingtaine d’années pour justement éviter la pression démographique, tout en ménageant les susceptibilités inter-ethniques et les tensions entre le Sud chrétien et le Nord musulman ? On l’imagine à peine. Et pourtant Lagos se prépare au doublement de sa population d’ici une génération. Comme le Nigéria tout entier qui pourrait, selon l’ONU, atteindre les 400 millions d’habitants en 2050, contre 170 aujourd’hui.
Ce marché faramineux fait rêver plus d’une entreprise, qu’elle soit européenne, américaine ou chinoise. Pour certains observateurs, Lagos sera même LA ville de demain, phare de l’ “african dream” où se matérialiseront tous les espoirs d’une région subsaharienne en plein essor. Et c’est vrai que, du haut des tours du quartier d’affaires de l’île de Victoria, la plaque tournante du business nigérian se rêve en nouvelle New York, en ville visionnaire et innovante. Intellectuelle et arty, Lagos cultive une scène musicale bouillonnante qui anime jusqu’au bout de ses nuits les districts aisés de Ikoyi et de Victoria Islands. Tirée par quelques milliardaires et une jeunesse aisée, la consommation explose, aussi bien pour des produits de grandes marques internationales que pour les réalisations de designers locaux.
Sans doute à raison, Lagos entrevoit un futur brillant. Mais ces lendemains qui chantent dépendent aussi du rythme auquel le Nigéria va réussir sa mue. Car, depuis que le pétrole a été découvert dans le delta du Niger dans les années 70, le pays s’est reposé sur cette manne, en tirant la quasi intégralité de ses revenus. Sans grand bénéfice pour une population qui, pour moitié, vit avec moins d’un dollar par jour… Autre paradoxe : le pays, 12e producteur de barils de brut au monde, importe une large part de son carburant raffiné en l’absence d’usine ad hoc. Une incongruité qu’Aliko Dangote, l’homme le plus riche du continent, entend conjuguer au passé en finançant à hauteur de 3 milliards de dollars ce qui devrait être la plus grande raffinerie d’Afrique, attendue pour 2016 au nord de Lagos.
Les chantiers sont nombreux dans un pays biberonné aux pétrodollars et qui a délaissé des pans entiers de son économie. L’agriculture, bien qu’employant plus de la moitié de la population et constituant plus de 40% du PIB, est encore rudimentaire. Ancien grenier à blé de l’Empire britannique, le Nigéria dépense chaque année près de 11 milliards de dollars en importations agricoles – notamment du riz et du blé – alors même que « les données de base – surface des terres, fertilité, climat – laissent entrevoir un potentiel majeur, actuellement gravement sous-exploité », comme le note le Trésor français. Partant de là, le ministre de l’agriculture Akinwumi Adesina compte inverser la tendance en soutenant les rendements pour réduire la dépendance du pays.
Lui aussi complètement dépassé, avec des installations vétustes, le secteur électrique national a été privatisé en fin d’année dernière, ce qui laisse présager une amélioration dans les années à venir pour nombre d’industries pénalisées par une absence de courant chronique. Dès lors, le textile, la sidérurgie, l’exploitation minière ou l’automobile, avec 40 millions de véhicules estimés en 2020 contre 8 aujourd’hui, devraient en profiter pour repartir de l’avant. Pour soutenir cette expansion, des infrastructures de qualité, aussi bien pour le transport de marchandises que de personnes, sont également stratégiques. Aussi, parmi les améliorations en cours, la Nigérian Railway Corporation réhabilite-t-elle la ligne de train entre Port-Harcourt, la cité pétrolière, et Makurdi, au centre du pays. Et cela après avoir récemment rouvert, après 17 ans d’inutilisation, celle qui relie Lagos à Kano, la grande ville du nord du pays.
Si, grâce à son pétrole, le Nigéria fait déjà partie des pays émergents, son devenir est encore largement en friche et les débouchés y sont légion. En conséquence, les investissements directs étrangers affluent. Sur les trois dernières années, ils se sont élevés à 20 milliards de dollars, soit un dixième des investissements réalisés sur le continent. « Celui qui n’est pas au Nigéria n’est pas en Afrique. Cette formule de la ministre des Finances, Mme Ngozi Okonjo-Iweala, je la fais mienne », a dit Nicole Bricq en septembre 2013 lors de son passage à Abuja.
La ministre du Commerce extérieur s’est rendue dans la capitale fédérale avec un objectif clair : redonner du tonus aux échanges franco-nigérians. Une ambition soutenue par la visite fin février dernier de François Hollande à son homologue nigérian Goodluck Jonathan. Car, de 5 % au début des années 2000, la part de marché française est en effet retombée à 3,5 % en 2012. Ce qui n’empêche pourtant pas le Nigéria d’être le premier partenaire économique de la France en Afrique subsaharienne.
La ministre française ambitionne de retrouver d’ici quatre ans le niveau atteint autrefois à travers une augmentation de 50 % du nombre des entreprises françaises exportatrices. En plus des grandes multi-nationales hexagonales déjà présentes – Bolloré ou L’Oréal ont récemment rejoint Total, Lafarge, Alstom ou Schneider –, la ministre encourage les PME actives dans l’agro-alimentaire, la chimie ou les cosmétiques à se pencher sur le cas Nigéria. D’autant que la demande intérieure est forte avec une population jeune (70 % ont moins de 30 ans) et une classe moyenne estimées à 30 millions de personnes. BTP, production électrique, environnement… « Le potentiel de l’économie nigériane est un secret trop bien gardé ! », expliquait récemment le milliardaire Aliko Dangote au magazine Jeune Afrique . « Ici, un investisseur peut bénéficier d’incitations attractives« , ajoutait-il.
Autres éléments positifs, le Nigéria a des finances solides avec une devise, le naira, relativement stable et un secteur bancaire réformé en 2009. Depuis la fin du régime militaire du général Abacha en 1998, le pays connaît en parallèle une certaine constance politique. Largement majoritaire, le parti démocrate populaire (PDP) a enchainé les victoires, même si l’opposition à Goodluck Jonathan, qui finit son mandat en 2015, se structure. Point également favorable : le pays, après avoir longtemps dilapidé les fruits de la rente pétrolière, a mis en place un fonds souverain qui devrait être opérationnel début 2014 afin de soutenir les secteurs stratégiques. Une nouvelle gouvernance semble aussi lentement se mettre en place, longue et difficile marche illustrée par la ministre des Finances Ngozi Okonjo-Iweala dans son livre Reforming the Unreformable.
Mais, comme nombre de pays émergents, le Nigéria a aussi ses parts d’ombre. Selon la Coface, « le pays souffre de l’inefficacité de son administration. » Et la corruption est un fait réel, Transparency International classant le pays au 143e rang mondial sur 180. Pour sa part, la Coface délivre au Nigéria la note D, la plus basse, dans son analyse du risque pays. Exemple frappant de cet écueil, le détournement de pétrole fait rage et profite à une flopée d’intermédiaires, politiciens et professionnels du secteur. Selon un rapport du think-tank Chatham House publié en 2013, celui-ci représenterait pas loin de 100 000 barils par jour, soit près de huit milliards de dollars par an.
L’autre point noir, c’est évidemment l’insécurité. Sources de rançons juteuses, les enlèvements sont monnaie courante dans le delta du Niger ainsi qu’à Lagos. Un vrai fléau qui touche aussi bien les expatriés que les riches Nigérians, et jusqu’à l’archevêque du pays Ignatius Kattey, les kidnappeurs ne craignant pas de s’attirer les foudres divines. Selon NYA Inter-national, le pays enregistre 27 % des tentatives de kidnapping dans le monde, loin devant le Mexique (10 %) et le Pakistan (7 %). Beaucoup plus inquiétant, le groupe jihadiste Boko Haram vampirise le Nord-Est du pays, plongé dans une quasi guerre civile. Ce qui dévoile un autre secteur économique porteur au Nigéria : les compagnies privées de sécurité…