Pratique taboue, ses bienfaits sont pourtant avérés. Quelques entreprises françaises ont osé lui dédier des espaces.
Malgré ses attraits évidents, la sieste, qu’elle soit micro, éclair ou royale, est perçue en France comme du temps volé à la journée de travail. « Dans notre culture, la sieste est discréditée et considérée comme une perte de temps », confirme le docteur Eric Mullens, somnologue et auteur d’Apprendre à faire la sieste (Ed. Trédaniel, 2009). Les dictionnaires Larousse et Robert accueilleront pourtant à bras ouverts le verbe « siester » dans leur édition 2016, qui prêtera désormais main-forte au « petit somme » et autre « roupillon ».
Si la sieste cohabite volontiers avec petite enfance, congés et retraite, elle fait désordre sur le lieu de travail. Et ce même si s’assoupir après le déjeuner semble être un bon moyen de récupérer avant de mettre les bouchées doubles dans son activité. Des études plaident d’ailleurs en faveur de la sieste. Plus d’un Français sur trois se dit en déficit de sommeil et siester permet de combler à moindre coût cette « dette ». Cette pause contribue à minimiser stress, sautes d’humeur et manque de concentration. Elle augmente même la créativité et la productivité – de 35 % selon une étude de la Nasa –, accroît les capacités d’apprentissage et réduit les risques d’accidents de la circulation ou du travail.
Un défenseur nommé Jacques Chirac
Comme le soulignait Jacques Chirac, dans sa préface d’Eloge de la sieste, de Bruno Comby, « notre humour populaire aime à railler la sieste et ceux qui la pratiquent ». L’ancien président de la République ajoutait qu’il trouvait « maladroit de confondre sommeil et paresse » et vantait les mérites de « cette recette d’équilibre à la portée de tous ». Malgré les louanges des études scientifiques et les pratiques assidues d’illustres émules parmi lesquels André Gide, Napoléon, Winston Churchill ou Léonard de Vinci, la sieste n’est toujours pas la bienvenue en entreprise. « Elle est un aveu de faiblesse », estime Christophe Chanhsavang, créateur du ZZZen à Paris, bar à sieste situé dans le quartier de l’Opéra. S’adonner à une sokète (sieste en wallon), « c’est se mettre hors du jeu social », poursuit le philosophe Thierry Paquot. « Il est scandaleux que l’homme ne dorme qu’une fois par jour alors que 90 % des mammifères s’accordent au moins deux sessions de sommeil par jour », explique-t-on sur le site The Nap Concept, qui a pour objectif de démocratiser la sieste au travail.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2008, 30 % des 25-45 ans avouaient faire la sieste en semaine (BVA/Inpes). Selon l’Institut national du sommeil et de la vigilance, 19 % des salariés reconnaissent qu’ils s’assoupissent ou s’endorment au travail (étude réalisée 2014). D’ailleurs, sur Internet, les « tuyaux pour faire la sieste au bureau sans se faire pincer » abondent.
A défaut d’une « siesteria », les actifs se replient sur des couches de fortune : le lit spartiate de l’infirmerie, le canapé de seconde main au beau milieu de l’open space, la banquette arrière de l’automobile stationnée au sous-sol ou encore l’abattant des toilettes, cité (et sollicité) par 5 % des 21 000 Européens sondés par le site Monster.fr.
« Je la ferais volontiers à même le sol s’il le fallait. Mais les parois de mon bureau sont vitrées et la posture inconfortable », explique Sidonie, adepte de la sieste au boulot qui travaille dans une entreprise ayant inauguré une salle destinée à cela début 2015. Sidonie, qui tient à conserver l’anonymat, confie : « De ce lieu, on ne parle pas. Ce n’est pas un sujet de discussion entre collègues. »
Si la machine à café est un incontournable, seule une poignée d’entreprises ont instauré une « siesteria » digne d’accueillir les moments de torpeur de leurs salariés. « En France, quand on veut offrir du bien-être aux salariés, on rajoute une machine à café et on augmente le budget du Comité d’entreprise, raille Antoine Mallet, gérant de ColorInside, société orléanaise qui aménage, entre autres, des salles de sieste en entreprise. « Les choses avancent, mais on a encore du pain sur la planche », poursuit-il. En 2014, 64 % des directeurs ou responsables administratifs et financiers interrogés par le cabinet de recrutement Robert Half France étaient favorables à une sieste de moins de 20 minutes, laissant les 36 % restants la qualifier de « farfelue ». La sieste fait son chemin dans les esprits… mais reste confidentielle sur le terrain.
Des entreprises françaises s’y mettent
« J’ôte mes chaussures puis je me dépêche de fermer la porte, raconte Sidonie. Je viens avec mon étole que je glisse sous ma tête et je m’abandonne… » Le respect des lieux tombe sous le sens. L’évocation des ronflements du voisin – patron ou collègue – laisse indifférent. « Dans ce lieu, on ne lèse et on ne gêne personne », estime cette adepte d’une pause « appréciable ».
Depuis 2011, l’agence de création de sites web Novius, à Villeurbanne, consacre une dizaine de ses mètres carrés à une salle de sieste, une pièce aveugle où poufs et lumière tamisée accueillent ses 26 salariés. « Il arrive qu’elle soit complète, explique Antoine Hébert, directeur marketing qui l’utilise plusieurs fois par semaine, à l’instar du PDG de l’agence, qui en est à l’initiative. Le premier arrivé est le premier servi. »
Chez Léa Nature, société de fabrication de produits biologiques située à Périgny (Charente-Maritime), les 450 salariés peuvent profiter d’une « salle zen » de 40 m2. Des transats, séparés par des paravents, ont été mis à leur disposition. Créée à la demande du Comité d’entreprise en 2013, cette pièce de repos « est ouverte à tous les collaborateurs, hors du temps de travail, sur les temps de pause obligatoires non rémunérés soit, un quart d’heure entre 10 heures et 11 heures, le même créneau entre 15 heures et 16 heures et, sur la pause méridienne, de midi à 14 heures, dans la limite d’une heure trente », indique Mireille Lizot, directrice de la communication institutionnelle de l’entreprise.
Chez Orange, à Meylan (Isère), c’est à la demande de la médecin du travail, Monique Fraysse-Guiglini, qu’un « espace de calme » a été créé. « J’ai dû me montrer très convaincante pour l’instaurer », indique-t-elle. Aujourd’hui, bénéficier de cette « respiration utile » se mérite et il faut parfois se montrer patient pour que l’un trois poufs mis à disposition des salariés se libère.
Un business naissant
A défaut de « siesterias », des alternatives externes à l’entreprise s’offrent aux adeptes de la sieste prêts à mettre la main à la poche. ZZZen à Paris, My Cup of time à Lyon, Au petit répit d’Isana à Belfort… Ces bars à sieste proposent de la faire, à la demande et sans complexe, moyennant 5 à 27 euros. Les formules et le confort varient selon les établissements : microsieste ou royale, en bulle individuelle ou en espace partagé, dans un hamac ou un fauteuil apesanteur, sur un matelas à eau ou un lit massant de Shiatsu… « Ce n’est pas un simple dortoir, estime M. Chanhsavang, qui accueille une clientèle assidue de cadres et d’employés chez ZZZen depuis 2013. Ce concept, adapté à nos modes de vie agités, consiste à se mettre volontairement dans une bulle. Et j’ai le sentiment qu’on est de plus en plus disposé à reconnaître l’intérêt de cette escale. La sieste a tout d’une activité normale et n’est pas réservée aux seuls extraterrestres ! » Comprendre les Terriens qui la pratiquent…
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