Grand quartier d’affaires recherche nouvelle âme… Ces pôles d’attraction pour tous les investisseurs et grandes sociétés du monde entier sont animés par une même volonté : mettre de la vie au milieu des gratte-ciel.
“On ne peut pas être et avoir été”. Et bien si ! Partout dans le monde, les grandes villes d’affaires infligent un joli démenti au dicton populaire. En effet, quelles étaient les métropoles clés à la fin du XIXe siècle ? New York et Chicago aux États-Unis, Londres, Paris, Berlin et Moscou en Europe, Tokyo en Asie, Buenos Aires en Amérique du Sud. Et aujourd’hui, qui retrouve-t-on aux quatre premières places de l’étude de référence Global Cities 2019 d’AT Kearney dédiée aux mégapoles ? New York, Londres, Paris et Tokyo. De la même manière, quels sont les quartiers d’affaires les plus attractifs dans le monde ? Selon le baromètre publié par EY en 2017, lequel sera réactualisé en 2020, mais dont les enseignements ne devraient évoluer qu’à la marge : la City (1er) et Canary Wharf (5e) à Londres, Midtown (2e) et le Financial District (6e) à New York, Marunouchi (3e) à Tokyo, La Défense (4e) à Paris et le Loop (7e) à Chicago.
Tout change et pourtant rien ne bouge ! Même si, au fil de l’histoire et de ses vicissitudes, certaines villes élues ont pu évidemment chuter. Ainsi, la très sérieuse Francfort a-t-elle remplacé Berlin comme cité phare de l’Allemagne d’après-guerre, tandis que le Moscou post-soviétique rattrape petit à petit son retard dans l’économie de marché. De son côté, Buenos Aires n’attire plus les immigrants par millions comme au temps de sa folle prospérité basée sur une agriculture immensément puissante, la “fièvre argentine” étant brutalement retombée avec la crise de 1929. Sao Paulo lui a depuis ravi le rôle de phare économique en Amérique du Sud.
Croissance démographique et fin du colonialisme aidant, d’autres géants continentaux comme Mumbai, Johannesbourg ou Lagos ont fait leur apparition sur la carte économique mondiale ; de même que des micro-cités ultra dynamiques comme Singapour, Hong Kong et Dubai. Et que dire de l’incroyable métamorphose de Shanghai en ville-monde alors que, jusqu’en 1990, la skyline du quartier de Pudong s’élevait au ras du fleuve Huangpu ? En à peine trente ans, les cabanes de riziculteurs et les chantiers navals à l’abandon se sont transformés en une myriade de gratte-ciel futuristes où ont pris place des milliers de sièges sociaux. A l’image de Pékin, Shanghai incarne les ambitions chinoises, et plus globalement le mouvement de balancier d’un monde qui se tourne de plus en plus vers l’Asie.
Si on regarde les volumes d’investissements dans l’immobilier ou les technologies, l’effet ‘ville globale’ fait que Paris, Londres, New York, Chicago ou Tokyo écrasent tout.
Bruno Lunghi, associé au sein de PwC Société d’Avocats
Il n’empêche, les stars de l’économie occidentale se retrouvent encore et toujours dans le peloton de tête des grandes mégalopoles. Poussées par le dynamisme de leurs quartiers d’affaires, tirées par l’effervescence de la nouvelle économie animant leurs quartiers montants, New York, Londres, Tokyo et Paris sont même en bonne place pour être toujours leaders dans 30 ans. Qui pourrait en effet détrôner la City ? Même l’inénarrable Brexit, pourtant facteur d’une instabilité peu appréciée par les décideurs économiques, n’a pas rendu la capitale britannique moins incontournable dans le secteur hyper spécialisé de la finance, dès lors que ses effets devraient être beaucoup plus sensibles pour le reste de l’économie britannique.
Bien sûr, de prudents investisseurs en quête d’un passeport européen se sont tournés vers Francfort ou Dublin, pendant que, de leur côté, l’Autorité bancaire européenne et l’assureur américain Chubb ont déménagé à Paris… Mais les grands mouvements ont pour la plupart déjà été anticipés et ne devraient pas remettre en cause le constat de Vincent Raufast, manager senior d’EY France : “si on veut exister dans la finance, c’est en gros la City ou rien.”
Et un, et deux, et trois
Et New York alors, le centre de gravité de l’économie mondiale ? Comment l’imaginer un seul instant perdre de sa superbe, quand on la voit capable de faire germer en un rien de temps un troisième grand business district, celui de Hudson Yards ? Inauguré en partie cette année, ce complexe immobilier, aussi ambitieux que le fut le Rockefeller Center en son temps, a déjà vu s’y installer de grands noms tels WarnerMedia, KKR, Wells Fargo, L’Oreal et SAP. D’autres comme Blackrock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, compléteront le tableau d’ici son achèvement en 2022. Dans le même ordre d’idée, comment envisager que les Mitsubishi, Mitsui ou Hitachi s’enfuient tout à coup de Marunouchi, alors que le quartier d’affaires tokyoïte est le cœur battant de la troisième économie mondiale, hébergeant pas moins de 18 sièges sociaux d’entreprises classées au Fortune Global 500, contre neuf à New York Midtown, huit dans la City et trois à La Défense ? “Ce qui caractérise la City, Midtown et Marunouchi, c’est leur rayonnement international”, remarque Vincent Raufast.
Ce qui caractérise la City, Midtown et Marunouchi, c’est leur rayonnement international.
Si on veut exister dans la finance par exemple, c’est la City ou rien.
Vincent Raufast, Manager senior d’Ey France
Très peu peuvent en effet se targuer de cette dimension prééminente ; à part sans doute Shanghai et Pékin, qui reflètent le poids croissant de la Chine dans l’économie mondiale, peut-être aussi Singapour, la plaque tournante financière de l’Asie, mais en tout cas pas encore Paris. “Ces trois grands business districts sont mieux positionnés que La Défense sur l’ancrage d’entreprises mondiales et concentrent de ce fait un plus grand nombre de décideurs internationaux”, décrit le manager de EY en France. Avec ses secteurs diversifiés – la banque, mais aussi l’énergie ou l’assurance –, le quartier d’affaires parisien est plus généraliste. “Ce qui fait à la fois sa force, car sa performance est plus régulière, mais aussi sa faiblesse, le quartier étant moins identifié comme un centre d’affaires de dimension mondiale”, dit encore Vincent Raufast.
Pour autant, le quartier d’affaires parisien ne limite pas ses ambitions et poursuit son développement avec 200 000 m² de nouveaux bureaux amenés à être livrés d’ici deux ans. “Tous les quartiers d’affaires ont la capacité de s’agrandir, mais seuls les plus puissants remplissent leurs tours, souligne Franck Boucher, directeur de l’attractivité de l’établissement public Paris La Défense (voir interview). Si vous prenez ceux de Moscou ou Dubai, ils sont très beaux, mais leurs bureaux ne sont pas tous occupés. Notre force, c’est de pouvoir démarrer des projets en blanc, sans attendre qu’ils soient remplis à 30 % ou 50 %. C’est une preuve de la confiance du marché.” D’autant que le prix du m², à 550 euros pour les meilleurs locaux, reste compétitif par rapport à ceux de la City, qui dépassent les 800 euros, sans parler de Paris intra muros, où le m² flirte avec les 1 000 euros.
Le fait que la France soit entrée dans le top 5 à l’index d’AT Kearney sur les intentions d’investissements directs à l’étranger, devant le Japon ou la Chine, laisse augurer de beaux jours pour le quartier d’affaires parisien comme, d’ailleurs, pour toute l’économie de la capitale française. La capacité à attirer des capitaux, à mettre en relation investisseurs et entrepreneurs, à faire se rapprocher clients et partenaires, fait tourner le cercle de la croissance. “Si on regarde les volumes d’investissements dans l’immobilier ou les technologies, l’effet ‘ville globale’ fait que Paris, Londres, New York, Chicago ou Tokyo écrasent tout, constate Bruno Lunghi, avocat associé au sein de PwC Société d’Avocats. Ces mégapoles restent les moteurs de l’activité. Ce sont des machines à attirer de l’equity. Les villes de moins de trois ou cinq millions d’habitants ont une capacité moindre à mobiliser des fonds, par exemple pour faire de la recherche.”
Les mégapoles trouvent grâce à cela les conditions pour bâtir sereinement leur futur. D’ailleurs, à bien regarder l’étude Global Cities Outlook d’AT Kearney qui met en perspective le potentiel d’évolution des grandes villes, Paris, Londres, New York ou Tokyo n’ont pas à rougir de leur capacité d’innovation face à des villes en pointe comme San Francisco, Singapour, Amsterdam ou Boston. Avec ses universités de classe mondiale, Cambridge et Oxford pour les plus réputées, Londres dispose par exemple d’un capital intellectuel de premier ordre pour rivaliser avec les têtes pensantes sorties de Berkeley ou du MIT. Dans le même ordre d’idée, le taux de diplômés de l’enseignement supérieur atteint 59 % à Tokyo, 47 % à New York et 46 % à Paris. Soit une foule de jeunes talents sur lesquels capitaliser.
Le potentiel de croissance du business est le premier critère d’implantation d’une entreprise, mais le cadre de vie proposé se rajoute de plus en plus comme élément clé de l’attractivité d’une ville d’affaires.
Vladislava Lovkova, directrice de l’entité de conseil en stratégie de PwC.
Mais au fond, ces jeunes talents, rêvent-ils tous aujourd’hui de travailler comme autrefois, dans des bureaux bien agencés dans des tours sans fin ? C’est justement le motif d’inquiétude des décideurs des quartiers d’affaires. Car une petite musique se fait entendre de plus en plus clairement ; des refrains lancinants autour des attentes des millenials, depuis le coût et la qualité de vie jusqu’au développement durable… Il n’y a qu’à voir l’intérêt des jeunes générations pour des lieux où ils peuvent partager leur temps entre activité professionnelle, bien-être et after works, voire pour des villes à taille plus humaine au mix vie privée-vie professionnelle plus décontracté.
“Le potentiel de croissance du business est le premier critère d’implantation d’une entreprise, devant la stabilité de son investissement, distingue Vladislava Iovkova, directrice de Strategy&, l’entité de conseil en stratégie de PwC. Mais le cadre de vie proposé se rajoute de plus en plus comme élément clé de l’attractivité.” Du coup, les business districts “verticaux”, ceux qui ne sont pas implantés au cœur de la vie de la cité à la différence de Midtown à New York ou de la City à Londres, doivent étendre leur répertoire. “On sort du downtown américain pensé dans les années 60, bondé aux heures de bureau et absolument vide en dehors. Le repoussoir total”, estime Vincent Raufast. A coup d’espaces événementiels et culturels, de bars à la mode, mais également d’espaces verts et de nouvelles mobilités, les grands quartiers d’affaires s’attellent à créer un environnement où il fait bon vivre passé 18 heures. Un esprit “work, live & play” nécessaire pour éviter que les cadres prometteurs n’écoutent les sirènes des quartiers montants et pour séduire les professionnels chevronnés attachés à leur qualité de vie.
La Défense a ainsi fait du lifestyle son grand axe d’évolution. Son extension au-delà de la Grande Arche a permis l’implantation de l’Aréna, un espace multifonctionnel tantôt salle de concert, tantôt stade de rugby. De l’autre côté du quartier, vers la Seine, c’est un bar, le Nodd, qui a été inauguré et se remplit depuis l’été dernier aux heures où les bureaux ferment. Et c’est comme ça partout. Encore en devenir, Hudson Yards, à New York, s’inscrit directement dans la tendance et mixe bureaux dernier cri, appartements haut de gamme, bars, restaurants et magasins à foison. A Tokyo, le développeur immobilier Mitsubishi Estate a entrepris de changer l’image un peu trop lisse de Marunouchi en ajoutant au pied des tours une multitude d’options de restauration et des shoppings malls.
Mais, s’il est un quartier d’affaires qui fait référence pour sa capacité à se réinventer, c’est bien celui du Loop à Chicago. “Concurrencé par d’autres quartiers mitoyens très attractifs, le Loop a fait en sorte de reconquérir les bords de la rivière, désormais couverts de bars et de restaurants, remarque de son côté Vincent Raufast. Elle a pris aussi des initiatives fortes sur l’animation avec des événements quasi au quotidien.”
À Chicago, un “loop” grossissant
Et ça marche ! Mc Donalds a par exemple quitté son campus d’Oak Brook, dans la banlieue de Chicago, pour déménager en centre-ville. Mais, surtout, la “windy city” s’impose comme troisième hub high-tech des États-Unis après la Silicon Valley et New York. “Le Loop compte aujourd’hui le plus grand nombre au monde de millenials au mètre carré”, souligne Vladislava Iovkova, de PwC. Ils le seront sans doute encore plus prochainement avec l’annonce de l’installation de Uber dans l’ancienne poste centrale, un fleuron Art Deco du centre-ville revisité en lieu business contemporain. De leur côté, Facebook et Salesforce vont aussi mettre le cap sur le Loop, portés par l’atmosphère créative du lieu.
L’évolution actuelle des quartiers d’affaires répond à une volonté sous-jacente, celle d’attirer tous ces nouveaux acteurs qui prônent une nouvelle façon de travailler, bien moins guindée et hiérarchisée, et qui fuient comme la peste les pôles d’affaires old school. Tout l’enjeu est là, dans leur capacité à créer un environnement favorable à leur implantation pour les mettre en relation avec les grandes entreprises confrontées à une disruption tous azimuts. Pour favoriser un grand brassage d’idées, les quartiers d’affaires misent sur un cheval de Troie : les espaces de coworking. Selon BNP Paribas Real Estate, la City concentrait 40 % des surfaces de bureaux flexibles louées dans la capitale britannique en 2018. A Paris, si les transactions sont majoritairement concentrées intra muros, les Spaces, Wojo, Morning Coworking, Kwerk ont aussi fait leur entrée dans le monde corporate de La Défense, en attendant WeWork l’an prochain. Du design, des bureaux inspirants, une énergie folle : une façon d’envisager la vie de bureau très “nouvelle vague”.